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Les Européens, l’Amérique et l’Ukraine

Chronique publiée en partenariat avec L’Opinion

Pendant que l’Europe prend son temps pour installer sa nouvelle équipe, le monde continue de mal tourner. Le conflit israélo-palestinien risque d’embraser le Moyen Orient et détruit déjà des milliers de vies civiles, à Gaza et au Liban. Les manœuvres aériennes se précisent autour de Taïwan. La Russie grignote des kilomètres de territoire ukrainien. Mais l’Union reste en mode « attentisme stratégique » : elle attend la fin de ses processus internes de validation des commissaires ; elle attend surtout l’issue des élections américaines. Le dernier Conseil européen du 18 octobre n’a même pas inscrit à son agenda l’avenir de la relation transatlantique. La terre entière se demande ce qui sortira des urnes américaines et comment s’y préparer, mais l’UE n’élabore aucune des stratégies nécessaires en cas de victoire de l’un ou de l’autre.

Une telle carence de réflexion est ahurissante : les chefs d’Etat et de gouvernement n’ont apparemment rien à se dire sur l’avenir de la politique américaine. Ce sujet a toujours été le grand tabou de l’UE, comme si réfléchir ensemble, entre Européens, à l’évolution de l’Amérique était déjà un signe d’émancipation coupable. Même à l’heure où chacun se gargarise de formules sur l’autonomie stratégique, faire des Etats-Unis un des sujets, parmi d’autres, de la politique étrangère de l’Union relève de l’interdit.

C’est donc l’espoir d’une victoire démocrate qui tient lieu de politique. Nul doute qu’une victoire de Trump serait catastrophique, et pas seulement pour l’UE. Mais n’oublions pas qu’en en termes d’imprévisibilité et de négligence à l’égard des Européens, Joe Biden a fait aussi fort que son prédécesseur. C’est lui en effet qui a décidé le retrait militaire d’Afghanistan sans prévenir ses alliés ; qui a signé une nouvelle alliance militaire, l’Aukus, avec l’Australie et la Nouvelle Zélande, là encore sans prévenir ; et sa dernière loi sur l’IRA, censée protéger les entreprises américaines, s’est identifiée à une attaque en règle contre les industries européennes.

Parmi les victimes possibles des élections américaines, l’Ukraine figure en bonne place. Déjà une certaine lassitude est perceptible des deux côtés de l’Atlantique. Le président Zelensky l’a bien sentie, et c’est la raison pour laquelle il est venu proposer son « plan de la victoire » qu’il espère achevée en 2025. Mais cette « Ukraine fatigue » n’aura pas les mêmes conséquences avec l’un et l’autre des candidats américains : Kamala Harris bredouille le politiquement correct et se veut rassurante sur le maintien de l’assistance américaine ; Donald Trump a prévenu qu’il pourrait régler le problème en 24h, sans que l’on sache quelles concessions il serait prêt à faire à Vladimir Poutine. Quant à l’avenir de l’OTAN, des écarts importants séparent les deux candidats et laissent planer sur la défense de l’Europe, comme sur le sort de l’Ukraine, des doutes dévastateurs.

Alors que feront les Européens ? Ont-ils deux stratégies prêtes à l’emploi, en cas de victoire de l’un ou de l’autre ? Ont-ils réfléchi à l’entrée de l’Ukraine dans l’OTAN ? Aux garanties de sécurité qui pourraient lui être données ? Maintiennent-ils que « ce que veut l’Ukraine l’UE le voudra aussi »? Nul ne le sait. Il est urgentissime que la France, l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne et la Pologne convoquent un dîner informel puis un sommet spécial sur l’avenir de la relation euro-américaine.

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