Blog post

INFOLETTRE JUIN 2023

Chisinau, capitale de l’Europe

Citer cet article
Maillard S. 2023. « Chisinau, capitale de l’Europe« , Infolettre juin 2023, Paris : Institut Jacques Delors


Implaçable sur une carte, Chisinau va être propulsé, ce 1er juin, au centre de tous les regards. En accueillant 47 chefs d’Etat ou de gouvernement du continent entier, la capitale moldave devient celle de toute l’Europe, le temps d’un sommet. Celui de la Communauté politique européenne (CPE), format encore nouveau et en devenir, né de l’agression russe et de la nécessité de se retrouver entre seuls dirigeants européens, au-delà de l’appartenance actuelle, ancienne, future ou inenvisagée à l’Union européenne. Deuxième sommet du genre, après celui inaugural du 6 octobre dernier, c’est le plus grand événement politique international jamais accueilli par cette ville de la Bessarabie. La prouesse d’y organiser un sommet d’envergure pose déjà, en soi, un acte de résistance face aux tentatives de déstabilisation que subit cette ex-République soviétique. Moscou y encourage la sécession d’une partie du territoire, où stationnent illégalement des troupes russes. En posant le pied en Moldavie, les dirigeants européens font bloc derrière ce pays enclavé, directement ébranlé par la guerre dans l’Ukraine voisine, dont il a accueilli plus de 700 000 déplacés. Ils signifient à Poutine, pacifiquement mais fermement, que sa prétendue sphère d’influence a volé en éclats, que la souveraineté de ce petit pays neutre est à respecter et que les aspirations de ce candidat à l’UE sont à encourager. Tout comme les réformes entreprises à cette fin par la présidente Maia Sandu, dont la Commission rendra une première évaluation ce mois-ci.

Fondée sur l’égalité de ses pays membres, quel que soit leur poids, la CPE prend l’inverse de la logique impériale. Les dirigeants de petits pays s’y affichent avec les grands. Ceux en train de négocier leur adhésion à l’UE conversent à tu et à toi avec leurs homologues européens, sans ici leur étiquette de « candidats ». Le sommet de Chisinau rappelle qu’à 47, l’Europe reste à bien des égards une collection de petits Etats. Que la paix du continent repose sur leur égale dignité et que leur proximité géographique lie leurs intérêts. A Chisinau, l’Europe entière se donne à voir au monde et à elle-même.

Quid du jour d’après ? Lorsque la « photo de famille » aura été prise, que les délégations auront plié bagage et les médias, déserté les rues de Chisinau, la Moldavie retrouvera l’état déliquescent d’une société gangrénée par la corruption, d’une population en exode et d’une économie pour l’essentiel agricole, dont la chute du PIB en fait l’un des pays les plus pauvres d’Europe (le salaire minimum y est inférieur à 50 euros par mois).

Il faut épargner à la Moldavie le scénario des Balkans occidentaux. Ceux-ci remémorent en ce mois de juin un autre sommet, tenu il y a 20 ans à Thessalonique, où les dirigeants de l’Union européenne promettaient alors une adhésion prochaine à la région. L’heure est désormais à la sortie urgente de l’enlisement des négociations pour une entrée qui gagnerait à s’opérer par étapes. Plus encore qu’être l’hôte d’un prestigieux sommet d’un jour, Chisinau se projette dans la durée en capitale d’Etat membre de l’Union européenne. Des dizaines de milliers d’habitants en ont manifesté joyeusement le désir le 21 mai dernier.

Par-delà ses fragilités, la Moldavie peut aussi incarner un espoir pour cette Europe élargie de demain. Le pays vit ses alternatives démocratiques sans drame. Il se défait de sa dépendance au gaz russe. Son conflit gelé avec la Transnistrie ne fait aucun mort. Et le modus vivendi qu’il cherche à opérer avec cette région séparatiste pourrait même intéresser l’Ukraine pour résoudre ses propres questions territoriales avec la Russie. Il faudra revenir sans tarder à Chisinau.

Sébastien Maillard,
Directeur de l’Institut Jacques Delors