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Il faut relancer l’élargissement européen sur le principe d’intégration graduelle
Chronique publiée en partenariat avec L’Opinion
Vingt ans après le « big bang » de 2004, reconnaissons enfin la dynamique d’élargissement pour ce qu’elle est : l’un des plus grands succès du projet européen. Non seulement elle prouve sa formidable attractivité mais elle en est l’essence même : c’est en s’élargissant que la construction lancée en 1950 devient véritablement « européenne ».
A contrario, l’agression russe contre l’Ukraine met en évidence les coûts du non-élargissement. Comparons : d’un côté, les pays qui ont, dès leur sortie du communisme, bénéficié d’une perspective européenne claire et ont pu rejoindre l’Union dans les années 2000. De l’autre, ceux qui, pour des raisons à la fois internes et géopolitiques, ont été privés de cette perspective. Entre les deux, les Balkans occidentaux, engagés tardivement dans un processus enlisé et décrédibilisé.
Certes, tout n’est pas rose dans les pays qui ont adhéré à l’UE depuis 2004 : les bénéfices de l’intégration européenne relèvent surtout d’une opportunité que certains saisissent mieux que d’autres. Qu’il s’agisse du développement démocratique ou économique et social, le bilan est contrasté. Mais les exceptions ne font que confirmer la règle : les pays qui ont pu et su monter dans le train de l’intégration européenne dans les années 1990 connaissent une ère de prospérité politique et économique sans précédent et une solide convergence avec l’Europe occidentale. Une dynamique dont profite cette dernière : sur le plan politique, grâce à un voisinage stabilisé et un poids géopolitique accru. Quant à l’économie, ne citons qu’un exemple : en 2023, les exportations françaises vers les « nouveaux Etats membres » représentaient 40,4 Mld€, contre 25,4 Mld€ pour la Chine. A l’inverse, la partie de l’espace post-soviétique à laquelle les Européens n’ont pas voulu ou osé offrir une perspective d’adhésion, apporte hélas une nouvelle illustration du diagnostic de Robert Schuman : « L’Europe n’a pas été faite, nous avons eu la guerre. » Alors, qu’est le plus cher ? Intégrer nos voisins dans notre système de valeurs et de règles ou bien les laisser en proie aux passions violentes et aux influences hostiles ?
Aux nostalgiques de la « petite Europe », rappelons que l’UE à 27 n’a jamais été paralysée autant que l’Europe des Six a pu l’être ou qu’elle a réagi aux crises économiques en 2008 et 2020 nettement mieux que les Neuf dans les années 1970. Ou encore qu’elle a su s’entendre sur de nombreux dossiers difficiles : le Pacte vert, l’achat et la répartition des vaccins, l’aide à l’Ukraine…
Il faut relancer l’élargissement pour répondre à l’aspiration légitime de ceux de nos voisins qui rêvent d’emprunter la voie européenne, bien placés qu’ils sont pour mesurer à quel point il est indécent et inepte de comparer Bruxelles à Moscou. Et pour servir l’intérêt de l’UE, en continuant à exporter son modèle. Ce ne sera ni facile, ni rapide, tant les situations des candidats sont complexes. Il faudra repenser, avec courage et créativité, la méthode même de l’élargissement. La Communauté politique européenne inspirée par Emmanuel Macron, le Pacte de croissance pour les Balkans lancé récemment par la Commission européenne ou encore les propositions du rapport Letta sur le marché unique ouvrent des pistes que l’Union devrait faire converger vers une nouvelle stratégie, fondée sur le principe d’intégration graduelle : une approche plus progressive et plus nuancée que celle de 2004, permettant de concilier les aspirations des candidats et les appréhensions des membres.