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La question de l’identité européenne dans la construction de l’Union

La question de l’identité européenne, qui avait occupé une place si grande dans les grands débats d’idées dans la période de l’entre-deux-guerres mondiales, et jusqu’au début des années 50, a connu une longue éclipse lorsque la construction de l’Union européenne que nous connaissons aujourd’hui a commencé. Sans doute y a contribué l’approche délibérément pragmatique, non idéologique, anti-rhétorique, de la méthode fonctionnaliste inventée par Jean Monnet. Sa méthode est celle des projets concrets, des petits pas, du refus tactique du grand dessein, de la patiente maturation d’intérêts communs. C’est grâce à elle qu’a pris forme une réalité politique et institutionnelle nouvelle dans l’histoire moderne, regardée aujourd’hui par les autres continents comme le modèle de relations internationales le mieux adapté au monde dit post-Westphalien.

Mais cette approche a aussi eu pour conséquence de laisser à la disposition des adversaires du projet européen le champ des passions. Certes, l’idée de fonder la paix et la réconciliation entre les peuples du continent à partir d’un réseau dense d’intérêts communs n’était nullement inspirée par une absence de passion ou par un matérialisme mesquin ; elle dérivait au contraire de la prise de conscience passionnée des dérives perverties auxquelles la fureur nationaliste pouvait conduire, en l’absence de limites de souveraineté établies d’un commun accord.

« Europe sans âme, sans solidarité, otage des marchands et des banquiers, menaçant les valeurs immatérielles les plus élevées, faisant appel à l’égoïsme des médiocres plutôt qu’à la générosité des grands ». Voici donc les mots d’ordre dont ont pu se saisir les adversaires de la construction européenne au fil des ans, occupant un vide de discours idéal en faveur de l’Europe unie. Une malicieuse ironie de l’Histoire a entretenu cette confusion entre les fins héroïques et les moyens très pratiques de la construction européenne. Pourtant, tous ceux qui connaissent la vraie personnalité de Monnet, Schuman, Adenauer, De Gasperi, Spaak, Mitterrand, Kohl, Gonzales, Andreotti, Delors savent quelles étaient les places respectives de la passion et de l’intérêt dans leur œuvre de bâtisseurs de l’Europe, et combien ils étaient éloignés de la mauvaise caricature d’une Europe purement marchande.