Blog post
Le protectionnisme assumé des États-Unis
Citer cet article :
Fabry, E. 2022. « Le protectionnisme assumé des États-Unis à l’heure des Midterms 2022« , Blogpost, Paris: Institut Jacques Delors, 8 novembre.
La représentante américaine au commerce, Katherine Tai, nous a habitué à des discours si prudents qu’il a fallu près de deux ans de présidence Biden pour cerner les nouveaux contours de la politique commerciale américaine. Du commerce as usual il ne reste plus grand-chose. Joe Biden a résorbé deux irritants qui pesaient sur les relations transatlantiques avec la suspension des sanctions réciproques liées au contentieux entre Airbus et Boeing et celle des droits de douanes sur les importations d’acier et aluminium venant d’Europe. Mais il reste aligné sur l’approche unilatérale de Donald Trump et accélère l’offensive contre l’essor de la puissance économique chinoise. Alors que l’Amérique affiche désormais un protectionnisme assumé, le défi américain reste de parvenir à combiner cet isolement économique avec le besoin de rallier le plus grand nombre possible de partenaires dans une guerre technologique contre la Chine.
La promesse de campagne de Biden en 2020 visait à ce que le commerce extérieur bénéficie plus aux travailleurs américains (make trade work for workers). Elle l’a conduit à limiter l’accès au marché américain. Le Congrès affiche désormais une opposition trans-partisane des Démocrates et des Républicains à la négociation de nouveaux accords commerciaux qui faciliteraient l’accès des entreprises étrangères au pouvoir d’achat des consommateurs américains – bien qu’en retour ils aient pu ouvrir des marchés aux entreprises américaines. La confiance dans l’impact positif du commerce extérieur sur la croissance a ainsi baissé entre 2020 et 2022 de 8% chez les Démocrates et de 44% chez les Républicains1. Il n’y aura pas de volte-face sur la sortie des États-Unis de l’accord transpacifique (CPTPP), qui avait été décidée par Donald Trump, ni de réengagement de la négociation commerciale avec l’Union européenne (TTIP), à vrai dire assez mal partie, qui avait été également suspendue dès l’arrivée de Trump à la présidence.
Les efforts de l’Administration Biden se concentrent sur le renforcement des capacités de production nationale, via des investissements publics colossaux (550 milliards de dollars pour les infrastructures, 280 milliards de dollars dans le Chips and Science Act pour la recherche et la production de semi-conducteurs, de technologies sans fil, biotechnologies, …). Les exigences de contenu local pour les entreprises qui souhaitent accéder à ces aides publiques renforcent encore ce nationalisme économique en contradiction avec le principe de non-discrimination de l’Organisation mondiale du commerce. Ainsi dans l’Inflation Reduction Act du 16 août dernier, la réduction d’impôt de 7 500 dollars pour l’achat de véhicules électriques exige qu’ils soient assemblés aux États-Unis et que leur batterie contienne 40% de minerais extraient localement. Une exception a été intégrée qui concerne les partenaires de l’accord USMCA (Canada et Mexique) mais pas les Européens ou les Coréens, qui y voient un risque immédiat de distorsion de concurrence et s’interrogent sur les fondements du friend-shoring développé par Washington pour renforcer les liens économiques avec des pays amis.
Comme l’UE, le Japon et d’autres grandes puissances commerciales, les États-Unis ont entrepris de renforcer la résilience de leurs chaînes de valeur en réduisant les importations de biens stratégiques qui créent des dépendances excessives vis-à-vis de pays qui peuvent devenir hostiles, en commençant par la Chine. L’effort de diversification de l’approvisionnement privilégie la relocalisation de la production aux États-Unis (re-shoring) ; y compris en relançant chez eux l’extraction de terres rares qui avait été abandonnée dans les années 1990 au profit d’une Chine qui est à présent en position de quasi-monopole mondial. Mais la diversification de l’approvisionnement auprès de pays amis n’est pas facilitée par de nouveaux accords commerciaux qui offriraient des conditions préférentielles aux importateurs américains. Ce friend-shoring a un coût additionnel pour les entreprises américaines par rapport aux importations chinoises ou aux conditions préférentielles que d’autres blocs, comme l’Union européenne, négocient en plus d’une garantie d’accès à des matières premières stratégiques.
Les mesures extraterritoriales qui, à quelques jours du XXème Congrès du Parti communiste chinois, interdisent désormais toute exportation de semi-conducteurs vers la Chine ou soutien à la production chinoise de semi-conducteurs, avec effet immédiat du retrait de la citoyenneté américaine à toute personne concernée le soir même du 7 octobre, marquent une accélération du découplage et une escalade considérable dans le conflit.
Biden n’est pas plus favorable que Trump à la régulation du commerce international par des règles multilatérales. Washington maintient son véto sur la nomination de nouveaux arbitres à l’Organe d’appel du mécanisme de règlement des différends de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Cela fragilise le respect des règles existantes et limite l’appétence des membres de l’OMC à s’accorder sur de nouvelles règles dont la mise en oeuvre ne serait pas garantie par un recours à l’arbitrage. Les États-Unis ne contribuent pas davantage à une réforme de l’OMC qui permettrait de renforcer l’institution.
Ce désengagement du multilatéralisme laisse à la Chine la possibilité de promouvoir plus activement sa vision d’une mondialisation « aux caractéristiques chinoises » : une mondialisation économique sans référence à la démocratie, aux droits de l’Homme et aux droits civiques. Pendant que Pékin s’efforce de rallier les économies émergentes à son modèle de mondialisation contre l’ordre libéral international mis en place par les puissances occidentales depuis de la Seconde Guerre mondiale, Washington se concentre sur la limitation de l’essor de la puissance technologique chinoise.
Pour garantir leur leadership technologique, les États-Unis ne peuvent se limiter au nationalisme économique mis en place et à interdire l’accès des entreprises chinoises aux technologies américaines. Il faut encore limiter la coopération de pays tiers qui pourrait renforcer la capacité d’innovation chinoise. Le tournant protectionniste des États-Unis pourrait aussi bien limiter la compétitivité américaine si Biden n’obtient pas que des partenaires clés comme les Européens, Canadiens, Japonais ou Australiens s’alignent sur sa stratégie de découplage de la Chine. Or sans la perspective d’un accès privilégié au marché américain qu’offre un accord commercial, les pays tiers ont moins d’incitation à s’aligner sur les choix stratégiques américains, qu’il s’agisse d’adopter les mêmes restrictions aux exportations de certaines technologies vers la Chine ou d’adopter les normes américaines. L’Amérique de Biden ne négocie plus de règles bilatérales ou multilatérales. Elle privilégie la concertation sur l’adoption d’instruments communs (comme le contrôle des investissements étrangers) ou de normes communes, en particulier dans le secteur numérique, avec des partenaires stratégiques rassemblés au sein de forums comme le Trade and Technology Council entre les États-Unis et l’Union européenne (TTC) ou encore le Indo-Pacific Economic Framework for Prosperity (IPEF) rassemblant treize pays. Ces alliances doivent permettre de limiter l’internationalisation des normes chinoises. L’enjeu pour des pays, comme ceux de l’Union européenne ou du sud-est asiatique, qui sont très intégrés aux deux marchés, chinois et américains, et qui se voient pressés d’opter pour l’un des deux espaces réglementaires, sera d’autant plus complexe que les chaînes de valeur de biens intermédiaires sont très complexes et fortement intégrées. Les États-Unis peuvent se découpler de la Chine mais il est plus difficile de découpler le reste du monde de la Chine. La garantie de sécurité apportée par la puissance militaire américaine peut déterminer certains pays à s’aligner sur la stratégie des États-Unis. Mais il reste à voir si un protectionnisme amical n’est pas qu’un oxymore qui poussera encore les États-Unis de Biden ou de son successeur à se montrer plus offensifs en renforçant la pression qu’ils exercent sur leurs amis pour s’aligner sur les intérêts américains.
SUR LE MÊME THÈME
ON THE SAME THEME
PUBLICATIONS
Rééquilibrer la relation UE-Chine dans un nouvel ordre mondial

Les entreprises européennes face au découplage de la Chine et des États-unis

Réduire la dépendance de l’UE aux importations chinoises de terres rares et autres minerais stratégiques

MÉDIAS
MEDIAS
Les petits États européens opposés à Paris et Berlin dans la riposte à l’IRA

TECHNOLOGIES VERTES : LES CRISES EN SÉRIE DYNAMITENT LES RÈGLES DU JEU DU LIBRE-ÉCHANGE SOUS COUVERT D’ACTION CLIMATIQUE

FRANCE-ALLEMAGNE : 60ÈME ANNIVERSAIRE DU TRAITÉ DE L’ÉLYSÉE À LA SORBONNE

L’Allemagne, le temps des incertitudes

Thierry Breton: Brussels’ bulldozer digs in against US

Covid-19 en Chine : l’Europe saura-t-elle tirer les leçons de trois ans de crise ?

Les défis européens pour 2023

L’Europe à la manoeuvre pour défendre ses industries du futur

Comment l’Europe se mobilise pour sauver son industrie

Bilan 2022: grandes fractures géopolitiques mondiales

Zelensky à Washington: «Des voix s’interrogent sur l’aide des États-Unis»

Visite de Zelensky à Washington

Dépourvue de métaux stratégiques, l’UE parie sur le libre-échange pour s’en procurer

De crise en crise, l’Europe avance

Chine : priorité à l’économie

Pourquoi les États-Unis sont toujours gagnants dans les crises face à l’Europe

Les États-Unis, nouvel eldorado des industriels

Plan d’aide à l’industrie américaine

Pas d’évolution en vue pour le plan d’aide américain, Bruxelles redoute une tempête sur l’industrie européenne

Le Journal – Macron aux Etats- Unis

Ukraine : Biden et Macron alliés ?

Aux Etats-Unis, Emmanuel Macron en allié non aligné

Les Européens divisés face aux subventions américaines

Europe weighs response to US manufacturing subsidies

Souveraineté industrielle: le réveil de l’Europe

L’Europe finalise son arme de dissuasion contre le chantage économique

Protectionnisme : cette décision de Joe Biden qui agace les Européens

Europe : Charles Michel sur une ligne de crête pour son voyage éclair à Pékin

Berlin warms to France’s ‘Buy European’ plans as global trade rules erode

Comment l’Europe hausse le ton face au nouveau protectionnisme américain de Joe Biden

As Ukraine War Hits Pocketbooks, European Discontent Grows

L’Europe désarmée face au protectionnisme américain

Les intérêts de l’Allemagne menacent-ils ceux de l’UE ?

POURQUOI LE G20 EN INDONÉSIE S’ANNONCE SOUS HAUTE TENSION

US assertive protectionism at the time of the 2022 midterm elections

Après les midterms, une guerre commerciale entre Bruxelles et Washington?

Quand l’Europe s’éveillera

Industrie: Paris mobilise l’Europe contre Washington

Face au protectionnisme vert américain, la valse-hésitation des Européens

C’est quoi cette « course aux subventions » américaine qui met en rage Bruno Le Maire ?

L’Europe hausse le ton contre le protectionnisme des États-Unis

Olaf Scholz en Chine: l’Allemagne s’attire les critiques de ses alliés européens

Covid, économie… La Chine dans l’impasse autoritaire

Visite controversée du chancelier allemand en Chine : le port de Hambourg au cœur des critiques

Visite en Chine : Olaf Scholz sous le feu des critiques

French policymakers irked by Chinese company’s stake in Hamburg port

Transports : la Chine investit, l’Europe avertit

La guerre en Ukraine complique la quête d’une « souveraineté européenne »

Morning Trade: Macron, the protectionist?

Face à la Chine, Bruxelles et Washington renforcent leur arsenal de défense commerciale

Chine : Xi Jinping tout puissant

Face à la Chine, l’Union européenne se divise sur la ligne économique à adopter

L’UE cherche son positionnement face à la Chine de Xi Jinping

France plays bad cop as transatlantic trade tensions ramp up

L’Allemagne critiquée pour son bouclier énergétique

Impôts, protectionnisme… Les politiques économiques des populistes en Europe à l’épreuve de la réalité

Libre échange: cinq ans après, le CETA miroir des paradoxes européens

Avancer sur la lutte contre le travail forcé sans froisser Pékin, le pari réussi de Bruxelles

Entre Pékin et Moscou, un vrai rapprochement mais des différences stratégiques énormes

Entre la Chine et la Russie, un véritable rapprochement mais des différences stratégiques

China-Russia: an unequal and fragile relationship

Sabine Weyand: ‘The EU found out that we are dependent on Russia. We can’t afford that’

Nouvelle querelle commerciale entre l’Europe et les Etats-Unis autour des voitures électriques

Berlin Bulletin: Trust is eroding — Still happy together — Outside view

Pascal Lamy on the climate crisis: “We have to go way back to find a global picture as depressing as today”

« Poutine a jeté l’Europe dans les bras américains de l’OTAN et les Américains ont jeté Poutine dans ceux des Chinois » (Pascal Lamy)

Le soutien limité des pays du Golfe dans la bataille énergétique entre les Occidentaux et la Russie

L’UE et la Nouvelle-Zélande se rapprochent d’un accord commercial

Macron’s misfortune spells trouble ahead for EU trade

WTO chief says ‘cautiously optimistic’ ahead of high-stakes meet

Ministers gather for high-stakes WTO meet

Blé, pêche, brevets: réunion ministérielle à haut risque à l’OMC

Covid, guerre, inflation, crise alimentaire : quels sont les dangers qui planent sur l’Europe

Pascal Lamy : « Les règles du jeu de la mondialisation sont en train de changer »

Le nouvel âge de la mondialisation : vers un monde plus fragmenté

Energie, alimentation… Comment les Etats-Unis tirent profit de la guerre en Ukraine

L’Union européenne, géant de l’export, affiche un solde négatif exceptionnel

Pascal Lamy (Instituts Jacques Delors) : Les divergences économiques de la France et l’Allemagne

Face aux crises, comment l’Europe peut-elle se renforcer ?

Former policy chiefs warn EU over hunt for non-Russian fossil fuels

« Le projet de paix de l’UE est en train de devenir un projet de puissance »

Guerre en Ukraine: «Les Etats-Unis veulent humilier la Russie»

Le Grand Journal de l’Éco – Pascal Lamy

De Washington à Bruxelles, pourquoi Marine Le Pen fait peur à l’Occident

Les Européens demandent à la Chine de se positionner face à la Russie

L’UE cherche à contrer l’axe Pékin-Moscou

Russie-Ukraine : à quoi joue la Chine ?

Carrefour de l’Europe en direct avec Pascal Lamy

French companies grapple with staying in Russia despite mounting public pressure

Guerre en Ukraine : pas de soldats, pas d’avions mais 3 ministres. Pourquoi ?

Ukraine : Xi Jinping allié de V. Poutine ? Pékin demande à Washington de ne pas nuire à ses intérêts

Crise de la souveraineté : la mondialisation de la guerre en Ukraine. Avec Sylvie Brunel et Pascal Lamy

Ukraine presses the EU to get real about trading with the enemy

L’Union européenne veut s’ouvrir l’accès aux marchés publics étrangers

How Russia’s removal from ‘most favored nation’ could affect trade

Interview Pascal Lamy

Pascal Lamy: «Il y aura encore des escalades de souffrance en Ukraine»

« Après l’Ukraine, il faut un nouveau plan de relance », une conversation avec Pascal Lamy

Les sanctions européennes contre la Russie marquent un nouveau pas vers l’intégration entre les 27

Pas de détente commerciale entre Washington et Pékin

L’Union européenne face aux épreuves et aux critiques

Why the EU is taking China to WTO over Lithuania dispute

Joe Biden évoque de lourdes sanctions à l’égard de la Russie en cas d’invasion de l’Ukraine

Ukraine : « Une conscience géostratégique s’éveille en Europe »

The bigger picture — Beijing and Washington

La Lituanie appelle l’UE à défendre l’ordre commercial face à Pékin

Ukraine, sécurité de l’Europe

La Chine renforce ses débouchés en Asie

A Bruxelles, le projet de loi sur les semi-conducteurs tourne au bras de fer Breton-Vestager

Livre blanc : comment s’adapter au « découplage économique » États-Unis-Chine

Quand l’Occident croyait à la convergence de la Chine

Comment la concurrence chinoise a bouleversé l’industrie européenne

MACRON RECEIVES REPORT URGING ‘REALIST’ APPROACH TO CHINA

Commerce : face à la montée des tensions géopolitiques, l’Europe veut se protéger

Politique commerciale : la France au défi de consacrer sa vision en Europe

Accord inédit à 67 pays sur le commerce des services
