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Comment maintenir la compétitivité des industries énergo-intensives et éviter les courses aux subventions inefficaces ?
Auteurs : Lukas Bertram (ZOE Institute for Future-fit Economies), Andreas Eisl (Institut Jacques Delors), Philipp Jäger (Jacques Delors Centre) & Philipp C. Verpoort (Potsdam Institute for Climate Impact Research)
Cette tribune a été publiée en premier lieu dans le Europe-Table-Briefing de Table.Media en anglais.
La version allemande du texte est disponible sur le site du Jacques Delors Centre.
Partout dans l’Union européenne (UE), les acteurs politiques et les groupes d’intérêt appellent à une baisse rapide des prix de l’énergie afin de soutenir les industries énergo-intensives en difficulté. Au niveau européen, le « Plan d’action pour une énergie abordable », présenté le 26 février en parallèle du Pacte Industrie Propre (Clean Industrial Deal), présente les réflexions de la Commission européenne sur la manière de baisser les prix de l’énergie à court et long terme, y compris en mobilisant de l’argent public.
Si certains États membres subventionnent massivement les prix de l’électricité alors que d’autres ne veulent ou ne peuvent pas le faire, cela conduirait très probablement à des distorsions de concurrence coûteuses. Elles entraveraient à la fois l’efficacité économique mais aussi les efforts déployés pour lutter contre le changement climatique. La Commission européenne, qui dispose d’une compétence exclusive en matière d’aides d’État, doit donc maintenant proposer un cadre politique qui évite les distorsions et encourage les investissements dans les industries énergo-intensives dans les régions où les prix des énergies propres sont bas à long terme.
Les écarts de coût de l’électricité persisteront
Le prix de l’électricité – le principal vecteur énergétique de l’avenir – diminuera dans l’UE au cours des prochaines années, grâce à l’augmentation des énergies renouvelables, du stockage, de la flexibilité de la demande et d’une plus grande intégration des réseaux entre les pays. Toutefois, de grandes différences entre les prix de l’électricité subsisteront : certaines régions de l’UE bénéficiant d’un profil favorable en matière de vent et de soleil auront une électricité beaucoup plus abordable. Au niveau mondial, les écarts seront encore plus importants. L’énergie nucléaire ne changera pas grand-chose à cette dynamique, car elle restera relativement chère.
Comme le transport d’électricité et d’hydrogène propre sur de longues distances restera coûteux, les écarts de coûts persisteront. Subventionner indéfiniment les prix de l’électricité pour les industries non compétitives n’est donc certainement pas une option souhaitable.
Une restructuration ciblée des chaînes de valeur peut être bénéfique
Pour les pays dont les prix de l’électricité risquent d’augmenter, la solution consiste probablement à importer des produits intermédiaires à forte intensité énergétique, tout en conservant les parties en aval des chaînes de valeur, qui créent généralement plus d’emplois et de valeur ajoutée. Dit autrement, les pays de l’UE sujets à des prix élevés que ce soit en matière d’électricité ou d’hydrogène, peuvent conserver leur industrie sidérurgique, mais devraient commencer à importer de l’éponge de fer réduite propre. Ce faisant, ils améliorent non seulement la compétitivité globale des entreprises, mais libèrent également de l’électricité propre pour décarboner des activités économiques non échangeables telles que le chauffage domestique ou les transports.
La politique de l’UE doit concilier l’efficacité économique avec les objectifs en matière de climat et de résilience
Par conséquent, les règles européennes en matière de droit des aides d’État doivent trouver un équilibre délicat : garantir l’efficacité des aides tout en évitant d’opérer des courses aux subventions, mais en autorisant les subventions qui ont des effets positifs importants sur le climat et la résilience. Pour ce faire, l’UE ne devrait autoriser les aides d’État aux industries énergo-intensives qui risquent de perdre leur compétitivité mondiale que si au moins l’une des quatre conditions suivantes était remplie :
- Pics de prix temporaires : Lorsque les prix de l’électricité connaissent un pic temporaire (en raison de coûts de transformation ou de pénuries temporaires de l’offre), le soutien aux industries à forte consommation d’énergie pourrait être justifié, à condition de pouvoir, sous couvert d’hypothèses, s’attendre à ce que les prix retombent raisonnablement à un niveau inférieur dans un délai court.
- Bénéfices indirects : La délocalisation d’industries à forte consommation d’énergie à l’intérieur ou à l’extérieur de l’UE (par exemple, l’industrie sidérurgique) pourrait entraîner des pertes économiques indirectes substantielles par effet d’entraînement dans les industries en aval (par exemple, dans l’industrie automobile). Dans ces cas, les États membres désireux d’accorder des subventions devraient être tenus de démontrer l’externalité positive du régime d’aide.
- Protection du climat : Dans certains secteurs difficiles à décarboner, l’UE est particulièrement bien placée pour développer des technologies propres, démontrant ainsi leur faisabilité et réduisant leurs courbes de coûts globales ainsi que les émissions. La Commission devrait définir une liste de biens et de technologies propres pour lesquels les subventions au prix de l’électricité sont généralement autorisées. Pour plus d’efficacité, ces subventions devraient être financées et allouées au niveau de l’UE, mais lorsque les fonds européens ne suffisent pas, les États membres devraient être autorisés à utiliser des fonds nationaux (par exemple par le biais de « auctions-as-a-service »).
- Résilience : Pour un très petit nombre de produits, les importations, même en provenance d’une base de fournisseurs diversifiée, peuvent entraîner des risques de défaut de résilience excessivement élevés, justifiant des subventions permanentes. La Commission devrait définir les produits pour lesquels c’est le cas et, si leur production n’est pas compétitive même dans les régions les plus favorables de l’UE, mettre aux enchères des subventions à la production. Cela permettrait de conserver une capacité de base qui pourrait être augmentée en cas de chocs d’approvisionnement.
Les régions de l’UE qui disposent d’une énergie propre bon marché peuvent voir d’autres conditions manquer, à l’instar d’un défaut de main-d’œuvre qualifiée. Mais contrairement au niveau d’ensoleillement ou de l’exposition au vent, la politique peut améliorer ces conditions. La Commission européenne devrait identifier les régions à « fort potentiel énergétique » et, conjointement avec les États membres et autres parties prenantes, mettre en œuvre une stratégie de requalification et de formation de la main-d’œuvre en plus d’un plan de construction des infrastructures nécessaires. Parallèlement, d’autres instruments peuvent atténuer les effets négatifs sur les travailleurs dans les régions confrontées à la perte de certaines industries.
Avec l’approche suggérée ici, l’UE a une véritable opportunité d’exploiter le potentiel de son marché unique pour bâtir un avenir industriel plus compétitif, résilient et durable.