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Le retour précipité des réfugiés Syriens ne servirait pas les intérêts européens

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Vignon, J. « Le retour précipité des réfugiés Syriens ne servirait pas les intérêts européens », Blogpost, Institut Jacques Delors, décembre 2024


Au lendemain de la chute du régime de Bachar el Assad, suite à l’offensive inopinée des combattants de l’HTS, plusieurs gouvernements européens ont exprimé leur intention de « suspendre » l’examen des demandes de protection en cours d’examen émanant de ressortissants syriens. Il y a tout lieu de penser que cette intention, si elle était suivi d’effet, serait contraire à l’esprit voire à la lettre des obligations auxquelles ces États ont souscrit dans le cadre de l’Espace européen commun de l’asile. En outre son application serait de fait très complexe et ses effets négatifs pour les intérêts à long terme de l’Union européenne. Les conventions internationales de protection auxquelles l’UE et ses États membres ont souscrit prévoient bien la possibilité de retirer cette protection si les justifications initiales de son octroi ont clairement disparu. Mais les États membres de l’UE ont tout avantage à s’engager de façon coordonnée dans une telle révision.

Depuis l’entrée en 2013 de la Syrie dans une guerre civile provoquée par la répression exceptionnelle conduite par le président Bachar el Assad, les ressortissants syriens ont fui en masse leur pays. On estime à 6 millions au total le nombre de ceux qui ont fui la Syrie. Près de 1,4 millions ont demandé et obtenu en très grande majorité une protection dans les pays de l’UE entre 2015 et 2023. Plus de la moitié d’entre eux ont été accueilli en Allemagne fédérale. La Suède (198 000), la Norvège, les Pays-Bas, l’Autriche ont également accueilli les réfugiés syriens. En France, selon l’OFPRA le nombre total des Syriens bénéficiant d’une protection était à la fin de 2023 de 43 000 (23 000 avec le statut de réfugié et 20 000 sous le régime de la Protection subsidiaire). Les Syriens constituent ainsi la plus importante population de personnes sous protection internationale en Europe. Alors que le flux de leur arrivée avait fortement diminué en 2017, les années 2021 à 2023 ont connu un regain de ces arrivées que l’on attribue en partie à l’épuisement des capacités d’accueil dans les pays de proximité, notamment la Turquie et le Liban qui ont respectivement accueilli pour leur part plus de 3 millions et 1,5 millions de réfugiés syriens.

D’un point de vue juridique, la suspension annoncée des demandes d’asile en cours (de l’ordre de 150 000 environ pour l’ensemble de l’UE), n’est pas conforme à la directive « Accueil » de l’Union européenne qui définit les conditions matérielles et administratives du traitement des dossiers de demande de protection. Cette directive prévoit que la procédure d’examen doit suivre son cours jusqu’à ce qu’une décision finale d’accord ou de rejet, assorti dans ce dernier cas d’un droit de recours, soit prise. On peut certes attendre une clarification de la situation en Syrie pour décider de l’octroi d’une nouvelle protection, mais dès lors qu’une demande d’asile a été déposée et reconnue par l’administration compétente, suspendre son examen revient seulement à allonger la procédure, un allongement qui ne dispense pas d’assurer les besoins essentiels (logement, ressources de base, santé, éducation pour les enfants). L’annonce faite par Magnus Brunner, le nouveau Commissaire européen en charge des migrations et de l’asile excluant à ce stade une révision des orientations de l’Union européenne pour les demandes d’asile syrienne est donc bienvenue.

La perspective d’un retour accéléré sinon forcé des réfugiés syriens aujourd’hui protégés, préconisée par certaines forces politiques en Europe soulève des objections encore plus redoutables, au titre d’une autre directive européenne qui s’applique aux retours. Celle-ci précise qu’en aucun cas le retour ne peut être prescrit si les personnes concernées subissaient des menaces graves pour leur intégrité, soit du fait de la nature oppressive du régime en place, soit en raison de leur appartenance à une minorité subissant des persécutions. L’évidence, confirmée par les déclarations des principaux responsables politiques européens comme par l’état de guerre qui subsiste sur l’ensemble du territoire syrien est qu’aujourd’hui aucun de ces risques n’est vraiment conjuré.

Ces considérations de bon sens devraient conduire la Commission européenne à requérir d’urgence l’Agence européenne de l’asile. Cette Agence, dont les compétences et les moyens ont été renforcés au cours de la précédente législature, a les capacités de conduire une mission commune d’évaluation en continu du risque « pays » que présente la Syrie, conjuguant les connaissances de terrain dont disposent les différentes agences nationales de l’asile. Il est urgent d’avoir au plan européen une unité de vue sur les critères qui guideront à l’avenir deux types de décision : l’appréciation de la recevabilité des nouvelles demandes d’asile d’origine syrienne et l’opportunité de remettre en cause les protections déjà accordées. Il s’agit à l’évidence d’une question européenne : à défaut d’une coordination entre les États, les plus sensés pourraient être entrainés dans la surenchère du moins disant de l’hospitalité. La coordination de la rédaction des fiches de risque pays est une pratique de coopération courante reconnue par les agences nationales de l’asile comme efficace et conduisant à éviter que les écarts entre les taux nationaux d’octroi de la protection ne soient divergents. Il est regrettable que le Conseil des ministres des affaires intérieures tenu à Bruxelles le 13 décembre n’ait pris aucune orientation sur la question de la situation en Syrie. La précipitation dans cette matière, à rebours de la fièvre répandue par les courants d’extrême droite tablant sur la lassitude des pays d’accueil, doit se voir opposer deux autres considérations.

Même si l’on ne dispose pas d’une évaluation d’ensemble de l’intégration des ressortissants syriens dans les pays de l’Union européenne depuis 2015, quelques indications attestent d’un réel succès : en Allemagne où se trouvent la majorité d’entre eux, le taux d’occupation sur le marché du travail a atteint pour les hommes syriens 86%, plus élevé que celui observé pour l’ensemble de la population masculine et nombre d’entre eux ont joué un rôle important dans les emplois de première ligne ayant permis de surmonter la crise du COVID. En Suède, selon les estimations d’Eurostat, 75% de la population d’origine syrienne avait acquis la nationalité suédoise. De fait, ce sont les ressortissants syriens les plus qualifiés et diplômés qui ont rejoint l’Europe, où ils occupent souvent des emplois de qualifications mois élevée que celle à laquelle ils pourraient prétendre. Renoncer d’un seul coup aux fruits économiques, sociaux et culturels de ces trajectoires en moyenne anciennes de 7 années, serait hautement dommageable pour les deux parties. C’est plutôt sur la base d’un régime de retours volontaires que les liens tissés à travers les réfugiés syriens auraient le plus de chance d’être bénéfiques dans le long terme pour les Syriens et pour l’Europe.

C’est en définitive dans le long terme qu’il faut apprécier la possibilité des retours de la population syrienne implantée en Europe. On ne peut que souhaiter à ceux qui voudront retrouver leurs racines et leurs familles meurtries de pouvoir accomplir ce voeu, sous la sauvegarde d’un « monitoring européen éclairé » les préservant des menaces qui pèsent encore sur eux. Il n’est pas irréaliste de penser que la protection déjà accordée par l’Europe créera dans le long terme, pour ceux qui repartiront comme pour ceux qui resteront une forme de lien durable de nature à contredire les nouvelles narrations portées par un « Sud global » y compris dans le monde musulman, qui ne veulent voir en Europe que de l’égoïsme et de la domination.

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