Face à la complexité, la tentation est souvent à la caricature et la démocratie est mise à l’épreuve. La polarisation des débats et des postures, la violence des critiques et le repli sur soi ou l’entre-soi deviennent des automatismes dangereux. Certes, les réseaux sociaux ou les chaînes d’information en continu y sont pour beaucoup. L’accès continu à des faits dramatiques en direct et via le vécu même des personnes touchées choque et crée une émotion bien compréhensible.

Cette émotion ne devrait pourtant pas être la boussole des réactions politiques. Les Européens ont, sur de nombreux sujets, défini de longue date des positions communes qui sont le plus souvent d’autant plus équilibrées et justes qu’elles résultent d’un compromis entre des histoires, des vécus et des intérêts très différents. Ils s’agit de s’accorder sur les principes fondateurs de la construction européenne dont le refus de la guerre, le respect du droit international ou l’attachement aux libertés et à l’Etat de droit. Et ce sont tous ces éléments qui guident l’élaboration d’une réaction commune.

Il est d’ailleurs intéressant de noter que face aux terribles attaques terroristes le 7 octobre en Israël, les citoyens ont réagi de manière plus unanime et plus proche de la position commune et historique des Européens, ne percevant vraisemblablement pas de contradiction à condamner fermement les crimes odieux perpétrées par le Hamas, à reconnaitre le droit des Israéliens à se défendre, à se préoccuper du sort réservé à la population palestinienne et à appeler à un soutien humanitaire. Pourtant, il ne fallut pas moins de 3 semaines et 5 heures d’âpres négociations pour que les Etats membres parviennent aux mêmes conclusions lors du Conseil européen du 27 octobre, puis quelques heures supplémentaires pour à nouveau se diviser lors d’un vote aux Nations Unies.

La démocratie, n’est-elle pas la capacité à s’écouter les uns les autres et pour les représentants du peuple, à agir dans l’intérêt général et le respect du droit souverain ? Quand avons-nous perdu de vue ces évidences ? La guerre en Ukraine a, de ce point de vue constitué un cas d’école intéressant. Le soutien à l’Ukraine a été immédiat et continue à être partagé par une majorité d’Européens, Etats et citoyens.

Les Européens devront, s’ils ne veulent pas être relégués au rang d’acteurs secondaires, apprendre à travailler leur posture face aux crises dans notre voisinage ou plus loin et à leurs conséquences à la fois locales et globales. L’enjeu de ce travail est aussi intérieur à l’Union européenne. Face à ces multiples crises mais aussi au-delà de ces crises, face au défis posés par le changement climatique, l’inflation et la peur du déclassement, l’absence de cohésion renforce le sentiment d’impuissance et la perception des risques collectifs comme individuels. En effet, dans une démocratie ces vulnérabilités s’expriment dans les urnes lors des élections et généralement pas de la meilleure manière qui soit.

La séquence d’élections dans l’UE du mois d’octobre est de ce point de vue intéressante malgré des résultats très différents en Slovaquie et en Pologne. Il reste difficile à ce stade de prédire les orientations politiques du nouveau gouvernement polonais et les marges de manœuvre dont il disposera mais on peut retenir de ces élections polonaises que même dans un climat politique des plus polarisé, il n’y a pas de fatalité à condition toutefois de convaincre les électeurs d’aller voter en masse, en particulier les jeunes, pour défendre leurs idées et leurs idéaux. Le mois de novembre sera à son tour ponctué par une élection aux Pays-Bas dont l’issue est relativement ouverte puisqu’après 12 ans au pouvoir, le Premier ministre Mark Rutte a décidé de se retirer de la vie politique. A suivre donc…

Sylvie Matelly 

Directrice de l’Institut Jacques Delors