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01/10/25

Et si…

Infolettre octobre 2025

L’infolettre complète

« Et si… ». Cette simple locution ouvre la porte à tous les possibles, à des récits alternatifs qui, même s’ils relèvent de la spéculation, éclairent notre présent d’une lumière nouvelle. Et si, à la fin de la Guerre Froide, les dirigeants russes avaient choisi une autre voie? S’ils avaient opté pour un modèle inspiré de la construction européenne, créant une communauté d’États indépendants fondée sur la coopération économique et le droit, plutôt que sur la domination et l’impérialisme?

Aurions-nous évité les conflits et ingérence qui ont meurtri l’histoire récente de ces nations, et en particulier la guerre brutale en Ukraine ? C’est une hypothèse, bien sûr. L’histoire ne se réécrit pas et c’est l’inverse qui s’est produit. Dans sa volonté de reconstituer par la force, la sphère d’influence et la toute puissance russe, Vladimir Poutine a crée les conditions d’une violence contreproductive. Comme l’explique Guillaume Duval  dans son blogpost Pourquoi Poutine ne veut pas la paix. Elle déstabiliserait en effet son propre pouvoir. La poursuite de la guerre lui permet de maintenir son économie sous perfusion militaire et d’éviter les tensions sociales qu’entraînerait le retour de centaines de milliers de vétérans.

Pourtant, cette spéculation n’est pas vaine. L’histoire même de l’Union européenne illustre la puissance de ce modèle, alors que le plus souvent, nous ne mettons l’accent que sur les crises, la lenteur ou les humiliations plus récemment (qui sont aussi notre réalité, c’est vrai). Face à un monde « brutal et fragmenté », nous oublions parfois l’essentiel : notre Union est un succès historique envié, un espace de stabilité, de droit et de prospérité unique au monde.

Ce succès est d’ailleurs une source d’inspiration bien au-delà de nos frontières. En Ukraine ou en Moldavie, la demande d’Europe est forte, et elle l’est aussi partout où l’aspiration à la paix et au multilatéralisme est partagée. Même en interne, Eurobaromètre après Eurobaromètre, une majorité de nos concitoyens estiment que l’Europe est plus la solution que le problème. Mais ils expriment aussi, dans de nombreux pays, une colère et des craintes quant à leur avenir que nous n’avons pas encore réussi à calmer. Cette méfiance, particulièrement enracinée en France, alimente la montée des partis eurosceptiques et une demande de démocratie plus directe.

La situation exige donc que nous y répondions, mais aussi que nous revenions aux fondamentaux de ce qui a fait notre force. C’est le sens des travaux que nous avons menés ce mois-ci à l’Institut Jacques Delors.

Notre attachement à l’État de droit, d’abord. Face aux agissements du gouvernement hongrois, qui utilise systématiquement son droit de veto pour bloquer l’aide à l’Ukraine et diluer les sanctions contre la Russie, les mécanismes actuels se sont révélés être une « impasse ». C’est pourquoi nos collègues de Berlin, Thu Nguyen, Ulrich Karpenstein et Luke Dimitrios Spieker proposent une approche audacieuse : lancer une nouvelle procédure au titre de l’article 7, fondée non plus sur l’État de droit, mais sur une violation du principe de solidarité. Suspendre les droits de vote de la Hongrie est une mesure radicale, certes, mais elle pourrait s’avérer nécessaire pour sauvegarder notre sécurité et la capacité d’action de l’Union.

Notre capacité à répondre ensemble face à l’adversité, ensuite. L’ultimatum de Donald Trump, exigeant un blocage total des exportations d’énergies fossiles russes et des sanctions contre la Chine, est un « piège très dangereux ». Comme l’analyse Guillaume Duval, cette demande est avant tout motivée par les difficultés de l’industrie pétrolière américaine et vise à forcer les Européens à s’aligner sur Washington dans le conflit sino-américain. Si l’Europe doit bien sûr réduire sa dépendance énergétique restante vis-à-vis de la Russie, notamment pour le gaz naturel liquéfié, elle doit le faire selon ses propres termes, sans céder au chantage et au détriment de son autonomie stratégique.

Le renforcement de la résilience de l’économie européenne, avec l’infographie d’Elvire Fabry L’accord commercial UE-Mercosur à l’heure de la diversification des échanges. Alors que les entreprises sont confrontées à un climat géoéconomique très tendu, la signature de nouveaux accords commerciaux fondés sur des règles, offre de la prévisibilité, de la stabilité et de nouveaux débouchés pour les exportations européennes. Cette infographie passe en revue les engagements pris et l’impact estimé de l’accord alors que le texte est maintenant près pour sa ratification au Conseil et au Parlement européen.

Notre ouverture sur le monde encore au travers du Joint Policy Brief de Claudia Azevedo à Bruxelles qui présente une nouvelle génération de partenariats pour l’Union européenne les Partenariats pour le commerce et l’investissement propres (Clean Trade and Investment Partnerships – CTIPs). Leur objectif principal est d’aligner les politiques commerciales et industrielles de l’UE avec ses objectifs climatiques. Il s’agit de redéfinir les chaînes d’approvisionnement mondiales, de favoriser la coopération sur les énergies et technologies propres, et de soutenir une coopération réglementaire avec les pays partenaires. Plutôt que de remplacer les accords commerciaux existants, les CTIPs sont conçus comme une approche plus rapide, plus flexible et plus ciblée, rendant compatible échanges commerciaux et engagements européens en matière de lutte contre le changement climatique.

Enfin, l’ambition d’une Europe géopolitique toujours en chantier et en désordre de marche explique Nicole Gnesotto. Elle y met l’accent sur l’unité des Européens dans leur soutien à l’Ukraine depuis presque 4 ans et les progrès réalisés dont le niveau d’aide à l’Ukraine à présent plus important que celui des Etats-Unis. Elle déplore toutefois une certaine forme d’absence de vision stratégique : quel plan pour la sécurité de l’Ukraine ? Quel projet européen ?

Et plus important encore, notre aptitude à soutenir ceux qui en ont besoin et à préparer l’avenirLe projet REACH, auquel nous contribuons, vise justement à réinventer l’engagement citoyen autour des questions européennes, notamment l’État de droit et l’élargissement. Donner la parole aux citoyens, y compris les plus jeunes et les groupes sous-représentés, est essentiel pour renforcer la légitimité démocratique de notre Union et apaiser les craintes. De même, face à une jeunesse européenne « découragée, peut-être désespérée », il est urgent de redonner foi en l’avenir, comme Jacques Delors nous y invitait, en renforçant les outils qui matérialisent l’Europe, à l’image du programme Erasmus.

Alors oui, l’histoire aurait pu être différente. Mais l’avenir, lui, reste à écrire et alors que le rêve américain pâlit, pourquoi ne pas réinventer un rêve européen ? Au lieu de nous appesantir sur nos faiblesses, assumons ce que nous sommes et agissons pour renforcer ce que nous avons construit ensemble. C’est en cultivant cet esprit combatif et déterminé que nous rassurerons nos concitoyens, engagerons notre rattrapage économique et sécuritaire tout en poursuivant notre chemin de transition écologique et convaincront d’autres que l’avenir peut être différent si nous agissons ensemble et maintenant.