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Fernandes, S. « 2025 : renouer avec l’ambition sociale de Jacques Delors », Infolettre, Institut Jacques Delors, janvier 2025

En ce début 2025, s’ouvre pour l’Union européenne une année empreinte de symboles et de défis. Cette année marque en effet le centenaire de la naissance de Jacques Delors, dont l’héritage demeure une source d’inspiration précieuse dans une époque de transitions profondes et d’incertitudes croissantes.

Il y a 40 ans, Jacques Delors prenait ses fonctions comme Président de la Commission européenne. Parmi ses premières grandes initiatives figurait le sommet de Val Duchesse, qui réunissait le 31 janvier 1985 les partenaires sociaux dans le but d’établir les bases d’un dialogue social structuré à l’échelle européenne. Ce 40ème anniversaire doit être l’occasion de renouveler une ambition sociale pour l’UE, dans l’esprit de Jacques Delors. Le nouveau Pacte européen du dialogue social, attendu à la fin de ce mois, doit incarner cette ambition et relancer le dialogue social européen pour répondre aux défis sociaux, économiques et politiques actuels.

L’urgence de renforcer la justice sociale et la cohésion au sein de l’UE n’a jamais été aussi pressante. Alors que les crises politiques partout en Europe rendent palpables des tensions sociales déjà fortes, les transitions écologique, numérique et démographique transforment nos sociétés en profondeur, générant des opportunités inédites mais aussi le risque d’accroitre les inégalités. Ces mutations bouleversent les emplois existants, en créent de nouveaux, et allongent des carrières professionnelles désormais plus fragmentées. Cela s’accompagne de nouveaux risques et de nouveaux besoins, dont celui de se former tout au long de la vie. Jacques Delors plaidait déjà, dans les années 1990, pour « un véritable droit à la formation continue » pour tous. Alors que la Commission prévoit une proposition d’« Union des compétences », il est impératif que l’UE et ses États membres mobilisent les moyens nécessaires pour concrétiser cette ambition delorienne.

Dans les mois à venir, la Commission présentera un nouveau plan d’action pour la mise en œuvre du Socle européen des droits sociaux. Ce plan inclura des initiatives comme une stratégie européenne de lutte contre la pauvreté, un plan pour des logements abordables, des mesures pour des emplois de qualité, une feuille de route pour les droits des femmes et un renforcement de la politique de cohésion pour garantir un véritable « droit de rester », selon les termes d’Enrico Letta dans son rapport sur l’avenir du Marché unique. Ces propositions initiatives s’inscrivent dans la vision delorienne d’une Europe sociale. Toutefois, pour renouer pleinement avec cette ambition, il faudra non seulement concrétiser ces projets, mais aussi intégrer les préoccupations sociales dans toutes les politiques européennes, qu’elles soient commerciale, industrielle ou agricole.

Les négociations sur le cadre financier pluriannuel de l’UE pour 2028-2034, qui débuteront cette année, seront déterminantes pour traduire cette ambition en moyens concrets. Une politique sociale audacieuse n’est pas seulement un impératif moral, mais également un levier pour renforcer l’adhésion des citoyens au projet européen, dans un contexte marqué par la montée des populismes. D’après une enquête Eurobaromètre de 2024, neuf Européens sur dix estiment qu’une Europe sociale est importante pour eux personnellement. Les citoyens de l’UE attendent de l’UE qu’elle contribue à l’amélioration de leurs conditions de vie et de travail de manière tangible ; l’UE doit être à la hauteur de ces attentes.

En décembre dernier, nous avons publié deux documents éclairant d’une part la vision de Jacques Delors et, d’autre part, l’état actuel de l’Europe sociale et ses perspectives. Dans son discours prononcé à l’Agora Jacques Delors, Pascal Lamy rappelle qu’au centre de l’héritage intellectuel de Delors se trouve la notion clé du progrès, qu’il associe à l’amélioration continue de la dignité humaine et qui repose selon lui sur trois dimensions indissociables : prospérité économique, progrès social et soutenabilité environnementale. Parallèlement, Philippe Pochet propose, dans son dernier policy paper, un agenda socio-écologique pour une politique sociale renouvelée. Pour approfondir la question des politiques et financements pour une Europe prospère, vous pouvez regarder le replay de la Conférence annuelle de l’Institut qui a eu lieu en décembre dernier et était consacrée à ce thème.

Alors que la Commission s’apprête à présenter son Clean Industrial Deal, je vous invite à écouter le dernier épisode du podcast Re-thinking Europe d’Europe Jacques Delors, qui analyse les besoins et attentes de l’industrie européenne face à la transition verte et explore le rôle de la politique commerciale pour garantir la compétitivité industrielle de l’UE. L’avenir du pacte vert européen sera également au cœur de la prochaine conférence de l’Institut organisée en partenariat avec La Macif le 27 janvier.

Ce début d’année est également inévitablement marqué par l’investiture du président Donald Trump. Son retour soulève des défis économiques et politiques majeurs pour l’UE. Une politique commerciale américaine unilatérale et agressive pourrait diviser les États membres et affaiblir les intérêts européens. Le Centre Jacques Delors à Berlin a publié une analyse d’Arthur Leichthammer et Elvire Fabry sur les moyens dont dispose l’UE pour répondre à cette menace, tout en appelant à une diversification structurelle des relations commerciales européennes. Par ailleurs, le risque de désengagement américain vis-à-vis de l’OTAN souligne la nécessité d’une autonomie européenne accrue en matière de défense. Bertrand de Cordoue offre, dans une infographie, un panorama de l’industrie de défense européenne. Enfin, Lukas Macek, Sébastien Maillard et Pierre Mirel proposent dans leur dernière publication un agenda 2030 pour l’élargissement fondé sur l’idée d’une intégration graduelle des pays candidats.

Le meilleur hommage que nous puissions rendre à Jacques Delors en cette année du centenaire de sa naissance est de continuer à porter sa vision et sa pensée, notamment en faveur d’une Europe plus juste et plus solidaire. En espérant que cette vision sera transformée en réalité pour les générations futures.

Meilleurs vœux à toutes et à tous pour 2025 !

Sofia Fernandes

Directrice adjointe de l’Institut Jacques Delors