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Élections européennes : quête d’unité dans la diversité des gagnants
Sébastien Maillard, directeur de l’Institut Jacques Delors, dresse un bilan, à chaud, des résultats aux élections des députés au Parlement européen.
Avec une participation globalement en nette hausse, les élections européennes 2019 ont bousculé les rapports de force traditionnels dans l’hémicycle, au profit des centristes et des verts tandis que la progression des extrêmes reste contenue. Traits marquants d’un scrutin historique :
De nouveaux rapports de force à consolider
Les chrétiens-démocrates (PPE) et les sociaux-démocrates (S&D) ont perdu leur hégémonie traditionnelle dans le Parlement européen. Cette perte vient d’abord d’Allemagne, compte tenu du poids démographique de ce pays et de la place jusqu’alors prépondérante qu’y occupent ces deux groupes politiques. Avec près de 29% des voix, la CDU/CSU y arrive toujours première mais est en perte de vitesse. Avec respectivement 179 et 153 sièges dans l’hémicycle, les deux familles politiques dominantes de la vie politique européenne doivent composer avec les forces montantes que représentent les centristes (105 sièges) et les Verts (69 sièges).
La diminution des écarts entre ces quatre groupes politiques, d’une part, et, d’autre part, leurs dynamiques politiques respectives, ascendantes pour les écologistes et les centristes, déclinantes pour les sociaux-démocrates et les chrétiens-démocrates (qui comptaient 216 élus dans la précédente législature), font qu’aucun d’eux ne peut aiguiller l’institution, ni à deux, comme attendu (VERGER, C. et al. « Parlement européen 2019 : quel hémicycle ? quelle Europe ? », Décryptage, Institut Jacques Delors, octobre 2018). Cette situation plus fragmentée, où aucun vainqueur ne s’impose, empêche la logique des Spitzenkandidaten (têtes de listes des groupes politiques) de prévaloir comme en 2014, rendant la négociation pour les grands postes européens à pourvoir d’autant plus âpre et ouverte.
Les nouveaux rapports de force entre ces groupes politiques ne sont pas pour autant complètement fixés. Ils devraient encore être modifiés par le Brexit, dont l’échéance reste cependant très incertaine. En cas de départ des députés britanniques du Parlement européen, le PPE se retrouverait proportionnellement en meilleure position par rapport aux sociaux-démocrates et aux centristes, alors diminués respectivement des travaillistes et des Lib-Dems. En sens inverse, un éventuel départ du Fidesz du PPE, dont le parti conservateur hongrois est actuellement suspendu, diminuerait un peu le poids de ce qui demeure la première famille politique européenne, mais tout en lui donnant plus de cohérence interne.
Cette recomposition oblige en tout cas ses quatre protagonistes à s’entendre sur des priorités, que devrait énumérer une sorte de contrat de coalition, au risque sinon d’un gaspillage de l’influence potentielle que porte une combinaison de ces forces politiques.
Une dynamique verte à porter
Le nouveau Parlement enregistre une indéniable percée des Verts, concentrée pour l’essentiel en Europe de l’Ouest (Allemagne, France, Autriche, Finlande, Belgique francophone, Irlande, Luxembourg, Pays-Bas). Leur seul recul est paradoxalement en Suède, pays de l’égérie des manifestations pour le climat ayant égréné la campagne, Greta Thunberg. Outre-Rhin, Die Grünen se retrouvent propulsés en position de force, devançant de loin les sociaux-démocrates.
Cette dynamique a bénéficié d’un électorat jeune. Ainsi en Allemagne, 34 % des 18-24 ans ont voté pour des candidats écologistes, contre 11 % pour la CDU et 8 % pour le SPD. En France, cette tranche d’âge s’est aussi portée en premier lieu sur les Verts, qui y avaient déjà réalisé un haut score aux européennes de 2009.
Reste à savoir comment cette famille politique va gérer son net renfort en sièges, en particulier si elle est prête à rejoindre une coalition avec les trois autres groupes pro-européens et à quelles conditions. Au sein du Parlement, les Verts devraient en tout cas former un groupe efficace, organisé donc influent.
Leur élan est porté notamment par la question du climat, qui fut l’un des rares thèmes mobilisateurs de campagne à l’Ouest (VERGER, C. et al. « Propositions des principales familles politiques européennes sur les grands thèmes de la campagne pour les élections européennes », Décryptage, Institut Jacques Delors, mars 2019). Cette préoccupation environnementale n’a pas joué seulement en faveur des Verts, d’autres partis la soulevant aussi. La transition écologique s’impose donc dans la définition du programme de la future Commission.
L’essor des Verts ne doit pas masquer toutefois celui, moins médiatiquement commenté mais aussi remarquable, des libéraux-centristes. Leur groupe, qui sera renommé, bénéficie avant tout du succès de LREM en France et des Lib-Dems au Royaume-Uni mais aussi d’apports du Danemark, du Benelux, de Slovaquie et de République tchèque ou encore de Roumanie.
Au-delà des rapports de force partisans, ces votes libéraux et écologistes témoignent de nouvelles attentes politiques en Europe, auxquelles la prochaine législature se doit de faire écho.
Une vague nationaliste qui oblige à la vigilance
Le raz-de-marée nationaliste redouté n’a pas eu lieu, au-delà de victoires notables. Outre-Manche, le succès du Brexit Party de Nigel Farage en fait le plus grand pourvoyeur à lui seul d’élus au Parlement européen, avec 29 sièges. Autre importante victoire, celle de Matteo Salvini en Italie (34,33% des suffrages), dont le parti envoie la plus nombreuse délégation à l’extrême-droite (28 élus). Ailleurs les résultats sont plus relatifs, comme ceux de l’AfD en Allemagne. En France, le RN, bien qu’à nouveau en tête (23,3% des voix), perd un siège par rapport à 2014.
Ailleurs, à travers l’Europe, ces élections marquent une défaite pour diverses formations d’extrême-droite. Jobbik s’effondre en Hongrie tout comme Ataka, qui fait 1% en Bulgarie. Faibles scores aussi du parti néonazi Aube dorée en Grèce, de Vox en Espagne, d’Ekre en Estonie, du parti de Geert Wilders aux Pays-Bas ou encore de l’extrême-droite tchèque (SPD). Chez les souverainistes, le Parti du peuple danois sort grand perdant par rapport à 2014 tandis que les Démocrates de Suède n’arrivent que troisième.
À l’autre bout du spectre, la gauche radicale marque le pas, avec des scores très timides en France (LFI), en Allemagne (Die Linke) ou en Espagne (Podemos). En Italie, l’inclassable Mouvement 5 Étoiles est en net recul par rapport à sa victoire aux législatives de l’an dernier.
Bien que contenue par rapport aux pronostics et même si, sur le fond, ces partis n’ont pas fait campagne pour une sortie de l’Union, la vague de votes populistes n’est pas pour autant en reflux. Géographiquement marquée, elle appelle une vigilance continue des institutions européennes et une réponse globale aux diverses inquiétudes qu’elle exprime.
Une participation citoyenne à prolonger
Le grand vainqueur incontestable de ce scrutin européen est la participation. À plus de 50%, elle est la plus élevée depuis vingt-cinq ans. Soudaine, quasi-générale et d’une ampleur inattendue, elle interroge encore. La concomitance avec divers scrutins nationaux (Italie, Espagne, Roumanie…) l’a sans nul doute favorisée mais ceux-ci ne sauraient toutefois suffire à expliquer ce très net rebond, manifeste aussi en France, en Allemagne ou en Pologne.
Cette participation dépasse la seule mobilisation partisane ou la défense d’un camp. Elle exprime des attentes et des critiques vis-à-vis de l’UE. Peut-être répond-elle même à un réflexe de survie. Ce sursaut survient en effet dans un contexte, à la fois pesant et diffus, de montée des nationalismes, d’affirmation de régimes forts et, plus largement, d’un basculement vers un monde jugé plus menaçant, où l’échelon européen trouve toute sa pertinence.
Bonne nouvelle, cette participation citoyenne en hausse appelle des initiatives pour la prolonger tout au long de la législature. Elle renforce la légitimité du Parlement européen et lance un appel politique à saisir. Comme le résume Enrico Letta, président de l’Institut Jacques Delors, « les électeurs ont donné une chance à l’Europe ». Aux nouveaux élus et dirigeants européens aujourd’hui d’y répondre, au-delà de leurs divergences partisanes, pour bâtir une coalition au service des biens communs européens.
Sébastien Maillard
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