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Le Trumpisme, nouvelle idéologie révisionniste du siècle

| 14/02/2025

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Gnesotto, N. « Le Trumpisme, nouvelle idéologie révisionniste du siècle », Blogpost, Institut Jacques Delors, Février 2025


L’Union européenne peut bien tenter de se rassurer comme elle peut, le monde de Trump sera une épreuve dramatique pour elle-même, l’Alliance atlantique, le système international. On connaissait le révisionnisme russe : Poutine veut détruire l’ordre européen mis en place à la fin de l’URSS. On connaissait le révisionnisme asiatique : Xi Jin Pin veut revoir l’ordre asiatique en refusant la légitimité d’une présence américaine dans la zone. On va découvrir le révisionnisme global : Donald Trump et Elon Musk veulent tout simplement abolir l’ordre international que leurs aïeux avaient instauré en 1945.

Celui-ci reposait sur trois piliers : le libéralisme économique, la démocratie, le Droit. Ils veulent les remplacer par le protectionnisme, l’ingérence autoritaire, la suppression de toutes les règles qui pourraient entraver la liberté de la puissance américaine.  Le soutien d’Elon Musk aux extrêmes droites allemandes et britanniques, le salut nazi qu’il a osé faire lors de l’investiture de Donald Trump, n’ont rien à envier aux ingérences de Poutine et de la Chine dans les processus électoraux européens : Elon Musk est même plus dangereux, car ses ingérences sont directes, brutales, provocantes, au regard des actions clandestines des deux dirigeants communistes. Pourquoi l’Europe ne le condamne-t-elle pas solennellement, comme elle le fait des autres ingérences étrangères contre notre démocratie ?

Quant au primat du droit sur l’arbitraire d’un seul, qu’il s’agisse du droit international, du droit des affaires ou du droit privé, sa remise en cause est spectaculaire. Donald Trump veut s’emparer du Canal de Panama ou des ressources minières du Groenland, foulant au passage les principes de la souveraineté des Etats et de l’intangibilité des frontières nationales. Elon Musk a pour mission de déréguler l’économie américaine et mondiale, et de supprimer toutes les règles contraignantes pour l’innovation technologique. Au passage, c’est le droit de la personne privée qu’il foule aux pieds en volant des milliers de données de l’administration américaine. Au nom de l’intérêt de quelques privilégiés américains et de la liberté d’action, c’est l’arbitraire, la puissance et la volonté d’un seul qui pourront s’imposer. Si tout cela n’inaugure pas une révolution mondiale, idéologique, puissante, destructrice de la démocratie et du Droit international, on se demande bien ce que cela pourrait être.

Certainement pas en tout cas la continuation de notre alliance atlantique traditionnelle. Le nouveau président américain n’a que faire des principes, des alliances, des valeurs : l’Otan ne se maintiendra que si elle sert ses intérêts, autrement dit si les Européens cèdent à tous les desiderata de Washington. Ce n’est plus tous pour un et un pour tous, comme le suggère le traité de l’Otan, c’est tous pour un et un pour personne d’autre que lui-même.

Car la stratégie de Donald Trump est aussi simple que simpliste : elle commence par une sorte de racket familial, chez les alliés et voisins, en obtenant d’eux, par des chantages inamicaux ou même violents, ce que le président considère comme nécessaire pour renforcer la puissance américaine. Dans un deuxième temps, il lui faudra affronter le seul vrai défi anti-américain : la puissance chinoise. Les alliés peuvent donc s’attendre à une reprise de la formule de Donald Rumsfeld, alors secrétaire à la défense de Georges Bush junior en 2003 lors de la guerre en Irak : « soit vous êtes avec nous, soit vous êtes contre nous ».

On reste toutefois sidéré par les déclarations, naïves ou terrifiées, de tel ou tel dirigeant européen sur la solidité de l’Alliance et la confiance de l’Europe dans l’allié américain. Il est vrai que l’Europe cumule les vulnérabilités comme jamais elle ne l’a fait durant ses 70 ans d’Histoire : une menace d’agression russe à l’Est, une menace d’abandon américain à l’Ouest, une menace d’extrême droite à l’intérieur, sur fond de décrochage économique massif.  Cette accumulation de risques vitaux pour la sécurité et la démocratie européennes paralyse les Européens et mène naturellement à la division. Des trois scenarios qui s’offrent désormais à l’Union européenne, le plus immédiat est celui de la soumission : les Institutions comme la plupart des dirigeants européens attendent de voir mais sont prêts à accepter les injonctions américaines, au nom de leur défense collective.  Par peur du Russe, on achètera du gaz de schiste américain (au dépends du green deal) ; par peur des sanctions commerciales, on achètera des armements américains (aux dépends de la défense européenne) et on détricotera tout ce qui faisait le début d’un leadership européen sur le climat ou la protection des usagers d’internet. Simultanément, un deuxième scénario se dessine, sans être antinomique du précédent : la négociation, en rang séparé, d’un traitement de faveur pour tel ou tel Etat se croyant encore meilleur allié de l’Amérique. L’Italie, la Hongrie, la Slovaquie cultivent cette illusion. Le troisième scénario, celui de la résistance, se fait attendre. Mais il est en train de naître. La Pologne de Donald Tusk porte aujourd’hui sur son dos les espoirs de tous les vrais Européens. Avec Antonio Costa, le premier ministre polonais n’a plus que quatre mois et demi pour faire entrer l’Union en résistance contre ce que personne, pas même Tocqueville quand il analysait les germes de la dictature dans la démocratie elle-même, n’avait osé imaginer venant d’Amérique : une nouvelle forme d’impérialisme fascisant.  Cette résistance européenne est indispensable et urgente. Au-delà des répliques sur les droits de douane contre les produits américains, des agitations sur l’industrie et les budgets de défense, des boussoles de compétitivité proposées par la présidente de la Commission, l’enjeu n’est pas autre chose que la survie de l’Union et de la démocratie elle-même.

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