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Matelly, S. « Le moment européen », Infolettre, Institut Jacques Delors, mars 2025

Voilà, nous y sommes. Ces derniers jours, l’histoire s’est si rapidement accélérée que ça en est vertigineux. Après un échange téléphonique avec Vladimir Poutine le 12 février, de premières rencontres entre les délégations russes et américaines à Ryad le 18 février puis à Istanbul, le 28 février, date également de la réunion houleuse entre les président et vice-président américains et le président Ukrainien, Donald Trump annonçait ce lundi qu’il coupait toute l’aide à l’Ukraine et toute livraison de matériels militaires dans les jours qui viennent.

Pour les Européens, le moment est existentiel. Les Français pourraient le qualifier de moment Gaullien, il s’apparente peut-être plus à un moment Churchillien, en référence à ce moment où après le désastre de la bataille de Dunkerque, le Premier Ministre du Royaume-Uni, Winston Churchill enjoint son pays à faire son devoir. En effet, après avoir dimanche, lors du sommet de Londres, assurés le président Zelensky de leur soutien et affirmés leur détermination à s’engager pour une paix durable en Ukraine, ils restaient plus timides à envisager un changement dans la relation transatlantique. Pourtant, le retrait du soutien américain à l’Ukraine risque de les contraindre à des choix difficiles dans les jours et les semaines qui viennent. Doivent-ils continuer à soutenir l’Ukraine et à exiger des garanties de sécurité crédibles mais en ont-ils les moyens (et il ne s’agit pas là uniquement de moyens financiers) ? Se résignent-ils à accepter le cessez-le-feu souhaité par le président américain mais à quelles conditions et quelles en seront les conséquences ?

Affronter cela sera lourd de conséquences pour l’Europe et supposera un changement immédiat et total de logiciel et de culture stratégiques ainsi que des sacrifices auxquels les Européens ne sont peut-être pas prêts. Renoncer pèsera irrémédiablement sur la crédibilité de l’intégration européenne au sein même de l’Europe mais aussi à l’international ainsi que sur la capacité des Européens à être un rempart aux absolutismes et à la déconstruction totale de l’ordre international issu de la fin de la Seconde guerre mondiale.

Les résultats des élections allemandes il y a deux semaines peuvent inquiéter au regard du score inédit du parti d’extrême-droite, Alternative für Deutschland (AfD), ostentatoirement soutenu par une partie de l’entourage de Donald Trump. Pour autant, la victoire de Friedrich Merz, européen convaincu ayant pris des positions claires et quelque peu disruptives en Allemagne quant à la défense européenne et la relation transatlantique peut, à l’inverse, rassurer. De même, l’initiative ambitieuse et pragmatique de la Commission européenne au travers du plan « REARM Europe » ce mardi tend à prouver qu’il est possible d’avancer, reste à voir à présent comment cette proposition sera accueillie par les Etats jeudi puis suivie d’actions et de décisions fortes, quoi qu’il en coûte.

Une fois de plus, nous avons suivi, avec détermination et engagement, cette accélération historique ce mois-ci et nous continuerons à le faire dans les mois qui viennent. Le 17 février, nous, directeurs et présidents des trois sœurs à Berlin, Bruxelles et Paris, publiions  une tribune appelant à stopper Donald Trump, Après un mois de Trump : pour l’Europe, l’heure du choix, Nicole Gnesotto soulignait dans son Blogpost mensuel combien le Trumpisme constituait une nouvelle idéologie révisionniste du siècle et Bertrand de Cordoue s’interrogeait sur les objectifs du prochain livre blanc sur le futur de la Défense européenne, un Livre Blanc sur le futur de la Défense Européenne : pour quoi faire?.

Mais rendre l’Europe plus forte et donc plus résiliente, c’est aussi soutenir sa croissance, sa compétitivité, sa transition vers une économie décarbonée ou avancer vers son élargissement. C’est dans cette perspective que nous projetons nos travaux avec l’ambition de décrypter, d’expliquer mais aussi d’être force de propositions. Ainsi, l’infographie de Phuc-Vinh Nguyen et d’Andreas Eisl interroge la compétitivité, boussole européenne pour faire face à la tempête climatique ? Notre policy paper sur un cadre européen pour les aides d’État en faveur du pacte industriel pour une industrie propre et le Policy Brief sur Delivering on Draghi – How to finally get real about the EU’s clean industrial strategy, de Nils Redeker et Philipp Jäger de Berlin approfondissent la réflexion sur les enjeux de la compétitivité et de la transition énergétique quand Sophie Pornschlegel et Elena Schneider d’Europe Jacques Delors présentent le Clean Industrial Deal, new flagship initiative to boost Europe’s green economy.

« Aurons-nous les forces humaines, morales, économiques et sociales pour choisir la survie et non le déclin ? » questionnait Jacques Delors le 13 octobre 1993 devant le Parlement européen. L’avenir nous le dira très vite à présent !

Sylvie Matelly

Directrice de l’Institut Jacques Delors