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Le moteur franco-allemand : en crise certes, mais sans alternative

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Gnesotto, N. 2023. « Le moteur franco-allemand : en crise certes, mais sans alternative», Blogpost, Paris : Institut Jacques Delors, septembre.


Rien ne va plus entre la France et l’Allemagne, mais rien ne va sans elles. Telle pourrait être la synthèse des relations franco-allemandes, après dix-huit mois de guerre en Ukraine. Certes, les contentieux ont toujours été nombreux et importants entre les deux pays. Mais ils prennent désormais une dimension plus inquiétante, tant les repères de la construction européenne, les principes de la sécurité, et les engagements de solidarité ont été chamboulés par l’invasion russe en Ukraine.

Du côté de Paris, on s’étonne de l’empressement allemand à proposer à dix-huit partenaires la création d’une sorte de bouclier de défense anti-missiles (European Sky Shield Initiative), à partir de systèmes d’armes allemands, américains et israéliens. On aurait aussi apprécié être consulté sur la rédaction de la première Stratégie de sécurité nationale allemande, publiée en juin 2023[1]. De même, un certain agacement existe à Paris devant les choix allemands d’acheter « sur étagères », américaines ou sud coréennes, les matériels militaires dont Berlin réalise avoir besoin, plutôt que de préférer des solutions européennes. L’avenir de plusieurs grands programmes franco-allemands, dont l’avion de combat Scaf ou l’eurodrone Male suscite l’inquiétude. En matière de relance économique, l’intransigeance de l’Allemagne sur les nouvelles règles du Pacte de stabilité, actuellement suspendu jusqu’en décembre 2023, agace fortement Paris qui souhaite, avec une majorité d’autres pays membres, introduire davantage de flexibilité dans l’évaluation du Pacte. S’agissant d’énergie, l’opposition constante de l’Allemagne à l’énergie nucléaire s’est confirmée en avril 2023, avec la fermeture des trois dernières centrales nucléaires du pays. En choisissant le gaz de schiste et le charbon pour répondre à la crise de l’énergie causée par la guerre en Ukraine, Berlin a confirmé une politique totalement contraire à celle de la France. Paris a donc beau jeu de dénoncer un certain laxisme de l’Allemagne sur le Green deal, avec la remise en route des mines de charbon et la réluctance de l’industrie automobile devant les engagements européens sur la fin des moteurs thermiques. En somme, c’est le recentrage global de l’Allemagne sur son intérêt national qui nourrit les interrogations françaises, lesquelles sont largement partagées dans le reste de l’Union.

L’Allemagne n’est pas en reste dans ses récriminations à l’encontre de la France. Au début de la guerre en Ukraine, les tergiversations françaises sur la Russie, qu’il ne fallait « pas humilier » selon Emmanuel Macron, ont surpris et inquiété. A propos de Taïwan, lorsque le président déclara que « la pire des choses serait de penser que nous, Européens, devrions être suivistes sur ce sujet et nous adapter au rythme américain et à une surréaction chinoise », ce fut la consternation à Berlin et dans l’ensemble des pays de l’Alliance atlantique. De même, le changement de doctrine du président, désormais favorable à l’entrée de l’Ukraine dans l’Otan, fut accueilli mollement à Berlin dans la mesure où cette prise de position mettait l’Allemagne en porte à faux par rapport à Kiev. Dans l’affaire des défenses anti-missiles, l’Allemagne ne participa qu’à bas niveau au contreprojet français de Conférence sur la défense aérienne de l’Europe, le 19 juin 2023, où d’autres systèmes de défense furent évoqués, dont le système franco-italien Mamba. Plus globalement, Berlin regarde avec méfiance et réprobation une France qui continue de dépenser sans compter alors que l’heure doit être, aux yeux de Berlin, au retour de l’austérité et du contrôle budgétaire, deux années après la fin du covid.

Ces méfiances réciproques doivent être remises dans leur contexte. En réalité, France et Allemagne sont également affaiblies depuis la guerre en Ukraine. L’Allemagne a perdu le confort atlantique : la guerre fait rage aux frontières de l’Otan, la Russie est une vraie menace, les Etats-Unis sont exigeants en matière de défense et de budget. La France de son côté a perdu le confort européen : son rôle et son influence au sein de l’UE, par le biais de son ambition en matière d’autonomie stratégique et d’Europe politique, sont sérieusement remis en cause. L’Allemagne surtout est profondément traumatisée : le commerce et le pacifisme, ces deux piliers de son identité postfasciste, ont été réduits à néant par le retour de la guerre en Europe. Il lui faut désormais se reconstruire une identité en se réarmant et en se méfiant de l’interdépendance commerciale. La France doit être à ses côtés. D’autant qu’aucune alternative n’existe pour prendre en main le leadership des affaires européennes.  La Pologne en rêve mais la politique ouvertement anti-bruxelloise du PiS au pouvoir et les dysfonctionnements prononcés de la démocratie libérale empêchent aujourd’hui le pays de prétendre en l’état à ce rôle.

[1] « Robustesse. Résilience. Durabilité. Une sécurité intégrée pour l’Allemagne ». La France avait invité un haut responsable allemand à faire partie de la Commission qui rédigea le Libre blanc français de 2013

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