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Leçon de démocratie à Bruxelles

Alors que se tiennent les auditions des commissaires désignés au Parlement européen, cet exercice renforce la démocratie au sein de l’Union et reste sans équivalent chez les États membres, signale, dans une tribune au « Monde », Sébastien Maillard, de l’Institut Jacques-Delors.

Tribune. Le « déficit démocratique » n’est pas toujours du côté où on le croit. A Bruxelles se déroulent jusqu’au mardi 8 octobre les auditions des commissaires européens. Un examen de passage redoutable, sans équivalent dans nos démocraties nationales. Au Parlement européen, c’est devenu une tradition établie. Chaque commissaire désigné par son gouvernement – pour la France, Sylvie Goulard – doit répondre, durant près de trois heures, aux députés européens, qui lui ont adressé un premier questionnaire.

Les élus du suffrage universel interrogent, publiquement, en direct et avec traduction simultanée, les futurs membres de la Commission sur leurs compétences dans le champ d’intervention qui les attend, sur leurs convictions européennes et sur leurs capacités de communication. En son temps, Jacques Barrot comparaît la préparation de cette audition « au grand O de l’Ena ».

Le jury parlementaire ne fait en général pas de cadeau. Chaque futur collège de commissaires a ses recalés. On se souvient comment, en 2004, les députés européens avaient refusé leur confiance à l’aspirant commissaire Rocco Buttiglione, désigné par Silvio Berlusconi, pour des propos jugés homophobes. D’autres auditions dans le passé ont obligé le président de la Commission à revoir les attributions qu’il comptait confier à tel ou tel commissaire.

La démocratie représentative retrouve de son éclat

L’absence de conflit d’intérêts et une solide connaissance des dossiers pèsent lourdement dans l’appréciation des élus. Pour les présentes prestations, le Parlement européen a déjà montré ses muscles. Frustrés de n’avoir pu investir l’un des siens au profit d’Ursula von der Leyen, qui a été élue de justesse, les députés européens comptent bien influer de tout leur poids dans la composition de la prochaine Commission. Avant même le début des auditions, l’examen préalable des dossiers en commission juridique du Parlement européen a conclu les candidatures hongroise et roumaine irrecevables pour cause de conflits d’intérêts.

Les gouvernements de ces deux pays ont aussitôt proposé un autre postulant. La vie parlementaire prend ainsi du relief. Et la démocratie représentative que fustigent les nationaux populistes retrouve de son éclat. Il paraît d’un autre âge le temps où le général de Gaulle voyait dans la Commission de Bruxelles « quelque aréopage technocratique, apatride et irresponsable ». Pour un commissaire – terme qui demeure on ne peut plus malheureux pour se rapprocher du citoyen –, l’audition devant le Parlement européen, aussi pénible soit-elle, lui offre l’occasion de recevoir l’onction démocratique des élus.

Entre, d’un côté, un commissaire nommé par son pays mais éprouvé par les députés européens pour mériter leur confiance, et, de l’autre, un ministre français simplement nommé par le président de la République, lequel possède finalement la légitimité démocratique la plus solide ? Les auditions des commissaires en cours à Bruxelles n’ont pas à rester une exception européenne. Elles figuraient dans le programme d’Emmanuel Macron durant la campagne présidentielle : l’engagement à faire auditionner les ministres, aussitôt après leur nomination, par les députés concernés de l’Assemblée nationale, au sein des commissions parlementaires.

Les véritables couleurs de la démocratie

La pratique, inspirée de Bruxelles mais aussi des « hearings » (audience) du Congrès américain, n’a été que très partiellement mise en œuvre au Palais-Bourbon durant l’été 2017. La plupart des ministres nouvellement nommés ont certes répondu aux questions des députés en commission parlementaire sans que cela ne débouche ensuite sur un vote d’approbation ou non du ministre auditionné. Déjà nommés, les ministres n’ont pas joué leur siège dans ces échanges. C’est une copie bien pâle de l’original européen. Ces auditions à la française sont passées d’ailleurs inaperçues, alors qu’à Bruxelles les auditions des commissaires sont devenues un temps fort, attendu avec gourmandise par la presse européenne.

De fait, il en va de l’avenir de la prochaine Commission, dont ces auditions, loin d’affaiblir son démarrage, la préviennent de futures erreurs de casting. Les auditions parlementaires contribuent à restaurer la confiance dans la démocratie représentative. Bien sûr, des ententes entre groupes politiques pour neutraliser des oppositions de part et d’autre risquent d’en dévier l’esprit, comme ce fut le cas en 2014 entre sociaux-démocrates et chrétiens-démocrates.

L’exigence du politiquement correct peut pousser le prétendant commissaire à se cacher derrière des formules creuses. Des auditions conduisent parfois les élus à exiger des compléments d’informations. Mais menées de manière approfondie, sans concession et de bonne foi, médiatisées comme elles le mériteraient, ces auditions, suivies du vote de confiance pour l’ensemble de la nouvelle Commission, confèrent à cette dernière les véritables couleurs de la démocratie.

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