Le Cadre Financier Pluriannuel 2028-2034: une proposition ambitieuse d’une Commission fragile

Hier, la Commission européenne a dévoilé une proposition audacieuse et ambitieuse pour le prochain budget à long terme de l’Union européenne. Le nouveau projet pour la période 2028-2034 vise à moderniser l’architecture budgétaire de l’UE et à recentrer les priorités de dépenses afin de refléter les réalités géopolitiques et économiques actuelles. Il s’agit, à tous égards, d’une proposition radicale qui comprend divers éléments positifs.
Une augmentation significative de l’ambition financière
Tout d’abord, l’ambition financière est remarquable. Avec une enveloppe proposée de 1 980 milliards d’euros en prix courants (1 760 milliards en prix de 2025), la Commission demande une augmentation en termes réels de plus de 40 % par rapport au CFP actuel. Cela est significatif, même en excluant les montants réservés au remboursement des coûts du NGEU (168 milliards en prix courants). Pour financer cette augmentation, la Commission propose un mélange de nouvelles ressources propres (telles qu’une nouvelle taxe sur le tabac et une contribution forfaitaire des entreprises dont le chiffre d’affaires est supérieur à 100 millions d’euros) et d’ajustements des ressources propres existantes, tels qu’une augmentation du taux d’appel de la taxe sur les plastiques non recyclés ou une réduction des coûts de perception appliqués aux droits de douane. Si elles sont pleinement mises en œuvre, ces réformes pourraient générer environ 400 milliards d’euros de recettes supplémentaires. Toutefois, il est loin d’être certain que cela suffira à convaincre les États membres d’accepter un budget plus important, d’autant plus lorsqu’on considère qu’une partie des nouvelles recettes ne constitue pas réellement de l’argent frais, mais proviendra directement des Etats. Des pays comme l’Allemagne ont déjà exprimé leur vive opposition à toute augmentation importante du budget de l’UE.
Une réorientation des priorités en matière de dépenses
La Commission propose également de rééquilibrer les priorités en matière de dépenses. La fusion des programmes et des rubriques rend plus complexe la comparaison directe avec l’actuel CFP (une analyse plus détaillée sera présentée prochainement par mes collègues du Centre Jacques Delors et moi-même). Une tendance générale se dégage toutefois clairement : la part des politiques traditionnelles – la politique agricole commune (PAC) et la politique de cohésion, qui représentent actuellement les deux tiers du budget – devrait diminuer en termes réels. En revanche, davantage de fonds seront consacrés à des priorités nouvelles ou renforcées. Le volet « sécurité et défense » verra son budget quintupler, tandis que des programmes clés à forte valeur ajoutée pour l’UE seront considérablement renforcés, tels que Horizon Europe (dont le budget sera presque doublé), le mécanisme pour l’interconnexion en Europe (MIE) pour l’énergie et les transports, Erasmus+ ou le nouveau programme AgoraEU, qui apportera un soutien à la démocratie. Les dépenses consacrées à l’action extérieure de l’UE sont également renforcées – ce qui constitue nécessaire dans le contexte mondial turbulent actuel.
Ce rééquilibrage est à la fois opportun et nécessaire. Toutefois, pour être politiquement viable, il devrait s’accompagner de réformes qui renforcent l’efficacité de la PAC et de la politique de cohésion, leur permettant ainsi d’obtenir de meilleurs résultats avec moins de ressources. Si une volonté réelle semble exister d’améliorer le fonctionnement de la PAC – par exemple en proposant des modifications visant à mieux cibler l’aide au revenu des agriculteurs qui en ont le plus besoin –, la situation est beaucoup plus confuse en ce qui concerne la cohésion, qui risque d’être diluée dans les nouveaux « partenariats nationaux et régionaux ».
Plus de flexibilité — en temps normal et en temps exceptionnel
Une autre innovation bienvenue est la promotion d’une plus grande flexibilité. La proposition renforce certains instruments de flexibilité spéciaux, tels que l’instrument de flexibilité, dont le montant est doublé, mais prévoit également des montants non alloués ou des réserves dans des programmes clés, qui pourront être utilisés en cas de besoin. En particulier, une partie des « partenariats nationaux et régionaux » des États membres restera non programmée et pourra être utilisée soit pour soutenir la lutte contre la crise, soit pour répondre à de nouveaux besoins politiques lors de l’examen à mi-parcours des plans. Le Conseil et le Parlement disposeront également d’une certaine capacité de réaffectation des fonds entre les volets budgétaires du Fonds pour la compétitivité au cours de la procédure budgétaire annuelle. Enfin, il est proposé de créer un mécanisme de crise exceptionnel et temporaire afin d’accorder des prêts supplémentaires aux États membres en cas de crise grave, qui pourra être activé conjointement par le Conseil et le Parlement.
Toutes ces flexibilités sont les bienvenues dans un contexte aussi incertain. Toutefois, une flexibilité accrue implique inévitablement une plus grande marge de manœuvre pour les exécutifs — au niveau européen comme national. Pour être légitime, l’exercice de cette flexibilité doit s’accompagner de mécanismes solides de responsabilité démocratique et de contrôle.
Conditionnalité relative à l’état de droit : des outils plus efficaces, mais seront-ils utilisés ?
Enfin, le lien entre l’utilisation des fonds de l’UE et le respect de l’État de droit est considérablement renforcé. L’expérience avec la Hongrie a montré à quel point il est difficile de déclencher le règlement sur la conditionnalité en matière d’État de droit, qui nécessite un vote du Conseil et la preuve que des violations de l’État de droit ont eu des répercussions graves et directes sur l’utilisation des fonds de l’UE. En revanche, il s’est avéré beaucoup plus facile de suspendre les paiements au titre de la politique de cohésion en recourant à la condition favorisante dite «horizontale», qui lie le financement de l’UE au respect de la Charte européenne des droits fondamentaux.
La Commission a tiré les leçons de cette expérience et propose désormais d’étendre cette condition habilitante fondée sur la Charte à tous les fonds couverts par les accords de partenariat nationaux et régionaux. Concrètement, cela signifierait que les paiements au titre de la PAC pourraient être suspendus en cas de violation de la Charte, ce qui n’était auparavant possible que pour les fonds de cohésion et les fonds destinés à la migration.
En outre, la Commission suggère d’introduire une conditionnalité horizontale relative à l’état de droit dans tous ces partenariats. Contrairement au mécanisme actuel, ce nouvel outil ne nécessiterait pas l’approbation du Conseil, ce qui permettrait à la Commission de suspendre les paiements de sa propre initiative en cas de violations graves de l’état de droit.
Toutefois, l’efficacité de ces propositions dépendra en fin de compte de la volonté politique et du courage de la Commission à les appliquer pleinement.
Conclusion : l’audace d’une institution affaiblie
Il s’agit d’une proposition ambitieuse, et la Commission mérite d’être saluée pour avoir mis sur la table des idées audacieuses. Mais cette Commission est également fragile. Sur le plan interne, la préparation de ce CFP a révélé de sérieux désaccords au sein du collège des commissaires et des DG. À l’extérieur, la Commission fait face à des critiques du Parlement européen pour son manque de transparence et sa responsabilité limitée. Dans ce contexte, une proposition de réforme qui non seulement remodèle les dépenses de l’UE, mais renforce également le rôle de la Commission elle-même risque de se heurter à une certaine résistance. Que cette initiative devienne un bond en avant historique ou un autre projet irréalisable dépendra non seulement de son contenu, mais aussi de la capacité de la Commission à jeter des ponts et à restaurer la confiance.