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Israël – Iran : arrêter la stratégie du pire

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Gnesotto, N. « Israël – Iran : arrêter la stratégie du pire », Blogpsot, Institut Jacques Delors, avril 2024


Alors que le risque d’engrenage est dans toutes les têtes, il peut être utile de rappeler quelques fondamentaux.

Historiquement, la rivalité entre Israël et l’Iran est récente. Pendant de longues décennies, jusqu’en 1979, les deux pays étaient en effet des alliés stratégiques dans la région, étant chacun minoritaire face à la majorité arabe dominante. L’axe Tel-Aviv –Téhéran allait même jusqu’à Ankara, selon les circonstances, avec la bénédiction et le soutien de Washington. Durant la guerre entre l’Iran et l’Irak, de 1970 à 1980, Israël arma même officieusement l’Iran, de façon à ce que les deux États, Irak et Iran, restent affaiblis par une guerre perpétuelle.

Deux évènements vont bouleverser cette donne : en Iran, la révolution islamique de 1979 ; en Occident, la guerre américaine contre l’Irak en 2003. Le nouvel Iran de Khomeiny fait d’Israël le « petit Satan » et assume son objectif de vouloir détruire l’État d’Israël. La guerre en Irak assomme l’Irak et transforme de facto l’Iran en puissance régionale majeure. Israël se trouve dès lors confrontée à une triple menace, idéologique, terroriste et stratégique, le régime des mollahs ne cachant pas en effet ses efforts en matière de prolifération nucléaire.

Dès lors, une sorte de guerre indirecte perpétuelle va opposer les deux pays : une guerre « par proxys », autrement dit par alliés interposés. L’Iran dispose de plusieurs supplétifs dans la région : le Hezbollah au Sud-Liban, le Hamas en Palestine, les milices chiites en Irak et, depuis la guerre civile au Yémen en 2014, les Houtihs chiites qui contrôlent une grande partie du pays.

À partir du sud-Liban, la milice libanaise du Hezbollah attaque régulièrement des positions dans le Golan et à la frontière Nord d’Israël, qui réplique sur territoire libanais. Plusieurs guerres se succèdent, dont l’opération « raisins de la colère » en 1996 ou la guerre des trente jours au Liban en 2006. Mais une sorte de tacite agrément semble empêcher l’escalade : ni l’Iran ni Israël ne sont visés au coeur de leur territoire.

C’est cet accord qu’Israël semble rompre le 1 avril, en frappant le consulat iranien à Damas : si tant est qu’un consulat est une partie du territoire d’un pays, c’est l’Iran même qui est frappé. Et c’est à cette attaque que l’Iran dit répliquer le 14 avril, en lançant une pluie de drones sur le territoire israélien, sans faire de victimes, la plupart des missiles ayant été interceptés.

Logiquement, on devrait en rester là. La communauté internationale appelle à la retenue et l‘Iran lui-même demande aux Occidentaux d’ « apprécier sa retenue » dans la riposte choisie à l’attaque israélienne. Les Israéliens rassemblent l’Occident autour de leur droit à l’auto-défense, mobilisent le G7 et le conseil de sécurité de l’Onu, et en même temps disent préparer une riposte. Comment enrayer cet engrenage aussi suicidaire pour les deux pays que mortel pour des milliers d’individus ?

Deux questions s’imposent d’abord. Pourquoi Israël a-t-il pris l’initiative d’attaquer une cible diplomatique iranienne à Damas ? Et qui a intérêt à une escalade militaire ? Il apparaît clair que ni les USA ni l’Iran ne souhaitent l’escalade. Jo Biden a été très net au lendemain de la riposte iranienne : les États-Unis ne veulent « ni escalade, ni guerre étendue » avec l’Iran. Déjà préoccupés par la guerre en Ukraine, le candidat démocrate ne peut pas en effet laisser éclater une nouvelle déflagration régionale, et encore moins être accusé d’impuissance stratégique majeure. Quant à l’Iran et à son supplétif du Hezbollah, ils ont « béni la main » de ceux qui avaient perpétré les crimes du 7 octobre, mais ont jusqu’à ce jour évité d’alimenter un embrasement de la région. La situation intérieure en Iran est désastreuse, l’armée n’est pas aussi puissante qu’elle voudrait le faire croire (son attaque par drones et missiles sur Israël est un échec absolu), et le discrédit croissant d’Israël à cause de ses frappes catastrophiques sur Gaza peut jouer déjà comme une victoire politique pour l’Iran. Du côté israélien les choses sont moins claires. Israël voulait sans doute rétablir son crédit militaire après l’échec des services israéliens à prévenir l’attaque du 7 octobre : il fallait une démonstration de force et une illustration de l’excellence des renseignements de Tsahal. Et ce fut fait avec cette attaque ultra précise du consulat à Damas et l’élimination ultra ciblée de hauts gradés Pasdarans. Mais on ne peut évacuer aussi un calcul personnel de Netanyahou, dont la stratégie militaire s’enlise à Gaza, dont les excès et les alliés d’extrême droite affaiblissent l’image positive de la démocratie israélienne, et dont l’avenir est sans doute en prison dès la fin du conflit.

Une initiative collective s’impose ensuite. Au lendemain de la riposte iranienne, la société israélienne fait front, de nouveau unie contre l’Iran et contre tout agresseur. L’Occident est également rassemblé dans la défense légitime d’Israël. Chaque camp se prépare au pire. Or si chacun riposte à la riposte de l’autre, l’escalade deviendra vite incontrôlable. De vielles idées offrent parfois de nouvelles pistes de sorties de crises : une conférence internationale sur la région ? Des garanties de sécurité directes à Israël ? Un nouveau round de négociations sur la solution à deux États entre Israël et la Palestine ? Rien n’est à inventer, tout est à oser. Si Washington a la moindre influence sur ses alliés, si l’Amérique sert à quelque chose de bien dans le monde – la fameuse « puissance indispensable » – c’est le moment ou jamais de le prouver.

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