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Delors, artisan de paix
Discours prononcé à la cérémonie d’hommage européen à Jacques Delors le 31 janvier 2024 à Bruxelles
A un moment où, aux portes de l’Europe, le fracas des bombes et l’horreur des destructions, des souffrances infligées et des vies perdues nous hantent à nouveau, je voudrais évoquer brièvement un aspect méconnu de Jacques Delors. Méconnu, et pour cause, car il l’a toujours voulu garder discrète: son implication dans des processus de paix.
Son père, mutilé de la première guerre mondiale, lui avait inculqué l’espoir du “plus jamais ça” comme on disait à l’époque, espoir dont la déception avait marqué pour toujours le jeune homme emporté par la débâcle de 1939. Il abhorrait la violence.
C’est ce Delors là que j’ai vu opérer en artisan de paix dans deux occasions durant son temps la tête de la Commission. L’une ratée, l’autre réussie.
La première lorsqu’il a tenté de construire, avec Shimon Peres, une communauté régionale de l’eau entre Israël, la Palestine et leurs voisins. Une idée simple, inspirée de la Communauté du Charbon et de l’Acier des années 50 et qui fut ébauchée en secret avec le concours de quelques bons esprits, dont Avi Primor qui était alors l’ambassadeur d’Israël à Bruxelles. Elle ne vit, hélas, jamais le jour.
La seconde, réussie, celle là, en Irlande du Nord. Celle qui le conduisit , ici encore, grâce à un réseau de contacts tissé dans l’ombre à la suite d’une visite qu’il y fit en 1992, à mettre sur pied, à la demande des belligérants, un programme de coopération financé par le budget européen pour accompagner le cessez le feu de 1994. Ce programme fut adopté par le conseil européen d’Essen au moment de la fin de l‘ère Delors. Un point d’orgue, en quelque sorte, dont la note résonne encore aujourd’hui, puisque ce programme est le seul qui ait survécu au Brexit.
Delors incarnait, dans ces moments comme dans bien d’autres, un mélange d’ambition et de modestie qu’illustre l’anecdote suivante que je vous livre pour clore cet hommage sur une tonalité plus légère.
Nous sommes au début de 1985. Delors, fraîchement intronisé Président de la Commission, rend visite à François Mitterrand au palais de l’Elysée. Un porche qu’il avait cent fois franchi comme conseiller, une cour qu’il avait cent fois traversée comme ministre. Il voit les soldats de la garde républicaine sur le perron, en grande tenue, présenter les honneurs que le protocole réserve aux chefs d’Etat ou de gouvernement. Il entend les premiers roulements de tambour. “Ouh lala, me dit-il. Ils attendent quelqu’un d’important; viens, on va passer par la petite porte de derrière!”.
Merci à vous toutes et à vous tous de nous avoir aidés aujourd’hui à accompagner la sortie de Jacques Delors par la grande porte.
Merci à vous, Madame la Présidente de la Commission européenne, d’avoir pris l’initiative de cet hommage, et à vos équipes de l’avoir organisé et réalisé aussi parfaitement.
Merci pour nous, merci pour lui.