Etats-Unis dévalorisés, désir de défense européenne et soutien consolidé à l’Ukraine

INTRODUCTION
Ce document vise à dresser un état des lieux des attitudes et attentes des citoyens de l’Union européenne concernant la perspective d’une défense européenne commune, quelques mois après le retour de Donald Trump au pouvoir aux Etats Unis.
Il s’appuie principalement sur l’analyse des résultats du dernier Eurobaromètre, publié par la Commission européenne (enquête menée en mars-avril 2025 et publiée en mai[1]), complétée par d’autres éléments d’enquêtes, également évoqués plus brièvement.
UNE DEGRADATION BRUTALE DE L’IMAGE DES ETATS UNIS
Depuis l’Eurobaromètre de l’automne 2024, l’image des Etats Unis s’est spectaculairement détériorée. Alors que les opinions favorables et défavorables étaient jusque-là équilibrées (à 47% chacune), les premières sont tombées à 29% tandis que les secondes ont bondi à 67%. Si les Etats Unis restent encore perçus plus positivement que la Russie (avis favorables à seulement 14%, contre 83% défavorables), ils n’obtiennent désormais pas de meilleurs scores que la Chine.
La dégradation est généralisée à presque tous les Etats membres (avec quelques exceptions où la situation reste stable) et elle est particulièrement marquée dans des pays traditionnellement proches des Etats Unis (Danemark, -34% ; Pays-Bas, -32% ; Portugal, -26% ; Belgique, – 22% ; Allemagne, – 22% ; Pologne, – 19% ; Irlande ; – 18%) comme dans d’autres (Finlande, – 29% ; Suède, – 28% ; Lituanie, – 29% ; Espagne, – 25% ; France, Lettonie, Croatie, – 19%).
Le solde d’image des Etats Unis est négatif dans tous les pays sauf deux, la Pologne (56% d’opinions favorables contre 37%) et la Roumanie (65% contre 31%). En Hongrie, les avis sont équilibrés. Les écarts restent relativement faibles en Lettonie, Lituanie, Bulgarie et Chypre (moins de 10 points d’écart). En revanche, l’image américaine est fortement dégradée notamment dans des pays traditionnellement atlantistes – Pays-Bas (12% favorables, 88% défavorables), Danemark (13% contre 85%), Allemagne (17% contre 81%), Belgique (22% contre 77%), Luxembourg (19% contre 77%), Irlande (24% contre 73%) – ainsi qu’en Suède (18% contre 82%), Finlande (24% contre 75%), Espagne (19% contre 77%) ou Slovénie (25% contre 72%).
Une autre question portait sur le sentiment général quant à la direction prise dans les États-Unis. A l’automne 2024, 28% des sondés jugeaient que les choses allaient dans une bonne direction contre 52% dans une mauvaise (et 19% de réponses neutres) – un résultat légèrement inférieur à celui de l’UE (36 % « bonne direction », 51 % « mauvaise »). Six mois plus tard, le regard porté sur les États-Unis s’est fortement assombri : seuls 17 % estiment que le pays suit une bonne direction, contre 73 % une mauvaise alors que les réponses pour l’UE sont restées pratiquement inchangées (- 1 point).
Les reculs les plus marqués se constatent en Pologne (- 21 points), en Croatie (- 16 points), en Espagne, en Belgique (- 15% dans ces deux pays), en Allemagne, en Italie (- 14%), dans les Etats baltes (entre 9% et 14% de baisse), dans les trois pays nordiques (- 11%), en Autriche et en Slovaquie (- 12%).
UN LARGE SOUTIEN A L’IDEE D’UNE DEFENSE EUROPEENNE
81% des citoyens de l’UE se déclarent favorables à une politique commune de sécurité et de défense contre 15% qui y sont opposés. Cette adhésion, déjà très forte, s’est encore renforcée : +6 points depuis le printemps 2011, + 2 points depuis six mois. Dans l’ensemble des Etats membres, le soutien atteint ou dépasse 70%, ou approche cette proportion dans un pays (68% en Autriche).
Les taux les plus élevés se retrouvent en Allemagne (90%), au Luxembourg (89%), aux Pays-Bas (88%), en Belgique (85%), dans les pays nordiques (82% en Suède, 84% au Danemark, 88% en Finlande), dans les Etats baltes (entre 81% et 89%), et aussi en Espagne, au Portugal, en Italie, en Grèce, à Chypre et en Slovénie (80% ou plus).
Depuis l’automne 2024, certains pays enregistrent des hausses notables : + 17% au Portugal, +15% à Malte, +12 % en Suède, +10 % au Danemark et +8 % en Irlande. Par rapport au printemps 2011, on relève des progressions particulièrement fortes dans plusieurs pays : +27 points en Irlande et en Suède, +24 en Finlande, +17 au Danemark, et des hausses de 10 à 12 points au Portugal, aux Pays-Bas et en Allemagne.
D’autres études confirment cette tendance. En 2024, selon la Bertelsmann Stiftung, 87 % des citoyens de l’UE se déclaraient favorables à une défense européenne commune. Plus récemment, en mars 2025, une enquête pour Le Grand Continent menée dans neuf États membres montrait qu’une large majorité (70 à 80 % dans six pays – France, Allemagne, Espagne, Belgique, Pays-Bas, Danemark) – estime que l’UE doit compter sur ses propres forces plutôt que sur les États-Unis de Donald Trump. En Italie, Pologne et Roumanie, les majorités restent nettes, mais moins fortes (57 à 59 %).
Notons que la désaffection à l’égard des Etats Unis ne s’étend toutefois pas à ce stade à l’OTAN. 53%, des Européens déclarent lui faire confiance (contre 37%) – un chiffre en légère baisse (-3 points), proche de celui de la confiance en l’UE (52% contre 41%).
En parallèle, l’idée d’une politique étrangère commune recueille un soutien légèrement moins élevé (75 % favorables, 19 % opposés). Les Allemands sont les plus favorables (86 %), suivis des Chypriotes, Néerlandais, Lituaniens, Espagnols et Portugais (80 % ou plus). Les taux sont plus bas, mais toujours majoritaires (60 à 65 %), en Bulgarie, Tchéquie, Hongrie, Malte, ainsi qu’en France, Suède et Danemark. À noter une progression marquée depuis l’automne 2024 en Suède (+18 %) et au Danemark (+13 %), ainsi qu’au Portugal (+18 %), à Malte (+16 %) et en Estonie (+10 %).
Une réserve à cet égard s’impose toutefois : contrairement à la tendance communautaire (62% favorables), les Scandinaves demeurent réticents à l’idée générale qu’un plus grand nombre de décisions devraient être prises en commun au sein de l’UE (42% d’approbation seulement en Suède, 45% au Danemark), tout comme les Finlandais et les Tchèques, tandis que les Estoniens et les Irlandais sont très partagés.
Plusieurs propositions concrètes bénéficient d’un large soutien :
- le renforcement de la coopération en matière de défense (82 % favorables, +4 points depuis l’automne 2024) ; aucun score n’est inférieur à 68%.
- l’augmentation du budget de défense dans l’UE (69 %, +5 points), soutenue notamment dans les pays nordiques, la Pologne, l’Allemagne, les Pays Bas et le Luxembourg.
- une meilleure coordination des achats d’équipements militaires (81 %, +2 points) ;
- le renforcement de la capacité de production d’armements dans l’UE (73 %, +4 points), avec des scores particulièrement élevés (80 % ou plus) en Finlande, Danemark, Suède, Pays-Bas, Lituanie, Pologne et Portugal. Dans aucun pays, l’adhésion ne descend guère en dessous de 55 %.
UN SOUTIEN CONSOLIDE A L’UKRAINE
Les perceptions de la menace russe restent largement inchangées : 77% des Européens estiment que l’invasion russe de l’Ukraine constitue une menace pour la sécurité de l’UE (+ 1 point depuis l’enquête de l’automne 2024). Les scores les plus élevés (90 % et plus) sont observés dans les pays nordiques et au Portugal (90% ou plus), puis en Irlande, aux Pays-Bas, en Pologne, en Lituanie, en Allemagne, au Luxembourg et en Espagne (80% ou plus). Seuls Chypre (52 % contre 44 %) et la Bulgarie (56 % contre 36 %) affichent des niveaux inférieurs à 60 %.
Interrogés sur la menace pour la sécurité de leur propre pays, les répondants sont légèrement moins nombreux à exprimer des inquiétudes : 73 % contre 24 %. Les mêmes États membres affichent les plus fortes préoccupations, tandis que la peur est nettement plus faible en Bulgarie (50 %), en Grèce (58 %) et surtout à Chypre (30 % seulement).
72 % des citoyens soutiennent l’imposition de sanctions économiques contre le gouvernement, des entreprises et des personnalités russes (+1 point). Cette adhésion reste forte dans les pays nordiques, en Pologne, en Lituanie, aux Pays-Bas, en Irlande et au Portugal. En revanche, elle est plus fragile en Hongrie et en Grèce, très partagée en Bulgarie et minoritaire à Chypre.
L’idée de fournir une aide financière et humanitaire à l’Ukraine recueille l’approbation de 76 % des Européens (+8 points). Les soutiens les plus forts se trouvent en Suède, Finlande et Danemark (plus de 90 %), aux Pays-Bas, en Irlande et en Lituanie (85 % et plus). Seule la République tchèque reste (d’un seul point) en deçà des 60 %.
L’accueil des personnes fuyant la guerre est soutenu par 80 % des sondés (léger recul de 3 points), avec des niveaux d’adhésion globalement élevés ; la République tchèque est la moins favorable (53 %).
Proposition plus débattue, le financement de l’achat et de la livraison d’armements à l’Ukraine recueille 59 % d’avis favorables (+1 point), contre 36%. Là encore, Suédois, Finlandais (90 % et plus), Danois (86 %), Néerlandais (80 %) et Lituaniens (79 %) sont les plus favorables, tandis que l’approbation est minoritaire en Bulgarie, Grèce, Chypre, Hongrie, Slovénie, Slovaquie et République tchèque. En Italie, les avis sont partagés ; en Espagne, Malte et Roumanie, les majorités favorables sont faibles.
Quant à la réponse de l’UE face à l’invasion russe, 54 % des citoyens s’en disent satisfaits, contre 41 %. On enregistre en général les taux de satisfaction les plus élevés dans des pays particulièrement enclins à contrer les actions de la Russie et à prêter main forte à l’Ukraine : ils dépassent 70 % au Portugal, en Suède, au Danemark, en Pologne et en Roumanie ; ils sont supérieurs à 65 % en Irlande, aux Pays-Bas et en Finlande. À l’inverse, la satisfaction est faible en Grèce, Chypre et Slovénie (autour de 35 %), légèrement minoritaire en Lettonie, et quasi équilibrée en Bulgarie, Hongrie, Estonie et Espagne. En France, la majorité favorable est modeste ; en Allemagne et en Belgique, elle est à peine supérieure à 50 %.
Une nouvelle question, posée dans l’Eurobaromètre du printemps 2025) montre que 77 % des Européens souhaitent que l’UE soutienne l’Ukraine jusqu’à l’établissement d’une paix juste et durable. Les plus favorables (plus de 90 %) se trouvent dans les pays nordiques et au Portugal ; viennent ensuite les Pays-Bas, l’Espagne, la Lituanie et l’Irlande (plus de 80 %). Les majorités sont plus faibles en République tchèque (50 %) et à Chypre (49 % contre 44%), mais restent nettes ailleurs.
Enfin, l’octroi à l’Ukraine du statut de candidat à l’adhésion recueille 60 % d’avis favorables. Les plus favorables sont les Suédois et Portugais (plus de 80 %), suivis des Lituaniens, Finlandais, Irlandais, Danois et Espagnols. Les Tchèques (61 %) et les Hongrois (60 %) y restent majoritairement opposés ; les avis sont très partagés en Bulgarie, Slovénie et Chypre, et la majorité en Grèce demeure fragile.
CONCLUSION
Depuis le retour de Donald Trump au pouvoir, de nombreux Européens, y compris dans les Etats membres réputés les plus atlantistes, se détournent des États-Unis et doutent désormais des garanties de sécurité qu’ils apportaient jusqu’alors.
Dans ce contexte, l’aspiration à bâtir une véritable politique de sécurité et de défense au sein de l’UE progresse nettement.
Conscients de la menace persistante que représente la Russie, les citoyens continuent de soutenir majoritairement l’aide apporté à l’Ukraine. Ce soutien qui s’était lentement érodé depuis 2022, se stabilise et se renforce, malgré les réticences encore vives dans certains pays quant à certaines formes d’aide.
[1] Eurobaromètre Standard 103