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04/06/25

Gaza en face

Comment éviter le piège que nous tend l’histoire du conflit israélo-palestinien ? Nos démocraties sont écartelées entre deux impératifs également nécessaires. D’un côté, il faut défendre le droit d’Israël à exister, à se défendre, à prospérer dans une sécurité maximale, par principe d’abord, et parce que les attentats terroristes du Hamas, le 7 octobre 2023, donnent à cette exigence une actualité quotidienne. De l’autre, il faut défendre le droit international, le droit humanitaire, le droit de la guerre, ce qui implique la reconnaissance d’un peuple palestinien, son droit à l’existence dans un Etat indépendant aux côtés de l’Etat d’Israël, le refus de l’occupation de Cisjordanie, et la dénonciation des horreurs imposées par Israël aux populations de Gaza.

Comment faire ?

Le silence n’est pas une option. Pendant des semaines, les chancelleries occidentales ont fermé les yeux, à quelques exceptions près – l’Espagne, l’Irlande, la France – sur les souffrances des civils de Gaza. Au même moment, l’Europe a voulu et su témoigner à l’égard des Ukrainiens d’une assistance et d’une éthique maximales : ce faisant, elle a donné chair aux reproches d’hypocrisie et de politique du « deux poids deux mesures », dont tous les pays du Sud nous accusent.

La défense unilatérale des Palestiniens est une option pire encore : c’est ce qu’a choisi la gauche de LFI, ce qui l’amène de facto à adopter et encourager l’antisémitisme en France et l’antisionisme partout. Oublier les causes de la guerre en cours à Gaza, nier la nature et l’objectif terroristes du Hamas, ne servent ni la cause du peuple palestinien ni la sécurité d’Israël.

Mais la défense unilatérale d’Israël se révèle également impossible : impossible de fermer les yeux sur les crimes de guerre de l’armée israélienne à Gaza, sur les propos ouvertement fascistes de certains membres du cabinet de Netanyahou, sur les protestations d’une partie des Israéliens eux-mêmes, et de quelques-uns de nos meilleurs intellectuels, juifs ou pas.

Telle est l’aporie stratégique qui nous défie : choisir de ne défendre que l’une des deux parties entraine la trahison de nos principes ; ne pas choisir amène l’impuissance, et donc le laissez-faire et la loi du plus fort.

Il est urgent que l’UE sorte le plus vite possible de cette impasse et de la confusion intellectuelle qui la nourrit. Cela suppose de défendre et d’assumer clairement les trois postulats suivants, également nécessaires :

  • Dénoncer la politique d’un gouvernement en Israël ne signifie pas être antisémite ou hostile à l’existence de l’Etat d’Israël.
  • La mauvaise conscience occidentale vis-à-vis de la Shoah ne peut pas être un argument pour laisser faire les crimes de guerre du gouvernement Netanyahou.
  • Reconnaitre l’existence d’un Etat palestinien ne signifie ni légitimer les terroristes du Hamas ni mettre en doute ou en danger l’existence de l’Etat d’Israël.

L’Union européenne a toutes les compétences et pas mal d’instruments pour mettre en œuvre ces principes. Les Européens ont signé avec Tel Aviv, pourtant située hors du continent européen, une série d’accords commerciaux ou culturels qui font d’Israël un partenaire plus proche de l’UE que n’importe quel autre pays non membre : l’accord d’association (2000) permet le libre-échange de la plupart des produits agricoles et industriels ; Israël participe aussi  aux programmes de recherche Horizon (95 milliards d’euros pour la période 2021-2027), au programme Galileo (le système de positionnement par satellites), ou au programme Erasmus + (échanges d’étudiants).

Devant la poursuite des opérations militaires et le blocus de l’aide humanitaire à Gaza, plusieurs pays membres commencent à réagir. Le nouveau chancelier allemand, Friedrich Merz, considère que les « agissements d’Israël ne peuvent plus être justifiés ». Les Pays-Bas, soutenus par d’autres pays dont la France, ont demandé le réexamen de l’accord d’association, ce que le Conseil a approuvé le 20 mai dernier.  Le commerce est en effet la carte majeure de l’UE qui est le premier partenaire d’Israël (elle reçoit 24% des exportations d’Israël et y effectue 31% de ses importations en 2022). Sur le plan militaire en revanche, l’UE n’a aucune compétence donc aucun accord avec Israël : ce sont les Etats membres qui vendent ou non des armes à l’Etat hébreu, et qui seuls peuvent décider de cesser ces transferts, comme vient de le décider l’Espagne.

Sur la base de ce tableau, nombreuses sont les options susceptibles d’infléchir la politique du gouvernement Netanyahou. Ce sont d’abord les produits agricoles provenant de Cisjordanie occupée qui pourraient être exclus de l’accord d’association, et donc taxés, voire simplement refusés. Ce sont ensuite les bases même de l’accord qui pourraient être dénoncées car violées : l’article 2 stipule en effet que « les relations entre les Parties, de même que toutes les dispositions de l’accord lui-même, sont fondées sur le respect des droits de l’homme et des principes démocratiques, qui inspirent leur politique intérieure et internationale et constituent un élément essentiel du présent accord ». La dénonciation des accords liant Israël aux autres programme européens représente également une option possible.

La partie est difficile pour les Européens, écartelés entre le respect des principes démocratiques et du droit international d’un côté, et la lutte contre l’antisémitisme et l’antisionisme de l’autre. Mais la ligne est claire : la condamnation de tous les crimes de guerre et de génocide, quel que soit le conflit en cours, est un impératif. Benjamin Netanyahou peut tout à fait décider de renier la démocratie et salir l’image d’Israël.  Les pays membres de l’Union ne peuvent ni ne doivent être complices de ce renversement catastrophique de l’Histoire.