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Discours à la cérémonie d’hommage européen à Jacques Delors
Discours prononcé le 31 janvier 2024 à Bruxelles
Les après-midi à 16h00, rue Saint Jacques. C’est une petite habitude qui m’a accompagné dès mon arrivée à Paris à la tête de l’Institut Jacques Delors. Une habitude pleine de bonheur et d’apprentissage. Une habitude heureuse.
La capacité d’écoute de Jacques Delors me fascinait toujours. Elle était à contretemps avec ce que l’on vit aujourd’hui. Aucun besoin de sa part d’imposer son point de vue ou son récit. Au contraire, le respect et l’intérêt pour l’interlocuteur sans renoncer à son propos, claire, limpide et surtout simple. Et nous savons combien être simples plutôt que complexes et bien plus difficile mais combien plus utile. Il était curieux du présent et anxieux de voir un futur meilleur.
Mais il aimait aussi parler du passé, toujours prêt à répondre aux curiosités. Il n’avait jamais le récit du vétéran nostalgique qui s’écoute parler, comme la fois où il me raconta la négociation nocturne qui l’emmena à échanger avec Margaret Thatcher des concessions fiscales de court terme où il a eu le feu vert a l’immense intuition du projet Erasmus. Un projet qui a changé la face de l’Europe et la vie de millions de familles européennes, qui a fait naître des centaines de milliers de petits et petites européens.
Son attention à Erasmus était l’attention aux jeunes. La joie qu’il ressentait lorsqu’il demandait régulièrement des nouvelles sur les avancées du projet jeunesse étudiante (l’Académie Notre Europe) lancé par l’Institut et qui aujourd’hui en huit ans a formé plus de cinq cent jeunes européens. Il va sourire là-haut en sachant que, en son nom, nous allons lancer la première édition de la “Jacques Delors European Agora” la première semaine de juillet 2024 avec des jeunes de toute l’Europe. Et tout ça dans une ville qu’il aimait et qui l’aimait, Lisbonne.
Les villes et l’Europe des territoires sont des sujets que Jacques Delors avait chevillé au cœur pour une Europe des citoyens. Il a mis les citoyens au centre du dessein communautaire. Il a voulu que l’Institut Jacques Delors ait l’engagement citoyen dans ses valeurs fondatrices. Ainsi, il a suivi avec passion les dernières évolutions de l’Europe citoyenne autour de la Conférence sur l’Avenir de l’Europe.
Son amour pour l’Europe n’était évidemment pas inconditionnel. Il était exigeant. Il savait critiquer et demander plus, quand il le fallait. Quand l’Europe faillit être importée par le Covid, fin mars 2020 au moment des blocages des médicaments et des frontières nationales fermées, il décida de parler et sa prise de parole fut importante. Son appel à la solidarité européenne fut écouté.
Il était fin connaisseur des personnes et de la profondeur de l’âme humaine. Il avait ses jugements forts et bien arrêtés. Il savait faire confiance et déléguait. Il savait surtout jauger les gens. Il savait vous faire parler comme seul sait faire un grand connaisseur de l’âme humaine, oserais-je dire, comme un grand confesseur.
Il suivait avec passion l’évolution de sa créature, l’Union européenne. Si pour lui une société sans mémoire n’avait pas d’avenir, il n’était pour autant ni nostalgique ni passéiste. Au contraire, il voyait les changements du monde et voulait une Europe qui change et soit à la hauteur des nouveaux défis, en particulier sur les sujets environnementaux et technologique d’un monde qui avait doublé sa population en trente ans. C’est exactement de cela dont il me parla lors du dernier rendez-vous à 16h00, rue Saint Jacques. Quand je lui avait demandé conseil pour le rapport sur le futur du marché intérieur il m’a dit “il faut que vous changiez la boussole, que vous mettiez les points cardinaux dans un nouvel ordre, il y a quarante ans nous devions partir de l’intérieur et régler surtout les relations entre France et Allemagne, maintenant il faut se projeter vers l’extérieur, comment l’UE, unie, se positionne par rapport au monde.”
Et puis encore “rappelez-vous que quand nous avons a lancé le marché unique – « nous » pas « je » autre nuance qui en disait long de la force intérieure de la personne qui n’aimait pas le « je » – cela a été un succès, car en parallèle, nous avons lancé la politique de cohésion. Sans cohésion il n’y a pas de marché unique”.
D’où son attention à la Grande Europe; ses dix années ont été celles de l’Europe des douze, mais son regard allait bien au-delà. Combien de fois ne m’a-t-il pas dit au sujet des activités de l’Institut, “faut sortir des vieux douze. Allez au-delà”. Il évoquait en particulier la Pologne et l’espoir d’avoir un jour un Institut Jacques Delors à Varsovie. De là aussi le nouveau-né à l’Institut, le Centre Grande Europe.
Le retentissement européen et mondial à la nouvelle de son décès nous a tous frappés. Cela veut dire que l’Europe a une âme. Cela veut dire que l’Europe c’est aussi et surtout les sentiments et les passions. Cela veut dire que le combat de Jacques Delors doit continuer dans le sens du “nous” et non du “je”, avec les citoyens, pour l’avenir des jeunes.