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27/01/12

[EN] Traités européens et démocraties nationales

Comme dans le cas des tensions entre l’UE et la Hongrie, la rédaction du « traité » sur l’Union économique et monétaire relance une fois de plus le débat sur la « démocratie européenne » : cette fois-ci, la question ne porte pas principalement sur le fonctionnement de l’UE et son « déficit démocratique », mais sur la manière dont l’UE peut influencer l’autonomie des démocraties nationales, dans des conditions qui doivent plus que jamais être clarifiées.

1 – L’Union européenne a une influence limitée et ciblée sur les choix démocratiques nationaux

Les interventions de l’UE depuis le début de la crise de la dette et la confusion qui entoure l’effet réel du nouveau traité – souvent entretenue pour des raisons de politique intérieure – continueront sans doute à alimenter le mythe d’une Europe omnipotente. Cependant, l’impact des interventions présentes et futures de l’UE sur les politiques économiques nationales varie considérablement :

? dans les « pays sous programme » (Grèce, Irlande, Portugal), l’UE fixe ses conditions. Elle agit temporairement aux côtés du FMI et selon le mode de fonctionnement de ce dernier, et aide les États membres qui ont de facto aliéné leur souveraineté au profit de leurs créanciers, en échange d’une consolidation budgétaire et de réformes structurelles soumises à une surveillance étroite pendant la mise en œuvre du programme d’aide ;

? en matière de surveillance des politiques budgétaires nationales, l’UE peut imposer des sanctions. La troisième partie du nouveau traité vise à renforcer le suivi prévu dans le pacte de stabilité et de croissance, dans le prolongement direct des dispositions adoptées dans le cadre du « six-pack ». Ces sanctions, comme jusqu’à présent, ne concerneront que les pays qui ont laissé leurs comptes se dégrader. Elles ne préjugeraient pas nécessairement des choix retenus pour redresser ces comptes : il appartiendra par exemple aux électeurs grecs et français de décider dans un avenir proche quelles propositions ils privilégient dans cette perspective.

? en matière de coordination des politiques économiques nationales, l’UE formule des recommandations. La quatrième partie du nouveau traité reprend plus ou moins les dispositions de la « stratégie Europe 2020 » et du « pacte Euro+ », ce dernier fournissant des indicateurs de suivi légèrement plus précis et misant sur un léger renforcement de la « pression des pairs ». En termes d’efficacité, on peut regretter que l’UE se comporte comme une « super OCDE » et ne dispose pas de moyens d’action plus efficaces. Mais cela peut se comprendre en termes de légitimité, le plus important étant de ne pas laisser croire que ces simples recommandations européennes puissent remettre en cause l’autonomie des démocraties nationales.

Les réactions européennes aux réformes entreprises par les autorités hongroises confirment la diversité de l’impact des interventions de l’UE, allant d’une protestation morale et politique bienvenue, d’une part, à des procédures d’infraction et des sanctions possibles dans les domaines où le droit européen semble avoir été enfreint, d’autre part. Cette distinction est d’autant plus importante à établir que l’UE appelle au respect de l’État de droit, à moins qu’elle ne souhaite être perçue comme pesant sans limite sur les choix démocratiques nationaux.

Dans un tel contexte, il est nécessaire de rappeler sans relâche que l’UE ne gouverne pas ses États membres et que, conformément au « principe de subsidiarité », ses compétences et l’impact de ses interventions normatives sont limités. En outre, si l’adhésion à l’UE confère des droits et impose des obligations, elle permet de facto et de jure une large autonomie à ses États membres, comme l’illustre la coexistence de choix nationaux très divers en matière économique, sociale, environnementale et diplomatique.

2 – Les politiques européennes reposent sur des décisions qui impliquent nécessairement les autorités nationales, dans des conditions que la crise de la dette a révélé comme nécessitant des clarifications

La cinquième partie du nouveau traité porte la marque de l’implication nécessaire des autorités nationales, poussées par la crise de la dette à prendre des décisions politiques difficiles, non seulement pour accorder des aides sans précédent à d’autres États membres, mais aussi, sous la pression de leurs créanciers, pour engager de profondes réformes structurelles.

Au niveau européen, ces choix requièrent une légitimité politique qui incombe logiquement aux chefs d’État et de gouvernement. Que tel ou tel chef d’État exerce un « leadership » particulier est une manière classique de procéder. Cependant, la crise actuelle a rappelé, à travers les critiques adressées au duo « Merkozy », que les questions de procédure formelle sont tout aussi importantes d’un point de vue politique.Pour être pleinement légitimes et acceptées au niveau national, les autorités représentatives européennes doivent expliquer et assumer la responsabilité des décisions européennes : les présidents du Conseil européen, de la Commission et de l’« Eurogroupe » sont les mieux placés à cet égard, tout comme le sera le « président des sommets de la zone euro » prévu par le nouveau traité, s’il s’agit d’une personne différente des trois précédemment mentionnées.

La crise de la dette a également placé les parlements nationaux au premier plan, notamment parce que ces derniers sont seuls habilités à débloquer les fonds accordés pour venir en aide à d’autres États membres. Leur implication restera légitime tant que des mécanismes de sauvetage basés sur des fonds communautaires n’auront pas été mis en place. Ils pourraient également être très utiles pour exercer un contrôle ex ante sur les budgets nationaux, dans le cas où une autorité européenne demanderait à un parlement de réexaminer un projet de budget national : il est en effet essentiel que cette autorité compte parmi ses membres des représentants dotés d’une légitimité démocratique correspondante, ce qui implique la présence de représentants des parlements nationaux et européens.

Toutefois, cela n’implique pas la création d’une nouvelle institution parlementaire dans le cadre du nouveau traité, ce qui créerait une confusion préjudiciable entre l’UE et le Parlement européen. Cela n’implique pas non plus que nous devrions ignorer la nécessité première d’un contrôle accru des parlements nationaux sur leurs gouvernements lorsque ceux-ci négocient et prennent des décisions à Bruxelles, ce déficit de contrôle parlementaire national étant l’une des principales sources du « déficit démocratique européen ».

3 – Les décisions de l’UE résultent de l’équilibre des pouvoirs entre les États et les partis, largement défini par la dynamique des démocraties nationales

Considération omniprésente pour les décideurs, parfois prise en compte par les analystes, l’équilibre des pouvoirs entre les États et entre les partis est le plus souvent mentionné de manière négative par les observateurs, comme s’il s’agissait principalement d’obstacles à l’action de l’UE, alors qu’il constitue le fondement même de la légitimité politique de cette dernière.

C’est ainsi que fonctionne l’équilibre des pouvoirs entre les familles politiques au sein des institutions européennes, conduisant à favoriser plus ou moins les politiques économiques et sociales d’austérité, ou à modérer les critiques à l’égard des autorités hongroises, dont les dirigeants appartiennent au parti politique qui domine aujourd’hui l’Europe, porté au pouvoir par les citoyens européens.

De la même manière fonctionne l’équilibre des pouvoirs entre les États membres, où ceux qui enregistrent les meilleures performances économiques et la plus grande cohésion politique influencent logiquement leurs partenaires – le cas des autorités allemandes en matière de stabilité budgétaire en est un exemple, qui fait une fois de plus écho à l’opinion publique du pays.

Enfin, c’est ainsi que fonctionne l’équilibre des pouvoirs au sein de chaque État membre, qui varie dans le temps et s’inverse au gré des élections nationales. Par exemple, ni la « Grèce », ni la « France », ni l’« Allemagne » ne sont des entités monolithiques, de sorte que les prochaines élections dans ces pays auront également un impact important sur la définition de leurs politiques nationales et européennes et sur l’évolution de l’UE.

L’UE n’est pas non plus « monolithique » : c’est pourquoi il est nécessaire de distinguer clairement les domaines qui relèvent de ses compétences et de ses institutions, et ceux qui relèvent des démocraties nationales, dont les interactions constituent la complexité, mais aussi l’essence même de la politique européenne.