Blog post

INFOLETTRE OCTOBRE 2022

Une « Communauté politique européenne » pour souder le continent 

Édito Lire la suite →

A la veille de son sommet fondateur, à Prague ce 6 octobre, les attentes ont évolué au sujet de la Communauté politique européenne (CPE). Les retards dans les soutiens exprimés, les flottements sur l’étendue des invités et les hésitations de certains d’entre eux à s’y rendre ont reflété l’inévitable flou qui enveloppe tout concept organisateur naissant. Le président Macron l’avait défini, le 9 mai dernier à Strasbourg, ouvrant la réflexion en faveur d’une organisation qui permette « aux nations européennes démocratiques adhérant à notre socle de valeurs de trouver un nouvel espace de coopération politique, de sécurité, de coopération en matière énergétique, de transport, d’investissements, d’infrastructures, de circulation des personnes et en particulier de nos jeunesses. » L’ambition portée par le chef de l’Etat, en reprenant le terme schumanien de Communauté, est de « rassembler notre Europe dans la vérité de sa géographie, sur l’assise de ses valeurs démocratiques ».

Au regard de la longue liste des 44 participants conviés à Prague – le président Erdogan compris-, cette assise semble aujourd’hui ténue dans ce qui se veut d’abord une démonstration d’unité continentale. Donner à voir la Grande Europe représente un tour de force bienvenu en pleine agression russe alors que Poutine cherche la division et à opposer l’Occident au reste du monde.

Mais sur quoi reposera l’unité affichée une fois la photo de famille terminée ? C’est l’enjeu des prochaines étapes. Même sans conclusions, le sommet ambitionne de créer un espace d’interconnexions dans les domaines de l’énergie, des télécommunications, de la cybersécurité ou encore des transports. Cette coopération intergouvernementale, qu’une forme de secrétariat général devra bien finir par porter et pour laquelle divers types de financements seront à dénicher, servira à rendre le continent collectivement moins vulnérable aux chocs géopolitiques d’où qu’ils viennent. En somme, la CPE pourrait servir de cadre pour structurer la sécurité économique du continent – ce qui serait déjà énorme. Couvrant un ensemble disparate de pays, jusqu’à l’Azerbaïdjan, elle se concentre avec pragmatisme sur des projets paneuropéens de coopération de nature technique.

Elle laisse toutefois, en l’état, à l’UE l’exigence sur les principes de démocratie libérale à l’égard de ses membres actuels et futurs. Au risque de rendre l’intégration européenne finalement moins attractive au profit d’un cadre plus lâche s’accommodant de tous les nationalismes. C’est pourquoi la Communauté politique, pour véritablement en former une, ne doit pas perdre de vue son horizon démocratique, avec le concours du Conseil de l’Europe. Rappelons que l’idée, initiée aussi de son côté par notre président Enrico Letta, est partie des demandes d’adhésion de l’Ukraine, de la Moldavie et de la Géorgie que l’Union européenne a reçues soudainement au tout début de l’invasion russe. L’objectif est d’arrimer à l’UE ces pays et ceux qui y sont potentiellement ou déjà candidats, à l’instar des Balkans. La procédure d’adhésion, même récemment réformée, représente pour chaque Etat un long chemin, rugueux et sinueux. La CPE sert à créer un espace immédiat de rapprochement politique entre égaux avec eux. L’objectif, à visée continentale mais centrée sur l’UE, est d’y acclimater dirigeants mais aussi députés nationaux et citoyens, au-delà de ce que les accords d’association et autres relations à l’Union prévoient déjà. Il s’agit de donner un avant-goût de l’UE pour prévenir les frustrations de l’attente et de diffuser sa culture démocratique libérale en amont des adhésions pour prévenir des situations actuelles à la hongroise.

Une telle Communauté doit aussi encourager un alignement des politiques étrangères des pays candidats avec celle portée par l’UE. Tout le contraire de ce que fait actuellement la Serbie, qui négocie son adhésion européenne et, en même temps, refuse d’appliquer les sanctions contre la Russie et vient de signer, en pleine guerre, un accord de consultations diplomatiques avec Moscou.

La CPE est encore un concept élastique encore appelé à mûrir. Quelle que soit la tournure qu’elle prendra, elle présente déjà au moins le mérite d’inciter les dirigeants européens, qui s’improvisent pompiers face au feu de la guerre, à devenir aussi architectes de l’Europe d’après.