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La déclaration de Malte : des « résultats » trompeurs
Par Yves Pascouau, Directeur des programmes Europe, Association Res Publica
Le 3 févier 2017, le Conseil européen adoptait la déclaration de Malte. Ce texte détaillait les mesures que les dirigeants européens souhaitaient mettre en œuvre pour « endiguer les flux migratoires » depuis la Libye vers l’Italie. La déclaration prévoyait notamment de former, équiper et soutenir les garde-côtes libyens, d’intensifier les efforts pour démanteler les réseaux de passeurs, ou encore de mettre en place des structures et conditions d’accueil adaptées pour les migrants en Libye.
Trois ans après, le bilan de l’action engagée illustre la dimension limitée de l’action des États européens en matière de politique migratoire, où la logique du contrôle des frontières s’est imposée comme seule boussole politique au détriment des droits et des principes.
La déclaration de Malte s’inscrit dans un continuum de mesures qui ont eu pour principal objectif de fermer les routes migratoires. Après, la route des Balkans, en octobre 2015, la route de la Méditerranée orientale, avec l’adoption en mars 2016 de la déclaration UE-Turquie, la déclaration de Malte a posé les conditions d’une fermeture de la route de la Méditerranée centrale.
En termes de realpolitik, c’est-à-dire de chiffres, ces actions ont atteint les objectifs recherchés. Le nombre d’arrivées qualifiées « d’irrégulières » par l’Agence Frontex a chuté significativement depuis 2015. De telle sorte que cette agence européenne a souligné en 2019 que « le nombre total de détections est à son plus bas niveau depuis 2013 ».
Ce « succès » doit toutefois être sérieusement relativisé puisque « l’endiguement » des flux migratoires a eu un coût humain et juridique considérables. Dès 2015, la « fermeture de la route des Balkans » a eu pour conséquence immédiate la création du camp d’Idoméni à la frontière grèco-macédonienne. Plusieurs milliers de personnes, jusqu’à 12 000, ont été bloquées dans ce camp improvisé au cours de l’hiver et dans des conditions de vie épouvantables.
Au mois de mars 2016, la déclaration UE-Turquie a eu pour effet de fermer la route de la Méditerranée orientale entre la Turquie et la Grèce. Mais au prix d’une construction juridique contestable. En effet, la déclaration est fondée sur la prémisse que la Turquie est un « pays tiers sûr ». Or, la Turquie ne remplit pas les conditions fixées par la directive 2013/32/UE sur les procédures d’asile pour être qualifiée comme telle. C’est donc sur un fondement juridique erroné que le deal entre les Européens et la Turquie a été construit.
La déclaration de Malte est venue clore cette séquence en posant l’objectif de fermer la route de la Méditerranée centrale. Mais en proposant de former et d’équiper les garde-côtes libyens, cette déclaration a franchi un pas dans le cynisme. Mieux formés et surtout mieux équipés, les garde-côtes ont désormais la capacité d’intercepter les embarcations dès les eaux territoriales libyennes pour débarquer les migrants, demandeurs d’asile et réfugiés en… Libye où ils sont exposés à la violence sexuelle, au travail forcé, à l’exploitation, à la détention arbitraire ou encore à l’extorsion. En maintenant les actions dans la zone de responsabilité libyenne, les Européens se sont affranchis de leurs obligations, notamment du principe de « non-refoulement », et ont privé les personnes secourues de la protection que leur aurait offert le droit européen.
La fermeture des routes migratoires a été accompagnée d’autres mesures visant notamment le sauvetage en Méditerranée. Qu’il s’agisse de la volonté de plusieurs gouvernements européens de chasser et de sanctionner les ONG exerçant un « droit de sauver », de la réorganisation de l’opération SOPHIA de démantèlement des réseaux criminels en opération de surveillance exercée uniquement par drones ou encore de la création d’une zone de sauvetage et de recherche sous le contrôle de Tripoli, tout a été mis en œuvre pour « endiguer » les opérations de sauvetage. En conséquence, la mortalité a explosé.
La déclaration de Malte est la manifestation, parmi d’autres, d’un rétrécissement de la pensée et de l’action désormais focalisées sur la frontière et sa fermeture quel qu’en soit le prix humain, juridique mais aussi politique. À cet égard, les « résultats » liés à la fermeture des frontières et à l’abandon des droits ont un effet politique dévastateur. Ils satisfont ceux qui détestent l’Union européenne et les principes qui la fondent et éloignent du projet européen ceux qui considèrent qu’une construction fondée sur l’État de droit et les droits humains est un horizon possible. Le socle des supporteurs s’amenuise. Celui des opposants prospère.
S’il est certes de la responsabilité des États d’assurer la sécurité sur le territoire européen, ils ont également la responsabilité de le faire dans le plein respect des principes qui ont guidé la construction européenne. Le respect du droit et des droits est une condition de la poursuite de et de l’adhésion à la coopération européenne. Il appartient à la Commission européenne de porter et de consolider cet héritage en utilisant ses pouvoirs pour imposer aux États le respect de leurs obligations.
Mais le respect de la règle n’est pas une condition suffisante. Les décideurs européens doivent désormais définir une vision de long terme en matière migratoire qui dépasse le cadre restreint de la frontière et de son contrôle. La tâche est ardue en raison des profondes divisions qui séparent les États mais elle est nécessaire pour définir la place de l’Europe au regard des enjeux de mobilité humaine et pour offrir aux citoyens un cadre politique de référence.