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23/04/20

Crise du COVID-19: une occasion d’accélérer la transition vers un nouveau modèle de développement?

À la fin de son mandat de président de la Commission européenne, Jacques Delors a présenté ses réponses aux défis du XXIe siècle. Le chapitre 10 de son Livre blanc de 1994 sur la croissance, la compétitivité et l’emploi proposait un nouveau modèle de développement, qui mérite aujourd’hui que l’on s’y intéresse à nouveau.

Dès le début des années 90, Jacques Delors avait appelé à renforcer les mesures visant à lutter contre les inégalités croissantes et l’épuisement des ressources naturelles. À cette fin, il proposait de remodeler notre système fiscal afin d’alléger sa charge sur le travail et de donner un prix réel aux ressources naturelles. Au-delà, il envisageait de transformer radicalement notre système de production grâce à un modèle d’économie circulaire, un concept assez futuriste à l’époque. Cette vision delorsienne a été largement oubliée depuis (malgré les efforts de ceux qui n’ont jamais abandonné) jusqu’à l’arrivée de la présidente Von der Leyen et du Pacte vert pour l’Europe.

Il est essentiel que la crise actuelle du COVID-19 ne soit pas saisie comme une occasion de mettre de côté le Pacte vert pour l’Europe (espérons que ce n’est pas le sens de la lettre adressée mercredi par Business Europe au Conseil européen). Au contraire, la crise actuelle doit être transformée en une occasion d’accélérer la transition vers un nouveau modèle de développement, intrinsèquement plus respectueux de nos concitoyens et de notre planète.

La crise actuelle du COVID-19 illustre les liens étroits qui existent entre notre modèle de développement actuel et la fréquence croissante des crises sanitaires mondiales. Souvent d’origine animale, la propagation des pandémies mondiales, y compris celle du COVID-19, ne peut être dissociée des activités humaines telles que la déforestation, l’urbanisation rapide et le commerce illégal d’espèces menacées.

L’impact de ces crises, et en particulier de celle que nous traversons actuellement, est – au moins temporairement – favorable à notre environnement. Regardez notre ciel, plus bleu et plus calme que jamais. Écoutez le silence dans les rues. Les transports routiers et aériens représentent des sources importantes d’émissions de CO2, qui n’ont cessé d’augmenter partout dans le monde, y compris en Europe. La réduction drastique des émissions liées aux transports et aux activités industrielles nous permet de constater de manière spectaculaire les avantages environnementaux de cette évolution.

Cela signifie-t-il que nous devrions cesser de conduire et de prendre l’avion une fois la crise sanitaire terminée ? Bien sûr que non. Mais nous aurons, espérons-le, pris conscience que le télétravail est une option intéressante et que les réunions d’affaires nécessitant de longs déplacements peuvent parfois être tout aussi efficaces par vidéoconférence.

Alors que l’économie devra être relancée, nous devrions saisir cette occasion pour privilégier les processus à faible émission de carbone et les meilleures pratiques environnementales. À cet égard, il sera essentiel d’encourager le financement vert par le biais de la taxonomie, de la transparence et d’incitations ciblées. Le montant annuel des investissements nécessaires pour financer la transition en Europe est estimé à plus de mille milliards d’euros. S’il est clair que les dépenses publiques ne seront pas suffisantes, les fonds publics doivent servir de stimulant et d’assurance contre les risques pour les fonds privés. Le prochain CFP devra être profondément remanié afin de financer correctement le programme d’action post-crise, offrant ainsi beaucoup plus de possibilités de financement du pacte vert pour l’Europe. Au-delà, nous aurons besoin de nouveaux modèles de financement innovants. La Banque centrale européenne devrait promouvoir activement la transformation radicale vers une économie neutre en carbone. Enfin, la règle des 3 %, finalement acceptée dans le contexte de la crise du COVID-19, doit être mise en œuvre de manière flexible afin de faciliter le financement du pacte vert.

Les circonstances exceptionnelles appellent des mesures exceptionnelles. Mais pour y parvenir, les dirigeants européens doivent faire preuve de solidarité. Sinon, ils exposent l’Europe à un risque mortel, comme l’a averti Jacques Delors dans une déclaration publique très rare, commentant les résultats du dernier Conseil européen.