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Les migrants, « l’espace Schengen » et la solidarité européenne
Réalisation à la fois ancienne et emblématique de la construction européenne, « l’espace Schengen » est aujourd’hui l’objet de critiques, au point que sa gestion et sa « réforme » ont été à l’ordre du jour du Conseil européen des 23 et 24 juin. L’arrivée de migrants sur les côtes italiennes a nourri de telles critiques, qu’avaient déjà suscitées des difficultés survenues à la frontière gréco-turque, mais aussi la perspective des adhésions bulgare et roumaine…
Réalisation à la fois ancienne et emblématique de la construction européenne, « l’espace Schengen » est aujourd’hui l’objet de critiques, au point que sa gestion et sa « réforme » ont été à l’ordre du jour du Conseil européen des 23 et 24 juin. L’arrivée de migrants sur les côtes italiennes a nourri de telles critiques, qu’avaient déjà suscitées des difficultés survenues à la frontière gréco-turque, mais aussi la perspective des adhésions bulgare et roumaine.
- L’abolissement des contrôles fixes aux frontières « intérieures » de l’espace de libre circulation crée par ses 25 pays membres (par exemple entre la France et la Belgique) ;
- Le maintien de contrôles mobiles, présumés plus efficaces, et éventuellement conjoints (et mis en scène avec humour par le film de Dany Boon « Rien à déclarer ») ;
- La possibilité d’invoquer des « clauses de sauvegarde » afin de rétablir très ponctuellement les contrôles fixes aux frontières nationales, par exemple en cas d’événements sportifs ou politiques (ces clauses ont déjà été activées des dizaines de fois depuis 1985, sous le contrôle de l’UE) ;
- Enfin la gestion commune des frontières extérieures, qui sont ipso facto « nos » frontières, puisque ceux qui les franchissent peuvent se rendre librement dans les autres pays membres, pour peu qu’ils respectent les règles européennes établies en matière de visas et de ressources.
« L’espace Schengen », c’est aussi la surveillance de nos frontières extérieures communes dans un contexte « asymétrique » : les frontières terrestres et maritimes de certains pays sont en effet plus exposées à d’importants flux migratoires, compte tenu de la géographie (exemple de la Grèce) et parfois de l’histoire (exemple de Malte suite aux révolutions arabes). Cette « asymétrie », assez nette en matière de demandes d’asile, est en partie à l’origine des tensions de ces derniers trimestres, mais aussi des questions relatives à la solidarité des pays voisins, théoriquement tout aussi concernés.
- Mécanismes de péréquation financière tout d’abord, via 4 Fonds européens trop méconnus: le Fonds européen pour les Frontières Extérieures, le Fonds européen pour les Réfugiés, le Fonds européen pour l’Intégration et le Fonds européen pour le Retour. Chaque Etat membre reçoit une part fixe de ces Fonds, ainsi qu’une part proportionnelle à son degré d’exposition aux flux migratoires, ce qui est l’expression concrète d’une solidarité européenne.
- Cette solidarité européenne s’exprime aussi par l’intermédiaire de l’agence FRONTEX, qui peut offrir une assistance technique aux Etats membres faisant face à une forte pression migratoire. Cette assistance conduit au financement d’opérations conjointes de patrouille en mer (« Opération Hermès » au large de l’Italie en 2011) ; elle conduit aussi à l’envoi d’« équipes d’intervention rapide aux frontières » (ou « Rabit » pour « Rapid Border Intervention Team »), composé de gardes-frontières issus de tout ou partie des Etats membres, agissant sous l’autorité du pays hôte, mais financés par leur pays d’origine. Ces équipes européennes sont par exemple entrées en action avec succès en novembre 2010 alors que la Grèce avait demandé de l’aide pour mieux maîtriser les flux à sa frontière commune avec la Turquie.
- La solidarité européenne peut enfin s’exprimer en matière d’accueil des demandeurs d’asile : la directive « protection temporaire » adoptée en 2001 prévoit en effet que, si un pays accueille un nombre de demandes excédant ses capacités d’accueil, les pays voisins peuvent prendre en charge une partie des demandeurs concernés.
Tous ces mécanismes de solidarité ont été mis en place au cours des dix dernières années, dans le cadre d’un mouvement progressif d’européanisation de la gestion des flux migratoires, traditionnellement dévolue aux Etats. Il n’est guère étonnant qu’ils puissent encore être approfondis et améliorés, y compris parce qu’ils ont été conçus pour faire face à des flux migratoires « standards » et sont sans doute mal adaptés à des situations de crise. Ces améliorations passent notamment par une forte hausse des financements européens dans le cadre de la grande négociation budgétaire à venir, ainsi que par la mise en place d’un régime commun de gestion des flux massifs d’immigrés illégaux (hors demandeurs d’asile).
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Les autorités nationales assument leurs devoirs et ne fassent pas systématiquement appel à la solidarité des pays voisins lorsqu’ils sont confrontés à des flux migratoires d’ampleur limitée au regard de leur population totale : c’est aussi pour cette raison que l’Italie et ses 60 millions d’habitants n’ont pas été jugés « secourables » alors qu’elles accueillaient un peu plus de 20 000 migrants venus de Tunisie ;
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Les politiques d’asile conduites par les Etats de l’espace Schengen soient davantage harmonisées : les taux d’acceptation des demandes d’asile et le nombre de réfugiés accueillis sont en effet extrêmement variables d’un pays à l’autre, de sorte que ceux qui estiment faire le plus d’efforts en matière d’ouverture et d’accueil peuvent renâcler à assister ceux qui en font beaucoup moins ;
- Il est enfin nécessaire que les autorités nationales puissent se faire confiance, et que les Etats présumés défaillants acceptent l’examen et l’assistance de leurs voisins : c’est par exemple parce que Bulgarie et Roumanie ont longtemps nié la fiabilité insuffisante de leurs contrôles frontaliers que la perspective de leur adhésion à « l’espace Schengen » a pu susciter des réticences.
Ces éléments du débat relatif à « l’espace Schengen » font écho à des discussions plus larges portant sur nombre des mécanismes de solidarité mis en place au sein de l’UE, dans des domaines d’action anciens (exemples de la « PAC » et de la politique de cohésion), comme plus récents (notamment au sein de la zone euro ou en matière énergétique). Ces mécanismes sont au cœur de la construction européenne, fondée sur « la compétition qui stimule, la coopération qui renforce et la solidarité qui unit », selon la formule de Jacques Delors.