Adhésion graduelle à l’UE : passer des paroles aux actes, maintenant !

Face à la guerre en Ukraine, l’Union européenne (UE) assume une logique géopolitique qui lui fait changer d’attitude face aux demandes d’adhésion, qu’elles émanent des candidats anciens (les pays des Balkans occidentaux) ou nouveaux (l’Ukraine, la Moldavie et la Géorgie). Mais trois ans plus tard, et alors que réapparaît le risque d’une issue de la guerre défavorable à l’Ukraine et à ses alliés européens, le bilan de la relance de la politique d’élargissement interroge. Elle aurait dû se construire notamment autour de l’idée d’ « adhésion graduelle ». Or, si ce concept est désormais sur toutes les lèvres, y compris au plus haut niveau politique, il peine à se traduire dans les faits. Pourtant, l’adhésion graduelle n’a de sens que si elle apporte une nouvelle dynamique et une réelle accélération. Non pas dans des années, mais tout de suite. Il est donc temps de passer des débats aux décisions politiques qui correspondent – pour paraphraser la Déclaration Schuman – à des « efforts créateurs à la mesure des dangers » qui menacent le projet européen.
Un réel changement de discours, mais des actes qui restent modestes
Depuis plus de trois ans, nombreux sont les dirigeants européens à affirmer que l’élargissement de l’UE est redevenu une priorité, voire une nécessité géopolitique. Tant mieux, car c’est aussi et surtout – dans le cas des pays des Balkans occidentaux – une promesse non-tenue qui discrédite le projet européen. Et c’est une opportunité de démontrer une fois de plus la vitalité et l’efficacité de ce dernier, en prouvant que ce qui a été possible entre la France et l’Allemagne est tout aussi possible dans les Balkans ou dans les « terres de sang1 » de l’Est de l’Europe.
Toutefois, les actes restent bien en deçà de « l’appel de l’Histoire2 ». Certes, le plan de croissance pour les Balkans occidentaux, lancé en 2023, apporte plusieurs avancées relatives au marché intérieur, dont l’exemple le plus souvent cité est l’entrée dans la zone SEPA3 du Monténégro et de l’Albanie en novembre 2024, puis de la Macédoine du Nord en mars 2025. Citons aussi l’octroi de statut de candidat et l’ouverture des négociations, dans des délais historiquement courts, pour la Moldavie et l’Ukraine, ainsi qu’un regain d’énergie dans les négociations avec l’Albanie et le Monténégro. Ou encore la reconstitution d’un poste de commissaire et d’une direction générale uniquement dédiés à cette politique au sein de la Commission européenne formée en 2024.
Toutefois, il y a aussi des échecs. L’Union n’a pas encore su résoudre la situation qui concentre tout ce qu’il y a de dysfonctionnel dans le processus d’élargissement en direction des Balkans : les blocages concernant la Macédoine du Nord. En effet, cet autre pays candidat susceptible de pouvoir avancer vite dans les négociations reste bloqué par la Bulgarie, à cause des différends bilatéraux4. Or, la dispute bulgaro-macédonienne relève précisément de la catégorie des problèmes de voisinage liés au passé et aux questions identitaires que l’intégration européenne devrait permettre de dépasser et non envenimer. De même, l’Union laisse le Kosovo, à la population pourtant des plus europhiles, à être le dernier pays à pointer dans le groupe des « candidats potentiels », en ignorant depuis près de deux ans la candidature qu’il a officiellement déposée. Et pour cause : rien ne bouge du côté des cinq Etats de l’UE qui ne reconnaissent pas la souveraineté du Kosovo5.
Quant à toutes les avancées indéniables déjà évoquées, un dénominateur commun limite leur portée : elles ne sont pas assez visibles et ne possèdent pas une charge symbolique suffisante. Le plan de croissance a beaucoup de mérites6, mais qui parmi les citoyens des pays concernés comprend ce dispositif complexe et qui en perçoit la logique politique7 ? D’ailleurs, le choix du nom est révélateur : mesure-t-on les effets de long terme de cette manière de réduire la vision du projet européen aux enjeux économiques ?
Ces mesures techniques ne forment pas un ensemble cohérent, politiquement signifiant et facilement perceptible et compréhensible pour les citoyens. Elles sont parfois affaiblies par l’incapacité à assumer des choix clairs et cohérents : ainsi on peut s’interroger sur la décision conditionnelle d’ouvrir les négociations avec la Bosnie-Herzégovine, alors que l’octroi du statut de candidat avait déjà été conditionnel, sans toutefois que les conditions posées soient remplies. Ou encore déplorer la faiblesse des réactions européennes face aux dérives autoritaires du pouvoir pro-russe en Géorgie. Sans parler de la retenue des leaders européens face à la situation en Serbie, à l’exception notable des déclarations de Marta Kos, commissaire européenne en charge de l’élargissement8.
Les lourds risques d’un « non » français
Enfin, le retour de l’élargissement au rang des priorités n’a eu pour le moment aucun effet notable sur une autre dimension fondamentale de ce défi : la communication politique en direction des citoyens des Etats membres. Le même constat s’impose à travers l’Union : il n’y a pas de débat public sur les élargissements à venir, y compris dans les pays où les opinions publiques affichent un fort scepticisme9. C’est particulièrement problématique dans le cas de l’Allemagne : véritable locomotive de l’élargissement de 2004, sa population semble désormais plutôt opposée à l’idée de nouveaux élargissements. La situation est encore plus grave en France, où l’opinion publique est traditionnellement sceptique à ce sujet. Or, la constitution française prévoit un référendum pour ratifier toute nouvelle adhésion à l’UE10. Imaginons le pire des scénarios : encouragés par les discours sur « la nécessité géopolitique » et sur « l’appel de l’Histoire », les pays candidats se mobilisent, réalisent les réformes demandées, satisfont les critères d’adhésion, pourtant définis et interprétées d’une manière plus dure et plus méfiante que lors des élargissements précédents. Et puis… les Français disent « non ». Ce serait une catastrophe pour le projet européen qui aboutirait alors à l’exact contraire de ce qui est sa raison d’être : au lieu de réconcilier les peuples, il les dresserait les uns contre les autres, créant des frustrations et ressentiments difficiles à dépasser. Une conclusion évidente s’impose face à ce risque : tout dirigeant européen qui promet un avenir européen aux pays candidats devraient s’engager activement dans un travail d’explication et de défense politique de ce projet auprès de ses électeurs. Pour chaque envolée lyrique à Bruxelles, trois débats publics à la maison !
Ces décalages entre les paroles et les actes, entre les propos tenus « là-bas » et ceux qu’on adresse aux électeurs « ici », sont gênants aujourd’hui, potentiellement destructeurs demain… mais hélas compréhensibles, tant le travail politique à faire est immense. D’abord parce qu’on a laissé prospérer le sentiment illégitime, mais complaisamment répandu par certains, que le « big bang » de 2004 a été un échec et une erreur11. Mais aussi parce que certains dirigeants dont les pays ont tant profité de l’adhésion à l’UE rendent un bien mauvais service à ceux qui voudraient les suivre : en bafouant les engagements pris sur le chemin de l’adhésion, ils discréditent l’idée que l’élargissement est le meilleur instrument de consolidation de la voie d’un pays vers la démocratie, la liberté, l’Etat de droit et la prospérité. Ou encore parce que la « polycrise » européenne a détourné les regards et les énergies vers d’autres défis, dont le Brexit, l’antithèse même de l’élargissement. Enfin, parce que les pays candidats actuels cumulent un nombre et un degré de problèmes qui dépassent les défis des élargissements précédents. L’exemple le plus frappant est bien entendu le pays qui est au cœur de l’actuelle relance de l’élargissement : l’Ukraine.
Face à ces défis, une idée a fait son chemin : celle de l’adhésion (ou intégration) graduelle12. Il s’agit de rendre le processus d’adhésion plus progressif, en offrant aux candidats – du moment où ils avancent de manière substantielle et crédible sur la voie de l’adhésion – des bénéfices dont aucun Etat candidat n’a pu bénéficier lors des élargissements passés. Simple objet de réflexion de quelques think-tanks il y a encore peu, cette notion apparaît désormais dans les conclusions du Conseil européen, dans le contrat de coalition qui fonde l’actuel gouvernement allemand ou encore dans une résolution de l’Assemblée nationale française13. Ce n’est guère étonnant, tant elle répond aux problèmes qui caractérisent les élargissements à venir, car elle suggère un compromis entre l’impératif d’élargir et l’impossibilité de le faire vite. Elle offre l’opportunité de restaurer la crédibilité de la promesse d’adhésion aux yeux des citoyens des pays candidats et de rassurer ceux des Etats membres.
Or, pour que l’intégration graduelle ait du sens, elle doit se traduire par des gains rapides, mobilisateurs et innovants en comparaison avec les élargissements précédents. Il faut que les premières étapes de ce processus se produisent – au moins pour certains Etats candidats – maintenant, pas dans deux, cinq ou dix ans. Or, depuis que l’idée a été officialisée par le Conseil européen, l’UE n’a cessé de perdre du temps. Elle n’a pas su matérialiser le nouvel élan politique en proposant un nouveau cadre pour le processus d’élargissement, qui serait cohérent, ambitieux, visible et compréhensible pour les citoyens.
Quatre principes directeurs pour une réponse européenne à la hauteur des enjeux
Sans reprendre ici en détails les différentes propositions déjà formulées dans les travaux précédents du Centre Grande Europe de l’Institut Jacques Delors14, réaffirmons ici quatre idées essentielles sur lesquelles l’Union européenne devrait bâtir sa nouvelle politique d’élargissement, autour d’une feuille de route proposée aux pays candidats et dont les premières échéances doivent être disponibles très vite. A charge de chaque candidat de décider s’il s’y engage, et à quel rythme, mais l’Union doit poser sur la table une proposition claire et forte.
1) Intégration progressive dans les institutions de l’UE
Cette feuille de route doit avant tout permettre une intégration progressive des pays candidats dans la vie institutionnelle de l’Union, au niveau tant politique que technique. C’est ainsi que les actuels et futurs Etats membres pourront entamer un processus de découverte mutuelle, de socialisation et d’apprentissage commun par la pratique.
Deux précédents, un ancien et un récent, offrent des inspirations intéressantes :
le statut (pourtant inexistant dans les Traités qui fondent l’UE) d’« Etat adhérant15 », accordé aux pays candidats pour la période qui sépare la date de la signature du traité d’adhésion de celle de son entrée en vigueur. Ainsi, par exemple, dès le 5 mai 200316, 162 observateurs issus des 10 pays qui allaient adhérer à l’Union au 1er mai 2004 ont été associés aux travaux du Parlement européen.
Le Comité économique et social de l’UE accueille, depuis septembre 2023 déjà, des représentants des sociétés civiles des pays candidats17 – là encore il s’agit d’une pratique mise en place à traités constants.
En s’appuyant sur ces précédents, l’ensemble des institutions de l’UE devraient identifier la voie la plus simple et pratique leur permettant de s’ouvrir aux représentants des pays candidats, ainsi que les conditions qui s’y attachent.
2) Participation aux politiques de l’UE
Cette invitation devrait aller au-delà d’un simple statut d’observateur. Elle devrait servir une intégration progressive dans la mise en œuvre des politiques de l’UE.
Le plan de croissance pour les Balkans occidentaux (étendu par la suite à la Moldavie) constitue un pas en avant en ce qui concerne l’intégration des pays candidats dans le marché intérieur. Mais il présente un double défaut. D’une part, il fait bénéficier les pays candidats des résultats de certaines politiques de l’UE, sans toutefois les associer aux décisions en amont. Il fait des candidats des bénéficiaires passifs, plutôt que d’en faire des acteurs co-responsables. D’autre part, il se limite à des éléments relativement techniques relevant de l’intégration économique, tels que l’intégration dans le système SEPA ou la baisse des coûts du roaming. Certes, ces bénéfices ont le mérite de toucher le quotidien des citoyens. Mais s’agit-il des avancées suffisamment visibles et symboliquement puissantes pour (re)bâtir une réelle adhésion au projet européen ? N’est-ce pas une façon de réduire ce dernier à un simple calcul de coûts-bénéfices économiques, occultant sa dimension fondamentalement politique ? Et ceci dans une région où le message politique du projet européen – articulé autour des notions telles que la paix, la réconciliation, le refus des passions nationalistes, la démocratie, l’Etat de droit – est particulièrement pertinent et nécessaire.
Il serait donc judicieux d’étendre la notion d’intégration graduelle vers la participation dans le processus de prise de décisions dans certains domaines à forte dimension politique. A commencer par la politique étrangère et de sécurité commune (PESC) : pourquoi les Etats candidats qui sont durablement alignés à près de 100 % sur la PESC, et qui sont déjà les alliés de la quasi-totalité des Etats membres de l’UE au sein de l’OTAN, ne pourraient-ils pas être pleinement intégrés dans cette politique, à l’exception du droit de vote ? Notons que cette idée apparaît dans le contrat de coalition en Allemagne18. Mais au-delà de la PESC, ne faudrait-il pas inclure des pays candidats dans d’autres politiques communes, notamment celles relevant des chapitres de négociations déjà clos ?
Enfin, il va sans dire que cette approche renforcerait radicalement le processus de socialisation entre les actuels et futurs Etats membres et contribuerait grandement – et de la meilleure façon qu’il soit : par la pratique – à l’apprentissage du fonctionnement de l’UE par les futurs membres, tant au niveau politique qu’administratif. Cette évolution offrirait aussi de nouvelles perspectives professionnelles aux cadres administratifs des pays candidats, ce qui pourrait motiver de jeunes diplômés formés à l’étranger à revenir et à s’investir dans le processus d’adhésion de leur pays.
3) Budget
Conformément à la logique d’adhésion graduelle le Plan de croissance a ouvert la voie – assortie d’une forte conditionnalité politique – vers des ressources financières supplémentaires pour les pays candidats, au-delà des aides de pré-adhésion classiques. Toutefois, là encore on peut s’interroger sur la visibilité et la lisibilité de ce dispositif pour les citoyens de ces pays. Ou encore sur son efficacité réelle du fait notamment de la tension entre le principe de conditionnalité et le besoin de prévisibilité pour les bailleurs de fond susceptibles d’apporter du co-financement. Il reste donc un espace pour aller plus loin – et accessoirement, là encore, contribuer à l’apprentissage par la pratique de l’utilisation et de gestion des fonds européens. Les Etats candidats qui auraient rempli les conditions fixées à cet effet par l’UE devraient pouvoir bénéficier d’une partie des fonds auxquels ils auront droit une fois qu’ils seront devenus membres, dont la gestion serait identique – ou au moins aussi proche que possible – à celle des fonds de cohésion pour les Etats membres. Le prochain cadre financier pluriannuel de l’UE (2028-34) devrait intégrer ces perspectives19. En échange, les pays candidats concernés devraient se soumettre aux mécanismes de contrôle de l’Union, non seulement en intégrant le mécanisme de protection de l’Etat de droit de l’UE20, mais aussi en reconnaissant la compétence et en offrant la pleine coopération à l’OLAF et au parquet européen.
4) Conditionnalité et réversibilité
Préserver la conditionnalité et rendre effective la réversibilité21 de l’intégration graduelle est sans doute à la fois une nécessité et un écueil majeur. En effet, le risque est grand que les Etats membres aient du mal à activer un retour en arrière, tant il s’agirait d’un acte politique lourd de conséquences. Comme disait Václav Havel22, « les institutions meurent parfois d’un excès de politesse » ; et l’intégration graduelle pourrait bien mourir de la difficulté des Etats membres à dire des vérités désagréables à un Etat candidat en voie de régression.
Ce risque s’apparente à la difficulté structurelle qu’éprouvent les Etats membres à sanctionner l’un des leurs. C’est cette même logique qui a rendu inopérant le Pacte de stabilité et de croissance (PSC). Or, les Etats membres en ont tiré des leçons aux lendemains des crises que l’Europe a subies après 2008 en introduisant l’idée d’une « majorité inversée ». Si des sanctions sont proposées par la Commission, elles entrent en vigueur à moins qu’une majorité qualifiée des Etats membres ne s’y oppose. Cette même logique pourrait être introduite dans le processus de l’intégration graduelle.
Par ailleurs, la conditionnalité du processus pourrait être renforcée par un système plus transparent, plus objectif et plus ouvert de l’évaluation des réformes menées par les Etats candidats, associant davantage la société civile23. Elle pourrait être renforcée aussi par l’exigence d’un consensus politique plus large soutenant les efforts d’adhésion, obligeant les gouvernements des pays candidats à impliquer – réellement – l’opposition et la société civile. En retour, cela renforcerait les chances que les réformes menées – notamment en ce qui concerne l’Etat de droit, la liberté et le pluralisme des médias, etc. – soient sincères, non-partisanes et durables.
Définir un nouveau statut intermédiaire
Certes, il est tout à fait possible de pratiquer l’intégration graduelle selon ces quatre axes sans les attacher à un statut formalisé qui échapperait à la dichotomie candidat – membre. Mais cela faisant, on court le risque de l’invisibilité de ce changement d’approche pour les citoyens. Or tout l’intérêt réside précisément dans la mise en évidence d’une nouvelle progressivité du processus d’adhésion qui soit à la fois motivante pour les citoyens des Etats candidats, rassurante pour ceux des Etats membres et qui envoie aussi un signal géopolitique ferme au reste du monde. La meilleure façon d’y parvenir consiste à créer un statut intermédiaire, assorti d’une série de droits et devoirs et dont la substance combinerait des éléments significatifs relevant des quatre axes précités.
Comme le montre l’exemple du statut de « l’Etat adhérent », il peut s’agir d’un simple usage fondé sur une décision politique, plutôt qu’un statut juridique inscrit dans les traités. D’ailleurs, notons à ce propos que la définition même du niveau à atteindre pour devenir formellement un Etat membre est flexible et sujette à une décision politique, du moment où la pratique de tous les élargissements précédents a consacré le recours à des périodes de transition, plus ou moins nombreuses, plus ou moins longues et relatives à des sujets plus ou moins essentiels. Aujourd’hui, certains s’offusquent devant l’idée d’une « période d’essai » où les nouveaux Etats membres n’auraient pas le droit de véto24. Mais la période de transition sur l’une des quatre libertés du marché intérieur25 n’était-elle pas plus lourde de conséquences réelles et concrètes en termes d’inégalités entre « anciens » et « nouveaux » Etats membres ? Autre exemple : la pratique des élargissements « post-Maastricht » a consacré l’idée qu’un Etat qui adhère ne doit que s’engager26 à viser une future adhésion à l’Union économique et monétaire. Si un Etat qui n’est pas encore prêt à participer à l’UEM peut adhérer, on peut tout à fait décider que d’autres domaines de l’intégration puissent également faire objet des efforts à fournir seulement après l’adhésion, sur des périodes plus ou moins longues23.
Nous avons proposé27 la création du statut d’Etat (membre) associé, une appellation sujette à débat28. Vaut-il mieux redéfinir celui d’Etat adhérent29 ? Quel que soit la terminologie préférée, l’essentiel est d’offrir aux Etats qui le souhaitent et qui accomplissent les efforts nécessaires un statut bien plus avantageux et plus valorisant que celui de « pays candidat », mais accessible bien plus vite que ce que le scénario le plus optimiste pourrait prévoir pour une adhésion pleine et entière.
Le « timing » est capital
Une évidence s’impose : la question du calendrier est fondamentale. Pour que cette nouvelle approche soit utile, crédible et mobilisatrice, il faut que le nouveau statut intermédiaire soit disponible dès 2026 pour des pays qui visent aujourd’hui une adhésion entre 2028 et 203030. Ce rythme semble aussi essentiel en direction de l’Ukraine, quelle que soit l’issue des négociations actuelles25.
Pour qu’il ne soit pas perçu comme un prix de consolation conçu pour retarder la vraie adhésion – ou, pire, n’en devienne pas un réellement ! – il faut qu’il soit accordé à un moment où cette dernière n’est pas une option à portée de main, c’est-à-dire avant la clôture de l’ensemble des 33 chapitres de négociations. A contrario, si on ne le proposait qu’à l’approche de la fin des négociations, ce statut deviendrait au mieux inutile, au pire contreproductif. L’enjeu est donc de bien définir la conditionnalité : nettement plus que ce que l’UE exige pour ouvrir les négociations, mais bien moins que ce qu’il faut pour adhérer.
Le contexte des négociations actuelles au sujet de l’Ukraine fournit à la fois l’occasion et une raison forte pour que l’UE lance une initiative significative. Si les combats cessent au prix des décisions difficiles acceptées par l’Ukraine, le renforcement crédible de la perspective européenne, promises par l’UE à de nombreuses reprises depuis 2022, pourrait bien faire partie de l’équation. Or, une adhésion « traditionnelle » rapide n’est une option ni réaliste, ni souhaitable – tant pour l’Ukraine que pour l’Union. Toutefois, laisser l’Ukraine s’enliser dans un processus similaire à ce qu’ont vécu les pays des Balkans occidentaux (à l’exception notable de la Croatie) n’est pas non plus une option raisonnable, tant elle serait porteuse des graves risques géopolitiques des deux côtés. Dès lors, une forme structurée, politiquement audacieuse et symboliquement puissante d’intégration graduelle semble la meilleure voie. Si elle réunit les éléments évoqués ci-dessus, elle sera de nature à réellement changer la donne et à accorder enfin les paroles et les actes en matière de l’élargissement de l’UE. Mais comme Robert Schuman en 1950, il faut reconnaître qu’ « il n’est plus question de vaines paroles, mais d’un acte, d’un acte hardi, d’un acte constructif ».
Notes
- Pour reprendre le terme de l’historien Timothy Snyder : Terres de sang. L’Europe entre Hitler et Staline, Gallimard, 2012. ↩︎
- Cf. dans le discours de la Présidente de la Commission européenne sur l’état de l’Union 2023, le passage sur l’état de l’Union : https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/en/speech_23_4426 ↩︎
- L’espace unique de paiement en euros (Single Euro Payments Area) ↩︎
- Macek, L. « Macédoine du Nord : problèmes de voisinage », », Repères du Centre Grande Europe, Institut Jacques Delors, mars 2025, https://institutdelors.eu/publications/macedoine-du-nord-problemes-de-voisinage ↩︎
- Chypre, l’Espagne, la Grèce, la Roumanie et la Slovaquie. ↩︎
- Voir aussi Mihajlović, M. & Macek, L. “New Growth Plan for the Western Balkans”, Brief, Jacques Delors Institute, March 2024 (https://institutdelors.eu/en/publications/new-growth-plan-for-the-western-balkans)↩︎
- Pourtant réelle grâce au mécanisme de conditionnalité autour des « agendas de réformes ». ↩︎
- Même si la récente visite d’Ursula von der Leyen à Belgrade et la tonalité du « paquet élargissement » publié par la Commission européenne le 4 novembre 2025 semble marquer une évolution. Cf. Maillard, S. : « Il faut sommer Belgrade de jouer le jeu de l’Union européenne » in Le Monde, 4 novembre 2025 (https://www.lemonde.fr/idees/article/2025/11/04/sebastien-maillard-politiste-il-faut-sommer-belgrade-de-jouer-le-jeu-de-l-union-europeenne_6651931_3232.html?random=990692995) ou Couteau, B. « Serbie et Union européenne à l’heure du choix », Blogpost, Institut Jacques Delors, octobre 2025 (https://institutdelors.eu/publications/serbie-et-union-europeenne-a-lheure-du-choix) ↩︎
- Selon l’Eurobaromètre de septembre 2025 (https://europa.eu/eurobarometer/surveys/detail/3413), si en moyenne 56% d’Européens se disent plus ou moins pour un futur élargissement, dans quatre pays ce soutien se situe en-dessous de la barre de 50% : en Allemagne (49%), en Autriche (45%), en République tchèque (43%) et en France (43%). ↩︎
- Ou une majorité des 3/5 dans chacune des deux chambres du Parlement, ce qui paraît difficilement atteignable dans le paysage politique français. Cf. Macek, L.; Chopin, T.; Lequesne, C., « L’élargissement de l’Union européenne et les réformes qu’il implique : l’état de la réflexion et du débat public en France », Policy Paper, Institut Jacques Delors, Novembre 2025 (https://institutdelors.eu/publications/fr-lelargissement-de-lunion-europeenne-et-les-reformes-quil-implique-letat-de-la-reflexion-et-du-debat-public-en-france) ↩︎
- Cf. Cf. Macek, L.; Chopin, T.; Lequesne, C. op. cit. ↩︎
- Divers termes co-existent, traduisant parfois des nuances sur le fond. Le débat a été ouvert notamment par des propositions visant une « adhésion par étape », par Pierre Mirel (https://old.robert-schuman.eu//fr/doc/questions-d-europe/qe-529-fr.pdf ; https://www.robert-schuman.eu/questions-d-europe/0633-pour-une-nouvelle-approche-avec-les-balkans-occidentaux-adhesions-par-etapes-avec-phase-de-c) et par les think-tanks CEPS Bruxelles et CEP Belgrade (https://www.ceps.eu/ceps-publications/a-template-for-staged-accession-to-the-eu/). ↩︎
- Résolution relative aux suites de la conférence sur l’avenir de l’Europe le 29 novembre 2023, T.A. n° 197 (https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/textes/l16t0197_texte-adopte-seance#) ↩︎
- Notamment : Macek, L.« Pour une adhésion graduelle à l’Union européenne », Policy paper 290, Institut Jacques Delors, mai 2023 (https://institutdelors.eu/publications/pour-une-adhesion-graduelle-a-lunion-europeenne) ; Macek, L., Maillard, S. & Mirel, P. « Un Agenda 2030 pour l’élargissement », Décryptage, Institut Jacques Delors, décembre 2024 (https://institutdelors.eu/publications/un-agenda-2030-pour-lelargissement) ; Maillard, S. « Pour un statut d’État associé », Policy Paper N°305, Institut Jacques Delors, octobre 2024 (https://institutdelors.eu/publications/pour-un-statut-detat-associe) ↩︎
- « Les pays qui ont signé le traité d’adhésion* obtiennent le statut de « pays adhérents » (…). Pendant la période intérimaire, les pays adhérents bénéficient de régimes spéciaux : ils sont tenus informés de la législation de l’UE au moyen d’une procédure d’information et de consultation et ont la possibilité de formuler des observations sur les propositions ; ils ont le statut d’observateur actif dans tous les organes concernés, au sein desquels ils ont le droit de s’exprimer mais pas de voter. » https://enlargement.ec.europa.eu/enlargement-policy/glossary_en?prefLang=fr&etrans=fr ↩︎
- Cf. https://www.cvce.eu/content/publication/2003/5/8/ec38d6e4-04db-4dd1-b4ab-4525c6d9da65/publishable_en.pdf »>https://www.cvce.eu/content/publication/2003/5/8/ec38d6e4-04db-4dd1-b4ab-4525c6d9da65/publishable_en.pdf ↩︎
- Cf. https://www.eesc.europa.eu/en/initiatives/enlargement-candidate-members-initiative ↩︎
- « Nous nous engageons en faveur d’une approche progressive de l’intégration pour les pays candidats qui ne remplissent pas encore toutes les conditions d’adhésion, mais qui mettent courageusement en œuvre des réformes – sans faire de concessions sur les critères ou sur l’intégrité du marché intérieur. Cela peut notamment inclure un « phasing-in » dans les programmes et les politiques de l’UE, l’octroi d’un statut d’observateur au Parlement européen et au Conseil de l’UE, ainsi qu’un statut de membre associé sans droit de vote dans certains domaines tels que la PESC/PESD. » (https://legrandcontinent.eu/fr/2025/04/15/contrat-de-coalition-allemand-le-texte-integral/) ↩︎
- Or, ce n’est pas le cas dans la proposition publiée par la Commission en juillet 2025. Pour plus d’éléments sur les coûts financiers des futurs élargissements voir Rubio, E., Couteau, B. and all « Adapting the EU budget to make it fit for the purpose of future enlargements », Other document, European Parliament, January 2025 (https://institutdelors.eu/publications/en-adapter-le-budget-de-lue-afin-quil-soit-a-la-hauteur-des-futurs-elargissements) ou cette infographie : https://institutdelors.eu/publications/les-couts-budgetaires-de-lelargissement-poser-les-bases-dun-debat-eclaire/ ↩︎
- C’est déjà le cas, depuis 2024, pour quatre pays candidats : l’Albanie, la Macédoine du Nord, le Monténégro et la Serbie. ↩︎
- La « nouvelle méthodologie » de 2020 insiste sur la réversibilité, mais ce principe peine à se concrétiser.↩︎
- Citation rapportée par Michel Foucher dans une entretien pour le Grand Continent (https://legrandcontinent.eu/fr/2018/06/27/penser-lunion-europeenne-a-lechelle-mondiale/).↩︎
- Cf. par exemple les propositions émanant de la société civile des pays candidats : https://cep.org.rs/wp-content/uploads/2023/06/Monitoring-Reforms-in-the-EU_-A-WB-civil-society-contribution.pdf ↩︎
- Une idée présente déjà dans le modèle d’adhésion par étape développé dès 2022 par les think-tanks CEPS à Bruxelles et CEP à Belgrade : https://cep.org.rs/wp-content/uploads/2023/01/A-Template-for-Staged-Accession-to-the-EU.pdf ↩︎
- Une période de transition sur la libre circulation des travailleurs a été accepté par l’ensemble des pays adhérant en 2004 et mise en œuvre par 12 « anciens » Etats membres sur 15.↩︎
- Cet engagement étant fort relatif, comme en attestent l’exemple de la Suède (qui a organisé un référendum sur ce sujet 8 ans après son adhésion) ou celui de la Hongrie, de la Pologne ou de la République tchèque qui ne fournissent guère d’efforts en ce sens, plus de deux décennies après leur adhésion.↩︎
- Cf. les références citées dans la note de bas de page n° 14. ↩︎
- Notamment à cause d’une possible confusion avec les accords d’association avec l’UE. ↩︎
- Ou bien de maintenir sa définition et changer complètement de logique en ce qui concerne les traités d’adhésion, en les signant de manière beaucoup plus précoce et en étalant la période de ratification ? Ou en redéfinissant de manière radicale la définition de la qualité du membre de l’UE, avec une adhésion précoce assortie d’un nombre beaucoup plus important de périodes de transition, couvrant des périodes nettement plus longues ? ↩︎
- Laissons ici de côté la question de savoir si c’est un objectif réaliste ou pas. Notons juste que le « paquet élargissement » publié par la Commission le 4 novembre 2025 s’inscrit aussi dans cette optique.↩︎



