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27/06/25

Derrière la façade du Sommet de La Haye, le délitement du lien transatlantique

Les Sommets de l’OTAN sont des moments importants de la vie de l’Alliance en ce qu’ils doivent définir ses grandes orientations stratégiques, et accessoirement montrer la cohésion des alliés. Aucun de ces deux objectifs n’aura pourtant été atteint au Sommet de La Haye des 24 et 25 juin, le premier du second mandat de Donald Trump. La cohésion de l’Alliance, retrouvée à la faveur de la guerre en Ukraine, n’existe plus depuis l’élection de Donald Trump en novembre 2024, tant celui-ci s’est employé à défaire le lien transatlantique qui fait la crédibilité de l’Alliance. A tel point qu’une priorité du secrétaire général de l’OTAN Mark Rutte pour le Sommet fut d’en limiter la durée au strict minimum, afin d’éviter tout couac diplomatique avec le président américain, comme ce fut le cas lors du sommet de l’Alliance de 2018 à Bruxelles, et plus récemment lors du sommet du G7 au Canada.

L’abandon américain

Au cours des six derniers mois et jusqu’à la veille du Sommet de la Haye, les déclarations du président Trump mettant en doute la centralité de la clause de défense (article 5 du Traité de Washington) de l’Alliance et donc l’engagement américain à défendre ses alliés en cas d’attaque, à l’heure où les priorités stratégiques des Etats-Unis sont ailleurs (de la Chine à l’Iran), sont autant de fissures dans la cohésion et la crédibilité de l’Alliance.

Quant aux orientations stratégiques, la désunion des alliés rend aujourd’hui impossible tout accord sur la raison d’être de l’Alliance, et donc aussi sur sa trajectoire future. Certes la Déclaration finale du Sommet (longue de cinq petits paragraphes) rappelle l’« engagement indéfectible [des alliés] en faveur de la défense collective, consacré par l’article 5 du traité de Washington » et pose que les alliés sont unis « face à la menace que la Russie fait peser pour le long terme sur la sécurité euro-atlantique ». Mais le langage sur la Russie, en contraste avec celui des Sommets précédents, marque en creux le désaccord profond entre Américains et Européens sur la nature de la menace russe.

D’ailleurs l’engagement pris lors du sommet de Washington de 2024 de réviser l’ « approche stratégique » de l’Alliance à l’égard de la Russie n’a pas été tenu, en raison du rapprochement de Trump avec le président Poutine. De même, le président ukrainien Zelensky ne fut cette fois invité qu’au dîner officiel et non aux discussions, et bien sûr aucune mention de « l’avenir de l’Ukraine dans l’OTAN » (formule consacrée) n’apparait dans le Communiqué final.

Tétanie européenne

Pour les Européens, la remise en cause de l’engagement américain au sein de l’OTAN est source d’une forme de tétanie. L’abandon des Européens dont Trump est porteur les renvoie à leurs vulnérabilités et dépendance à l’égard des Etats-Unis. Surtout, ce que le Sommet de La Haye a une nouvelle fois montré est la détermination sans faille avec laquelle les Européens, et notoirement le secrétaire général de l’Alliance, tentent d’apaiser l’hégémon. Ne rien dire ou faire qui pourrait pousser le président Trump à claquer la porte, du Sommet ou, plus grave, de l’Alliance elle-même.

Ces derniers mois, la brutalité du président américain a certes donné lieu à des déclarations inédites de dirigeants européens en faveur de l’autonomisation de l’Europe ou de l’Européanisation de l’OTAN. Ainsi, le futur chancelier allemand Friedrich Merz déclarait-il peu après sa victoire aux législatives de février 2025 que sa « priorité absolue sera[it] de renforcer aussi vite que possible l’Europe afin que nous puissions, pas à pas, obtenir une indépendance vis-à-vis des Etats-Unis ». De son côté, le premier ministre polonais, Donald Tusk, recommandait que la Pologne « se dote des capacités les plus modernes en matière d’armes nucléaires et d’armement non conventionnel », ajoutant que des « discussions sérieuses » en ce sens avaient été engagées avec la France. Deux déclarations inimaginables, il y a un an, de la part de leaders de pays notoirement atlantistes. Pourtant, l’ensemble des pays européens restent suspendus aux déclarations du président américain, dans l’espoir que le pire ne se produira pas. Pour l’éviter, ils sont prêts à toutes les contorsions, y compris dans le domaine financier.

De nouveaux engagements de niveaux de dépenses

Car le Sommet de La Haye restera probablement comme celui au cours duquel les alliés se sont accordés, sous forte pression américaine, pour augmenter substantiellement leurs dépenses de défense. D’un objectif de 2% de leurs PIB respectifs consacrés à la défense (agréé par l’OTAN en 2014), les alliés sont en effet convenus de passer à 5%, divisés en 3,5% pour la défense au sens strict et 1,5% pour des dépenses connexes. Le chiffre de 5% avait été avancé par le président Trump en janvier. Et après avoir été qualifié d’absurde par tous les observateurs, il a fini par s’imposer. Sa division en deux catégories de dépenses a permis une plus grande acceptabilité. En pratique cependant, c’est le chiffre de 3,5% qui risque de faire référence plutôt que ceux de 5% ou de 1,5% consacré à des dépenses qui restent à définir et qui pourraient en outre ne pas relever de l’OTAN. Si les alliés ont, à l’exception de l’Espagne qui a obtenu une exemption, plié sur les promesses de dépense, peu nombreux sont pourtant ceux qui considèrent que l’objectif des 3,5% est atteignable (en 2035). Il l’est déjà ou le sera prochainement dans un certain nombre de pays d’Europe de l’Est, mais la France, l’Allemagne et le Royaume-Uni auront d’énormes difficultés à s’en rapprocher. Mais peut-être que le plus important fut la promesse de la dépense, afin de satisfaire M. Trump, et non sa mise en œuvre, qui doit dans tous les cas nous amener dans l’ère post-Trump.

Quel réveil européen ?

Bien sûr, la Déclaration finale du Sommet ne mentionne ni l’Union européenne ni l’Europe. Mais en appelant à une meilleure « coopération entre les industries de défense de part et d’autre de l’Atlantique » et à une Alliance devant s’appuyer sur ses « partenariats pour promouvoir la coopération entre industries de défense », les alliés font une référence à peine voilée à la nécessité pour les Européens de travailler à la mise en place d’une base industrielle de défense compatible avec ce qui se fait dans un cadre transatlantique. Notons également que le Sommet a inclus une réunion entre le secrétaire général de l’OTAN, le président ukrainien et les représentants de cinq pays européens (France, Royaume-Uni, Allemagne, Pologne et Italie) regroupés dans un nouveau format diplomatique – appelé E5 – lequel pourrait préfigurer le pilier européen dans l’OTAN en devenir.

Au final, les alliés ont, cette fois, réussi à préserver l’existence de l’Alliance. Las, les incertitudes qui persistent ne permettent pas aux Européens de penser sérieusement à ce qu’il conviendra de faire dans l’hypothèse d’un retrait effectif des Américains de l’OTAN. Car ils veulent toujours croire au maintien du rôle protecteur des Etats-Unis, et misent sur ce qu’ils doivent faire pour préserver le statu quo plutôt qu’ils ne pensent le scénario vertigineux d’une sécurité européenne sans les Américains.