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2019, année pour « Nous, Européens »
La morosité règne dans les milieux pro-européens en ce début janvier. L’échange de vœux rassurants ne dissipe en rien les craintes qu’inspire l’année qui s’ouvre. Celle qui s’en est allée n’aura pas permis – ou si peu – les avancées que la France espérait enregistrer avant les élections européennes de mai prochain. La fenêtre d’opportunité qu’avait ouverte l’élection d’Emmanuel Macron en 2017 s’est entrebâillée dès les législatives allemandes, quatre mois plus tard, et n’a cessé depuis de se refermer au gré des élections italienne, hongroise, suédoise, entre autres scrutins qui ont jalonné une année 2018 d’essor des nationalismes.
Dans ce contexte, les dossiers sur la table des législateurs européens attendent des jours meilleurs. La « taxe Gafa », chère à Paris, devrait rester hexagonale. Les dépôts des épargnants attendent toujours une garantie européenne. Au volet migration, le règlement de Dublin, décrié à juste titre par les pays de première entrée des demandeurs d’asile, n’est toujours pas réformé, ce qu’illustre dramatiquement les errements des navires d’ONG en Méditerranée. Le « budget de la zone euro » reste une expression acceptée sans contenu réel. Seul le récent vote pour encadrer le travail détaché chez les routiers ou le renforcement de la protection civile européenne redorent un bilan législatif 2018 bien terne au regard des ambitions lyriques macroniennes initiales.
Alors que le capital politique du président français est sérieusement entamé à domicile, on ne peut pour l’heure se tourner vers d’autres acteurs moteurs. La Commission de Jean-Claude Juncker est en fin de mandat. L’Allemagne, qui a commencé l’après-Merkel, gère ses tensions internes et tempère les enthousiasmes français. L’Italie de Matteo Salvini se complaît dans son nouveau rôle de trouble-fête européen. Le Royaume-Uni est tout absorbé par sa sortie prochaine de plus en plus ambigüe. A Madrid, le gouvernement de Pedro Sánchez ne peut entraîner l’Europe trop fragile qu’il est, comme tant d’autres coalitions actuellement au pouvoir sur le continent. Et on ne saurait bien sûr attendre d’avancées positives de la Hongrie d’Orbán ou de la Pologne de Kaczyński. Sans mentionner la présidence roumaine décrédibilisée avant même d’avoir commencé.
Aussi les pro-Européens font profil bas. Les vingt ans du passage à l’euro, la plus remarquable prouesse d’intégration, brillent par leur discrétion. Rien de prévu à la Banque centrale européenne. On n’ose plus, en ce morose début 2019, jouer l’Ode à la joie. Fera-t-on retentir l’hymne européen pour l’autre grand anniversaire de l’année, les 30 ans de la chute du Mur ? L’air sonnait juste alors dans la liesse de la liberté retrouvée. On l’aurait aussi volontiers fredonné au départ des premiers Erasmus. Ou en s’étonnant avec amusement de ne plus être contrôlé à la frontière et de ne plus devoir changer de devises. Mais au fil des ans, cette joie s’est émoussée, banalisée, quand elle n’a pas été politiquement tue et étouffée.
La joie s’est même muée en méfiance : devant des frontières jugées trop ouvertes, des élargissements, sans fin et une concurrence, trop déloyale. Les Européens entonnent l’hymne à la peur : peur du migrant, peur de la Chine, peur de Trump, de Poutine, peur du terrorisme, peur d’être manipulés. Peur en leur sein de vieillir, voire dans certains petits pays, de disparaître. Peur du ralentissement économique annoncé, peur de perdre sa protection sociale, peur des exigences de la transition écologique. Mais peur désormais de sortir de l’Union européenne pour une aventure considérée trop hasardeuse, comme en témoigne celle en cours du Brexit. Qu’il soit déjà largement galvaudé, le slogan pour une « Europe qui protège » sera encore répété durant la campagne des prochaines européennes comme pour s’en persuader.
Cependant, si le danger unit, il paralyse aussi. La plus grande peur de l’Europe est d’elle-même. D’exister et de s’affirmer. Les Vingt-Sept se sont surpris eux-mêmes à rester unis face à Londres. À devenir l’adversaire, malgré eux, de Donald Trump. De fait, l’Union européenne dérange et contrarie les ambitions d’autres puissances mais refuse encore d’en tirer les conséquences, de se définir un destin collectif.
Pour entrer en confiance en 2019 et aborder plus sereinement le scrutin de mai prochain, l’Union doit expliciter les valeurs et les intérêts qui la distinguent des autres continents. Sa valeur ajoutée ne peut se réduire à des co-financements ou à des économies d’échelle. Elle est plus que jamais géopolitique. Elle réside dans sa capacité à articuler aujourd’hui au reste du monde un puissant et déterminé – et joyeux : « Nous, Européens ».
Sébastien Maillard