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13/11/25

Europe-Amérique du Sud : une occasion manquée à rattraper d’urgence

Le sommet EU-CELAC du 9 novembre dernier en Colombie a été un échec. L’Union Européenne doit pourtant d’urgence se rapprocher de l’Amérique Latine, tant sur le plan géopolitique que géoéconomique. C’est la raison pour laquelle il faut ratifier sans tarder l’accord UE-Mercosur qui suscite des craintes surestimées.

Dimanche 9 novembre, se tenait un sommet entre la CELAC, l’organisation qui regroupe tous les Etats d’Amérique Latine et des Caraïbes, et l’Union Européenne, à Santa Marta dans le Nord de la Colombie à l’invitation de Gustavo Petro le président de ce pays. Mais sur les 60 pays membres de ces deux organisations seuls 13 chefs d’Etat et de gouvernement avaient fait le déplacement contrairement à ce qui s’était produit lors du précédent sommet du même type qui s’était tenu en 2023 en Argentine1. Du côté Européen on notait en particulier l’absence de la plupart des poids lourds de l’Union : ni Ursula von der Leyen, ni Friedrich Merz, ni Giorgia Meloni, ni Emmanuel Macron n’avaient jugé bon d’être présents.

L’Europe a cédé aux pressions de Donald Trump

Certains d’entre eux avaient certes été présents déjà quelques jours plutôt à Belem pour la COP 30, mais cet absentéisme résultait avant tout des fortes pressions exercées par Donald Trump à la fois sur les Etats de la région et sur les Européens. Il s’est opposé durement au président de gauche colombien et l’a même fait sanctionner personnellement, et considérait cette rencontre comme une incursion insupportable dans son pré carré. Cédant à cette pression, une grande partie des Européens ont donc choisi la politique de la chaise vide pour ne pas froisser un président américain qui ne cache pas ses volontés impériales vis-à-vis de l’Amérique du Sud, au nom en particulier de la lutte contre le trafic de drogue. De ce fait l’élan qui avait été donné sous le mandat précédent au rapprochement entre l’Union Européenne et l’Amérique Latine, notamment sous l’impulsion du Haut Représentant de l’Union Josep Borrell, se trouve de nouveau brisé.
Pourtant, si l’Union Européenne, ne veut pas être écrasée par l’étau qui se referme sur elle avec d’un côté l’autocrate Donald Trump et de l’autre l’impérialiste Vladimir Poutine, allié à la Chine de Xi Jinping, qui veulent tous deux la destruction de l’Union Européenne et la fin de la démocratie en Europe, il nous faut nous tourner résolument vers le Sud Global pour y trouver des alliés afin de sauver le multilatéralisme et le droit international et d’empêcher la loi de la jungle de régenter de nouveau le monde.

L’Amérique latine une priorité géopolitique et géoéconomique pour l’Europe

De ce point de vue, l’Amérique latine et ses 668 millions d’habitants doivent incontestablement constituer une priorité pour l’UE. Cette région est certes plus éloignée géographiquement de l’Europe que l’Afrique ou le Proche Orient mais elle en est cependant plus proche à la fois sur le plan culturel et linguistique et en termes de mode et de niveau vie. Elle est également la plus proche de nous en termes tant de démocratie que de soutien au multilatéralisme. Les relations de l’Amérique Latine avec l’Europe sont de plus nettement moins marquées par les séquelles conflictuelles d’un colonialisme qui relève d’une histoire nettement plus ancienne. Enfin, dans le contexte actuel, l’Amérique latine est elle aussi à la recherche d’alliés pour résister aux velléités impériales des Etats Unis trumpistes. Si l’Union Européenne renonce à développer rapidement ses liens avec elle, elle se tournera de plus en plus vers Pékin comme elle a déjà commencé à le faire.

Au-delà de cette dimension géopolitique, l’Europe doit développer d’urgence son « autonomie stratégique » sur le plan économique. Mario Draghi l’a indiqué dans son rapport sur l’avenir de la compétitivité européenne : cela implique bien sûr un bond en termes d’investissement au sein de l’Union Européenne elle-même. Mais, sauf à risquer un appauvrissement massif et généralisé, autonomie stratégique ne peut pas vouloir dire autarcie. Cela implique forcément de développer aussi nos relations économiques avec d’autres régions du monde que la Chine et les États-Unis, tant comme débouchés pour les exportations européennes de produits à haute valeur ajoutée que comme fournisseurs à des coûts moins élevés que les nôtres en substitution à la Chine. Et l’Amérique Latine peut devenir un partenaire privilégié de l’Europe sur ces deux plans.

Elle détient en particulier sur son sol de nombreuses matières premières indispensables pour réussir la transition écologique, du lithium mais aussi du cuivre ou encore des terres rares qui font défaut en Europe. Il ne s’agit pas bien entendu de revenir à une logique extractiviste où nous chercherions simplement à importer ces matières premières brutes depuis l’Amérique latine. Il nous faudra établir avec ce continent un partenariat privilégié où des capitaux et du know how européens aideront à construire des filières permettant d’exploiter ces matières premières en développant l’industrie et l’emploi sur place. Et cela d’autant plus que l’Amérique latine qui est déjà aux avant-postes du déploiement des énergies renouvelables aura aussi pour elle-même des besoins croissants à l’avenir.

L’accord UE-Mercosur a changé de signification

Malgré l’échec du sommet CELAC-UE du 9 novembre dernier, une nouvelle occasion va se présenter au cours des prochaines semaines de renforcer les liens économiques et politiques entre l’Europe et l’Amérique latine avec la ratification de l’accord entre l’UE et le Mercosur. Celui-ci suscite cependant en France une forte opposition du fait en particulier de risques redoutés de déstabilisation des marchés agricoles.

L’Union dispose déjà d’accords commerciaux avec tous les autres pays d’Amérique latine. Un accord étendu avec le Chili est en place depuis le 1er février 2025, un nouvel accord avec le Mexique devrait entrer en vigueur en février 2026 mais il manquait encore un accord avec le plus gros morceau de l’Amérique du Sud : le Mercosur et ses 270 millions d’habitants, un ensemble qui regroupe le Brésil, l’Argentine, le Paraguay, l’Uruguay et la Bolivie.

L’Union Européenne est déjà le premier investisseur étranger au sein du Mercosur mais les firmes européennes rencontrent encore pour l’instant beaucoup d’obstacles tant en termes de tarifs douaniers (35 % sur les automobiles, 35 % sur les vins, 28 % sur les fromages… ) que de normes. L’un des objectifs de l’accord UE-Mercosur est de réduire ces obstacles en abaissant fortement les droits de douane progressivement au cours des dix prochaines années (quinze pour les automobiles) et en harmonisant les normes. L’accord prévoit également l’obligation pour les Etats qui en sont partie d’agir dans le cadre de la Convention des Nations Unies sur la lutte contre le changement climatique et de l’accord de Paris sur le climat, ce qui dans l’immédiat empêchera l’Argentine de Javier Milei d’imiter Donald Trump en sortant de cet accord. Le Mercosur s’engage également à faire cesser toute déforestation d’ici 2030.

Les risques en matière agricole sont surestimés

Ce sont surtout les exportations de produits agricoles du Mercosur vers l’UE qui suscitent les craintes et les critiques à propos de cet accord. Les produits importés en Europe devront respecter intégralement toutes les normes européennes, y compris l’absence d’OGM et celles de pesticides interdits en Europe. La Commission Européenne s’est engagée à renforcer les contrôles correspondants. Les 99 000 tonnes de bœuf qui pourront rentrer en Europe avec des droits de douane réduits à 7,5 % représentent 1,5 % de la production européenne et moins de la moitié des 206 000 tonnes actuellement importées de la région. La même chose vaut pour les 180 000 tonnes de volaille qui seront importées sans droits de douane. Elles pèsent 1,3 % de la production européenne et nettement moins que les 293 000 tonnes déjà importées aujourd’hui. Un quota de 650 000 tonnes d’éthanol sera également ouvert pour l’industrie chimique et celle des carburants européens permettant d’y consolider des emplois tout en limitant les surfaces agricoles dédiées aux agrocarburants en Europe.

Et dès maintenant, seuls des produits ne provenant pas de zones déforestées auront le droit de rentrer dans l’Union. La Commission estime négligeable les risques de déforestation supplémentaire associés à la mise en œuvre de cet accord mais des ONG contestent cette affirmation et mettent en avant le chiffre considérable de 700 000 hectares supplémentaires déforestés à cause de l’accord UE-Mercosur. Une telle évolution serait tout d’abord contraire à la politique mise en œuvre actuellement avec détermination et succès par le gouvernement Lula au Brésil. Si une hausse sensible de la déforestation devait cependant être effectivement constatée, elle contreviendrait clairement aux engagements explicites pris par le Mercosur dans le cadre de l’accord et l’Union Européenne serait en droit d’en suspendre l’application.

L’autre sujet qui suscite des inquiétudes concerne l’inscription dans cet accord d’une clause dite de compensation : si le changement de politique dans un domaine donné décidé par une des parties après l’entrée en vigueur de l’accord devait affecter négativement les exportations de l’autre partie, la partie affectée serait en droit d’obtenir des compensations. Une telle clause parait cependant plutôt raisonnable. Elle est d’ailleurs à la base des relations commerciales internationales depuis 1994 déjà puisqu’elle figurait telle quelle dans les accords du GATT, préfiguration de l’OMC, auxquels l’UE avait souscrit. Cela n’a pas empêché cependant l’UE de renforcer considérablement ses politiques environnementales depuis trente ans.

Enfin un acte juridique spécifique sera présenté dans les semaines qui viennent par la Commission Européenne pour mettre en œuvre des mesures de sauvegarde en cas de déstabilisation des marchés européens par un accroissement trop rapide des importations en provenance du Mercosur.
Bref, sous réserve d’inventaire, les craintes – légitimes – d’une déstabilisation de l’agriculture française par cet accord semblent excessives. D’autant que les exportations européennes agroalimentaires vers le Mercosur devraient elles aussi profiter de cet accord. Outre la baisse des droits de douane, le Mercosur va en effet également reconnaitre 344 Indications Géographiques Protégées (IGP) pour les produits agroalimentaires européens.

Ne pas y aller à reculons

Dans le monde de Trump et de Poutine, le rapprochement Europe-Amérique Latine est un impératif tant géopolitique que géoéconomique. Dans ce contexte les avantages de l’accord UE-Mercosur, semblent bien excéder significativement les risques qu’il comporte. Et la France aurait tout à gagner à ne pas s’isoler en Europe par son opposition à cet accord et à essayer de tirer le plus rapidement possible profit des nouvelles opportunités qu’il offre à son économie comme à sa diplomatie.

1. Du côté européen étaient présents Antonio Costa, président du Conseil Européen, Luis Montenegro, premier ministre portugais, Petteri Orpo, premier ministre finlandais, Pedro Sanchez, premier ministre espagnol, Dick Schoof, premier ministre néerlandais, Andrej Plenkovic, le premier ministre croate. Pour les Latino-américains, Gustavo Petro, président de Bolivie, Lula da Silva, le président brésilien, Mia Amor Mottley, première ministre des Barbades, John Briceno, premier ministre de Belize, Yamandu Orsi Martinez, président de l’Uruguay, Mark Philips, premier ministre de Guyana, Terrance Drex, premier ministre de Saint Kitts et Nevis.