Rapport

A la veille de l’introduction physique de l’euro : un bilan critiqué de trois années de fonctionement de l’UEM

Dans quelques semaines, l’euro deviendra une réalité quotidienne pour près de trois cent millions d’européens, après l’avoir été pendant trois ans pour les « marchés financiers » et ceux qui y opèrent.

ETUDE PUBLIÉE DANS l’ANCIENNE SÉRIE « PROBLÉMATIQUES EUROPÉENNES » 

AVANT-PROPOS DE JACQUES DELORS

Dans quelques semaines, l’euro deviendra une réalité quotidienne pour près de trois cent millions d’européens, après l’avoir été pendant trois ans pour les « marchés financiers » et ceux qui y opèrent.

Si J’ai joué un rôle dans cette aventure, ne serait-ce qu’en présidant le comité dont elle est directement issue, J’avoue être confondu par l’audace politique qu’a représentée sa mise en oeuvre de façon aussi résolue. Le « géant économique/nain politique » qu’est l’Europe existe désormais dans le monde par un des quelques instruments qui fondent la puissance d’agir.

Et les premiers effets de cette puissance commune n’ont pas tardé à se faire sentir. Depuis trois ans, plusieurs crises financières internationales ont pu se produire sans entraîner rien qui ressemble à l’affolement antérieur des autorités nationales en de pareilles circonstances. Si quelques esprits chagrins, les mêmes souvent qui étaient opposés au principe de la monnaie unique, se désolent chaque jour de la prétendue « faiblesse de l’euro », force est de constater que, dans la vie de tous les jours, nous n’y trouvons pas matière à insomnie, ce qui est encore un considérable changement.

Est-ce à dire qu’en inventant « la monnaie sans État », pour reprendre l’heureuse formule de Tommaso Padoa-Schioppa, nous aurions résolu la quadrature du cercle ? Pas tout à fait. Nous avons l’instrument pour agir, mais pas le bras qui pourrait l’utiliser pour ce qui reste l’objectif : la prospérité économique partagée. Nous avons créé un pouvoir monétaire indépendant, de nature ouvertement fédéral, mais nous restons divisés et hésitants sur son utilisation dans un « policy-mix » optimal qui l’associerait aux politiques économiques et budgétaires pour un chemin maîtrisé de croissance et d’emploi. J’ai eu l’occasion de dire à plusieurs reprises que, dans cette faiblesse du « pôle économique », je ne reconnaissais pas « mon » enfant, ni surtout sa finalité.

Que faire alors ? Espérer la crise salvatrice qui obligera à plus d’intégration économique ? Il faudrait être singulièrement masochiste. Attendre sagement que la monnaie unique crée l’État européen ? Il faudrait être d’un fonctionnalisme indécrottable, sans compter que ce n’est certainement pas là l’Europe que J’appelle de mes voeux, absorbant tout, normalisant tout.

Reste la voie d’une coordination efficace, qui respecte la personnalité de chacun et permet des réponses concertées aux défis communs, sans faire remonter tous les instruments politiques à Bruxelles.

C’est cette voie qu’explore Lluà­s Navarro en se livrant à un examen pointilleux des avancées et des hésitations qui ont marqué trois années d’existence de la monnaie unique. Il en déduit des propositions réalistes, qui demandent du discernement et de la détermination, mais aucun bouleversement fondamental dont nous n’avons pas besoin. C’est une option lucide avec laquelle je me sens profondément en accord