Décryptage
Investissez d’abord en Europe !
Comment stopper la fuite des capitaux et financer les entreprises européennes avec l’épargne européenne
Cette note a été préparée par une équipe de chercheurs et d’experts politiques de l’AREL Single Market Lab (Rome), du Jacques Delors Centre (Berlin), de l’Institut Jacques Delors (Paris) et de l’IE Global Policy Center (Madrid). Elle a bénéficié des commentaires d’un certain nombre d’experts et de praticiens.
*Note disponible uniquement en anglais*
Un moment décisif pour l’Europe est en train de se dérouler. Pour la première fois, le débat sur la manière de financer la sécurité et la défense est directement lié à une conversation plus large sur l’avenir du système financier européen. La récente lettre de la présidente von der Leyen au Conseil européen établit un lien explicite entre le renforcement des capacités de défense de l’UE et l’approfondissement de ses marchés de capitaux. Ce lien, sans précédent dans l’élaboration des politiques européennes, souligne une reconnaissance fondamentale : sans un marché financier plus intégré et plus efficace, l’Europe ne sera pas en mesure de financer des priorités stratégiques telles que la défense.
La réalité est qu’aucun pays européen, ni l’UE dans son ensemble, ne peut mobiliser suffisamment de ressources publiques pour relever le défi du financement de la sécurité. Il en va de même pour d’autres domaines critiques, notamment la transition écologique, l’innovation numérique et la compétitivité industrielle. Dans un paysage mondial de plus en plus complexe et concurrentiel, répondre à ces besoins de financement considérables nécessite la création d’un écosystème européen performant qui mobilise efficacement les investissements publics et privés. Cette question est au cœur de mon rapport sur l’avenir du marché unique et du rapport Draghi sur la compétitivité européenne.
Les pays européens disposent de l’une des plus importantes réserves d’épargne privée au monde, mais chaque année, environ 300 milliards d’euros sont investis en dehors du continent, principalement aux États-Unis, en raison notamment de la fragmentation des marchés financiers européens. Dans la période de turbulences actuelle, cette fuite des capitaux n’est pas seulement un problème financier, c’est un problème stratégique. Alors que l’UE peine à financer ses objectifs stratégiques et que les entreprises européennes rencontrent des difficultés pour accéder aux financements nécessaires à leur croissance et à leur innovation, l’épargne des citoyens européens contribue indirectement aux objectifs et à la compétitivité d’autres grandes puissances mondiales.
Il est essentiel d’essayer de changer cette dynamique et de canaliser l’épargne européenne vers l’économie européenne. Les conditions du progrès sont réunies : l’idée d’une Union de l’épargne et de l’investissement est désormais inscrite à l’agenda de la Commission européenne, et le débat passe du « si » au « comment ». L’urgence de la crise de la sécurité, combinée à l’impact structurel des transitions verte et numérique, rend impératif que les pays européens apportent rapidement des solutions concrètes.
Pour contribuer au débat en cours et proposer des mesures concrètes, l’AREL Single Market Lab de Rome, en collaboration avec le Jacques Delors Centre de Berlin, l’Institut Jacques Delors de Paris et l’IE Global Policy Center de Madrid, a rédigé une note de politique générale intitulée Invest in Europe First !.
La stratégie présentée repose sur deux piliers fondamentaux. Premièrement, la création d’instruments financiers communs efficaces et d’incitations fiscales pour que l’épargne européenne reste investie dans les entreprises européennes. Certains États membres, comme l’Italie et la France, ont déjà mis en place des dispositifs d’épargne qui encouragent l’investissement dans les entreprises locales. Il faut maintenant un cadre européen pour rendre ces outils accessibles sur tout le continent, en orientant les capitaux vers des secteurs stratégiques tels que la transition verte, l’innovation numérique et la défense. Deuxièmement, la promotion d’un secteur européen de la gestion d’actifs plus intégré et plus compétitif. Aujourd’hui, les grands fonds américains dominent le marché, extrayant de la valeur de l’Europe. Pour contrer cela, l’UE a besoin d’un cadre réglementaire qui renforce ses propres acteurs financiers et ses marchés de capitaux, en veillant à ce que les investissements profitent aux entreprises et aux citoyens européens.
Ces deux domaines d’intervention détaillés dans la note d’orientation représentent des leviers immédiats pour freiner la fuite des capitaux et mobiliser l’épargne européenne au profit des priorités de l’Europe. Nous avons besoin d’interventions audacieuses et efficaces pour répondre à nos besoins de financement les plus urgents, et nous en avons besoin de toute urgence. Les travaux qui feront suite à la communication de la Commission européenne sur l’union de l’épargne et de l’investissement seront essentiels pour réaliser des progrès concrets. Dans le même temps, d’autres initiatives pragmatiques gagnent du terrain et devraient être activement envisagées. À cet égard, l’initiative du Laboratoire européen de la compétitivité lancée par le ministre espagnol de l’Économie, Carlos Cuerpo, offre une voie intéressante à suivre. En réunissant les États membres désireux de faire progresser l’intégration financière et de débloquer de nouvelles opportunités d’investissement, elle peut fournir un moyen concret d’accélérer les progrès tout en maintenant un cadre ouvert pour une participation plus large à l’avenir.
Le coût de l’inaction est élevé. Si l’Europe recherche véritablement une autonomie stratégique, elle doit commencer à financer son propre avenir avec ses propres ressources. Il est temps d’agir.