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28/03/12

[EN] L’UE, ses voisins et ses frontières

La signature récente du traité d’adhésion de la Croatie et les discussions sur l’espace Schengen ont relancé le débat sur les frontières de l’UE et, plus largement, sur les relations que l’UE devrait établir avec ses voisins. Ce débat, qui revêt également une importance symbolique majeure, doit être abordé en priorité sur la base d’une analyse globale englobant la « politique d’élargissement », la « politique de voisinage » et la gestion des « frontières extérieures » de l’UE.

1 – L’élargissement est à la fois un outil stratégique pour l’UE et une perspective encourageante pour nombre de ses voisins

La stratégie d’élargissement a été et reste un formidable outil de politique étrangère pour l’UE, qui lui a permis de contribuer à la stabilité politique et au développement économique de nombreux pays voisins, notamment en Europe centrale. Elle a également conduit à la création d’un espace regroupant quelque 500 millions de citoyens, avec tous les avantages que cela comporte sur le plan économique et diplomatique. Elle n’entrave pas non plus l’approfondissement des politiques européennes, qui peuvent être mises en œuvre soit au niveau de l’UE, soit dans un cadre plus restreint (comme l’a prouvé l’UEM).

La mise en œuvre de cette stratégie d’élargissement n’est probablement pas parfaite, mais elle gagnerait sans doute à être ajustée, notamment par

– un contrôle plus strict afin de garantir que les nouveaux membres appliquent les conditions contraignantes de leur adhésion, tant avant qu’après leur adhésion : cette exigence devrait s’appliquer tant à l’adhésion à l’UE qu’à l’adhésion à la zone euro et à l’espace Schengen ;

  • – une prise en charge accrue par l’UE des victimes des « délocalisations » que cette adhésion pourrait entraîner : le « Fonds européen d’ajustement et de mondialisation » peut être l’instrument permettant d’y parvenir, à moins qu’un outil spécifique ne soit créé sur le modèle des « programmes intégrés pour la Méditerranée » mis en place dans les années 1980 ;
  • – enfin, une définition plus claire des « nouvelles frontières » de l’UE, qui est nécessaire pour éviter que l’on ait l’impression que nous allons toujours de l’avant sans aucune prudence : cela implique une clarification du statut de tous nos voisins, qui n’ont bien sûr pas tous nécessairement vocation à adhérer à l’UE.

Sur cette base, nous pouvons affirmer que la politique d’élargissement n’a pas encore épuisé tous ses effets bénéfiques, en particulier en ce qui concerne les pays des Balkans occidentaux. Certains autres pays pourraient également devenir membres de l’UE à terme s’ils le peuvent ou le souhaitent, une remarque qui vaut tout autant pour l’Islande que pour la Turquie. L’essentiel est de garder à l’esprit que l’objectif premier de la politique d’élargissement est de « rapprocher l’Europe de ses voisins » plutôt que l’inverse, et qu’à cet égard, elle constitue un outil d’influence très précieux pour l’UE.

2 – « Élargissement ou pas », il est essentiel que l’UE développe une politique de « bon voisinage »

L’UE doit ancrer ses relations avec ses voisins sur une base commune fondée sur l’interdépendance et des valeurs partagées si elle veut promouvoir la prospérité et l’État de droit tout autour d’elle. À cet égard, le Printemps arabe lui offre une occasion historique de renforcer un autre pilier de son action extérieure, à savoir sa « politique de voisinage », en mobilisant davantage de ressources tant au sud qu’à l’est.

Conformément au principe de « différenciation », l’UE doit accorder des avantages supplémentaires aux États qui s’engagent à s’attaquer à leurs faiblesses récurrentes (népotisme, corruption, détournement de fonds, etc.) et adopter une position intransigeante à l’égard de ceux qui bafouent les droits fondamentaux, tout en s’efforçant particulièrement de soutenir la société civile dans son ensemble. Le succès des pays qui peuvent bénéficier d’un « statut avancé », tels que la Tunisie, l’Égypte, l’Ukraine et la Géorgie, servira de test décisif pour les autres pays en général et pour l’UE elle-même.

Le règlement des conflits qui menacent la sécurité et la stabilité de régions entières – l’année dernière en Libye, cette année en Syrie – exige également une forte implication de l’UE, car cela lui permettrait de se doter d’un véritable pôle d’influence au niveau international.

Cette politique de « bon voisinage » concerne également la Russie, avec laquelle l’UE doit progresser vers un partenariat stable et constructif fondé sur l’interdépendance dans des domaines aussi cruciaux que l’énergie, le commerce et la libre circulation des personnes, mais aussi sur la coopération dans les grands dossiers de sécurité aux frontières de l’UE (Caucase, Syrie, conflit israélo-palestinien, etc.) et au-delà (Iran).

Enfin, une politique de « bon voisinage » suppose une amélioration de la coopération avec les pays de l’Espace économique européen, y compris la Suisse et le Liechtenstein, et la promotion de la cohérence avec nos politiques internes, notamment en matière de lutte contre la fraude fiscale.

3 – Une gestion efficace des « frontières extérieures » de l’espace Schengen suppose une meilleure coopération entre voisins

S’en remettre aux pays voisins pour surveiller « ses propres » frontières terrestres et maritimes exige un niveau de confiance mutuelle sans précédent et très élevé entre les 26 pays qui composent l’espace Schengen. Il n’est donc pas forcément surprenant que, lorsque des problèmes surviennent à une frontière extérieure surveillée par l’un ou l’autre pays, les partenaires de ce dernier lui demandent des explications et débattent des mesures à adopter. Dans ce contexte, plusieurs facteurs doivent être pris en compte :

– la priorité politique est de renforcer les frontières extérieures vulnérables en améliorant le partage des tâches en termes de solidarité et de responsabilité : un approfondissement de la solidarité européenne (à travers le Fonds européen pour les frontières extérieures, l’agence « Frontex », les patrouilles conjointes, les « équipes d’intervention rapide aux frontières ») doit aller de pair avec une plus grande responsabilité des États membres de l’espace Schengen : cela exige que les pays présumés en faute jouent pleinement leur rôle tout en acceptant l’évaluation et l’assistance de leurs États membres partenaires et de l’UE afin de rétablir la confiance mutuelle qui est une condition préalable à de bonnes relations entre pays voisins ;

  • la surveillance fixe peut être rétablie aux frontières nationales dans certaines circonstances spécifiques et en dernier recours en recourant à des « clauses de sauvegarde », qui, dans l’état actuel des choses, sont applicables en matière d’ordre public, mais pas à l’immigration illégale ni à la surveillance défaillante des frontières extérieures. La référence aux postes de contrôle fixes montre l’importance symbolique que continuent de revêtir ces « frontières », mais si elles devaient devenir permanentes, elles auraient un impact très lourd sur les budgets tout en n’étant que relativement efficaces ; en outre, elles compliqueraient la vie des dizaines de milliers de personnes qui traversent les frontières pour travailler, étudier ou rendre visite à des proches sans formalités administratives ni longues files d’attente ;
  • les flux d’immigration clandestine ne sont pas dus principalement à une surveillance défaillante des postes-frontières fixes : environ deux tiers à trois quarts de tous les immigrants clandestins présents sur le territoire de l’UE sont en fait entrés dans l’UE en toute légalité, mais ont simplement dépassé la date limite de leur séjour ; ce manque de contrôle concerne l’ensemble des États membres et pourrait être partiellement résolu par la mise en place, à l’été 2012, d’un système européen d’échange d’informations sur les visas, puis, de manière plus complète, par la création d’un registre européen d’entrée et de sortie prévu à cet effet;
  • la prévention efficace de l’immigration clandestine repose avant tout sur un renforcement des contrôles mobiles dans un contexte compatible avec la liberté de circulation telle que définie par la Cour de justice; elle repose également, pour l’essentiel, sur le degré de coopération établi avec les pays de transit au moins autant qu’avec les pays d’origine des immigrants: c’est là un autre domaine dans lequel les accords conclus dans le cadre de la politique de voisinage revêtent une importance stratégique pour l’UE.