[ENG] Contrôle des investissements directs étrangers en Europe
Cet article a été publié pour la première fois par E!Sharp.

Tous les États membres de l’UE souhaitent rester attractifs pour les investissements étrangers, qui sont indispensables au dynamisme économique. Cependant, les récentes acquisitions chinoises d’actifs dans des infrastructures de réseaux stratégiques (par exemple, le réseau de distribution d’électricité portugais par la société chinoise State Grid Corporation, 49,9 % de l’aéroport de Toulouse par la société chinoise Casil Europe, etc.) ont suscité de vives inquiétudes.
Les États-Unis restent de loin le premier investisseur étranger dans l’UE, représentant en 2015 41 % des stocks d’investissements directs provenant de pays tiers. En comparaison, le stock d’investissements directs chinois dans l’UE reste limité (2 % en 2015). Toutefois, une forte augmentation d’une année sur l’autre (plus de 90 % entre 2015 et 2016) et les réserves d’investissement public de la Chine (40 % du PIB) ont attiré l’attention sur les objectifs de ces rachats.
Dans certains cas, la priorité accordée aux intérêts économiques à court terme peut exposer non seulement un État membre, mais l’ensemble de l’Union européenne à des risques sécuritaires si le rachat d’infrastructures stratégiques profite à un pays tiers qui, qu’il s’agisse de la Chine ou d’un autre pays, s’avérait hostile.
Un zoom arrière sur les secteurs stratégiques ciblés par les IDE chinois dans toute l’Europe est encore plus alarmant. Il suffit de regarder les ports européens : la liste des grands ports dans lesquels des investisseurs chinois ont acquis ou prévu d’acquérir entre 20 % et 75 % des parts est déjà longue (Anvers, Zeebruges, Le Pirée, Rotterdam, Savone-Vado Ligure, Valence, Bilbao, Venise, Trieste, Gênes, Klaipeda, Kirkenes, etc.). Compte tenu du fait que l’initiative chinoise « One Belt One Road » (OBOR) s’étend à l’Europe, il convient de mieux anticiper les abandons irrévocables d’infrastructures européennes stratégiques.
Le manque actuel de transparence dans la structure financière des investissements chinois et les difficultés à suivre les subventions publiques chinoises, auxquels s’ajoute l’insuffisance des échanges d’informations entre Européens, ne permettent pas de mettre en place un mécanisme de filtrage couvrant l’ensemble de l’UE. Par ailleurs, l’asymétrie entre l’ouverture de la Chine aux investissements directs européens et les conditions proposées par l’Union européenne est au cœur des négociations bilatérales en cours menées par la Commission européenne. En Chine, les investissements étrangers sont soumis à deux types de contrôles. Le premier permet aux autorités de s’opposer à tout investissement étranger susceptible d’affecter la sécurité économique du pays, de concerner un secteur industriel important ou d’entraîner le transfert de marques traditionnelles chinoises à l’étranger. Le second consiste à vérifier si l’investissement vise un secteur interdit ou soumis à des restrictions d’accès conformément à une liste établie à la lumière des objectifs de la politique économique chinoise.
Jean-Claude Juncker a donc eu raison, dans son discours sur l’état de l’Union, de mettre en avant la création d’un mécanisme européen de filtrage des IDE dans les secteurs stratégiques comme une priorité de son mandat. La question est d’autant plus urgente qu’il n’existe pas de disciplines multilatérales en matière d’investissement : seuls les canaux bilatéraux sont disponibles.
Pour surmonter les réticences de pays comme la Suède, l’Irlande et la Finlande, la voie à suivre est bien sûr étroite, car elle doit s’appuyer sur un discours clair selon lequel un tel filtrage des IDE n’ouvre pas la voie à des formes indirectes de protectionnisme ou à l’adoption de mesures protectionnistes dans d’autres domaines. La Commission européenne a toutefois présenté une proposition équilibrée entre la préservation du pouvoir de décision des États membres en matière d’IDE et l’harmonisation des capacités de contrôle des investissements étrangers des États membres pour des raisons de sécurité nationale. Il s’agit d’une tentative intéressante de protection proportionnée sans protectionnisme, car la clause de sécurité nationale inscrite à l’article XXI des accords du GATT, bien que sujette à interprétation, limite certains échanges commerciaux sans tomber dans le protectionnisme.
L’objectif de Bruxelles est de rétablir le consensus nécessaire à une politique commerciale et d’investissement proactive à un moment où la contestation s’amplifie dans certains États membres. Parallèlement au renforcement en cours des instruments de défense commerciale, cette initiative contribuerait à renforcer la confiance des citoyens dans la capacité de l’UE à protéger les intérêts européens face à l’absence de réciprocité dans les pays tiers (dans des domaines tels que l’ouverture aux IDE, les marchés publics, les subventions, le dumping social et environnemental, la lutte contre la corruption, etc.
Sans viser uniquement la Chine, la mise en place de ce mécanisme de contrôle devrait également être considérée comme le point de départ d’une stratégie européenne sur l’OBOR, qui fait cruellement défaut à l’heure actuelle. Des investissements massifs sont réalisés sous cette étiquette et les Européens doivent identifier plus clairement les opportunités et les risques pour eux-mêmes. Il reste difficile d’évaluer où va l’OBOR et d’anticiper son impact potentiel sur l’Europe. Les données fournies par un dispositif européen de filtrage seraient donc très utiles pour suivre cette initiative lancée par Pékin, qui est autant géopolitique que commerciale.
Elvire Fabry
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