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LES MOLDAVES ET L’UE : UNE EUROFAVEUR ENCORE TIMIDE
Citer cet article
Debomy D. 2023. « Les Moldaves et l’UE : une eurofaveur encore timide », Blogpost, Paris : Institut Jacques Delors, juillet.
Introduction
La Moldavie a été récemment mise en lumière en accueillant le 1er juin le sommet de la Communauté politique européenne et les quarante-cinq dirigeants d’Etats qui ont voulu manifester leur soutien à ce pays, où l’inquiétude est grande devant l’invasion par la Russie de l’Ukraine voisine. Cette agression a amené les Vingt-Sept à hâter politiquement le processus d’adhésion, en reconnaissant à la Moldavie, en même temps qu’à l’Ukraine, le statut de pays candidat en juin 2022.
En 2023, les enquêtes semestrielles Eurobaromètre Standard de la Commission ont pour la première fois inclus la Moldavie dans leur champ[1]. Ce document vise à donner un aperçu des opinions des Moldaves (hors Transnistrie) vis-à-vis de l’UE, à partir des principaux résultats qui s’en dégagent.
Perception de l’état du pays : sentiment dominant d’une situation médiocre
Dans ce pays de 3,5 millions d’habitants qui est parmi les plus pauvres d’Europe, seuls 29% des citoyens jugent bonne sa situation générale en juin 2023, 67% l’estiment mauvaise (avec 4% de non-réponses). La même question, portant sur la situation de l’économie nationale, donne des résultats plus sombres encore : 17%, contre 77%. Leur opinion sur l’économie de l’UE est beaucoup plus favorable : bonne pour 49%, mauvaise pour 23% (et davantage de non-réponses, 28%). Entre le début de l’année et juin dernier, on note cependant une amélioration de 7 points pour le premier indicateur, de 3 pour le second.
En même temps, interrogés sur la situation financière de leur foyer, les Moldaves sont maintenant plus nombreux (54% contre 45%) à la qualifier de bonne que de mauvaise ; ce décalage entre les perceptions relatives respectivement au pays et à soi-même est un fait observé aussi dans beaucoup des Etats membres mais il paraît ici particulièrement marqué.
Quels sont les principaux problèmes qui se posent au pays ? Comme ailleurs en Europe, l’inflation est de loin la première source d’inquiétude, citée par 41% des interviewés (qui étaient invités à désigner les deux problèmes les plus importants parmi une liste d’une quinzaine d’items), suivie de préoccupations de nature économique et sociale, dont la situation économique (22%), le chômage (15%), le système des retraites (22%), etc. L’approvisionnement énergétique est mentionné par 13%, la situation internationale par seulement 6%.
Quant aux problèmes auxquels les interviewés eux-mêmes disent devoir faire face, on y retrouve d’abord, avec la même importance, la hausse des prix (45%), puis des soucis d’ordre économique et social (situation financière du foyer, 16%, et situation de l’économie, 14%, pensions, 17%, conditions de vie, 13%, conditions de travail, 11%, et santé, 21%). Les préoccupations relatives à la hausse des prix, toujours dominantes, ont cependant perdu quelque peu de leur acuité (moins 7 points pour ce qui concerne le pays).
Sentiment d’européanité : une union encore lointaine
L’Union européenne apparaît comme une entité plutôt lointaine affectivement.
42% des Moldaves se déclarent attachés à l’UE, 52% non (6% ne répondant pas). Sur l’Europe plus largement, les réponses sont peu différentes (45% contre 50%). Que la population en Moldavie ait beaucoup en commun avec celles dans l’Union européenne était l’objet d’une question posée dans l’enquête de l’hiver dernier – proposition timidement approuvée, à 46% (42% étant d’avis inverse). Par ailleurs, à une très large majorité (67%), les Moldaves reconnaissaient être personnellement mal informés sur l’UE (31% pensant l’être bien) ; sur le degré d’information de leurs concitoyens en général, ils donnaient des réponses du même ordre, un peu plus médiocres encore (73% mal informés, 21% bien informés).
Image et perceptions de l’Union européenne : modérément positives
Les avis sur l’image de l’UE sont sensiblement plus favorables que défavorables (bonne image pour 44%, mauvaise pour 19%, neutre pour 33%). Ces scores sont presque identiques à ceux qu’on relève en moyenne chez les citoyens de l’UE (45%, contre 18%, avec 36% de réponses neutres).
La confiance accordée à l’UE est mitigée, à 44% contre 43%. Elle est cependant très supérieure à celle qui s’exprime à l’égard du gouvernement du pays à qui (en dépit d’une hausse de 6 points depuis le début de l’année) 29% déclarent accorder leur confiance, contre 65% (ce décalage est un phénomène qu’on observe aussi dans beaucoup d’autres pays européens). Et elle se distingue très nettement de celle qui concerne l’Otan, objet d’une défiance majoritaire (29% lui font confiance, 53% ne le font pas).
Ce qu’évoque l’UE (parmi une quinzaine d’items proposés aux interviewés) est en premier lieu la liberté de circulation (36% de citations), suivie de la paix (28%), puis d’aspects économiques et sociaux positifs (prospérité économique mentionnée par 23%, qualité de vie future par 27%, protection sociale par 15%). La démocratie, avec 18%, est aussi un élément parmi les plus cités (une autre question, plus directement centrée sur ce point, donne une assez forte majorité relative de personnes, 50% contre 34%, qui estiment qu’elle fonctionne bien dans l’UE – beaucoup mieux qu’au niveau national pour lequel 22% seulement, contre 75%, donnent des réponses positives.
Si l’idée d’une voix plus importante dans le monde avec l’UE n’est pas parmi les plus fréquemment retenues parmi les évocations suscitées, les citoyens moldaves considèrent quand même, à une très forte majorité (69% contre 16%), que la voix de l’UE compte dans le monde quand on leur pose directement cette question – opinion nettement renforcée (de 9 points) depuis l’enquête précédente
Les choses évoluent-elles dans une bonne direction dans l’UE ? 46% le croient, contre 27% (et 25% de non-réponses). Cela marque un gain de 6 points depuis janvier-février ; quant à la direction prise par les choses dans le pays, elle a progressé de manière spectaculaire dans le même temps : elle est considérée comme bonne par 41% (plus 15 points), mauvaise par 46%.
Cette question était posée aussi à propos des Etats Unis, pour lesquels les opinions favorables et défavorables s’équilibrent (à 29%, la proportion des non-réponses étant très grande).
Perspective d’appartenance à l’UE : nette tendance à l’approbation
La perspective d’appartenance à l’UE appelle des réactions prudentes et modérément favorables : 43% y voient une bonne chose, 20% une mauvaise chose, 31% une chose « ni bonne ni mauvaise » (et 3% ne répondent pas) : gain de 3 points depuis janvier-février.
Le pays en tirerait-il bénéfice ? En réponse à cette question qui ne propose pas de réponse intermédiaire possible entre l’accord et le désaccord, une claire majorité se prononce positivement (58% contre 34%) – en progression de 6 points.
Notons en outre que 54% des Moldaves se disent favorables à une Communauté politique européenne qui rassemble les dirigeants des pays du continent, membres de l’UE ou non (plus 6 points là aussi); 27% ne l’approuvent pas, 19% ne prenant pas position.
Attitudes relatives à la guerre en Ukraine : perceptions majoritaires de la menace de la Russie mais réticences substantielles à certaines mesures prises à son encontre
Les Moldaves pensent bien majoritairement (53% contre 36%) que l’invasion russe de l’Ukraine représente une menace pour la sécurité de leur pays : 73% d’entre eux estiment que cette guerre a de graves conséquences pour l’économie du pays, 19% n’étant pas d’accord avec cette idée. Quant à leur situation financière personnelle, une moindre majorité, de 54% contre 39%, considère qu’elle en subit de graves conséquences.
Les mesures prises par l’UE en réaction au conflit sont approuvées dans des proportions variables.
Un large accord prévaut en qui concerne l’apport d’aide humanitaire (81%), l’accueil dans l’UE de personnes fuyant la guerre (77%), ou encore l’aide financière à l’Ukraine (65% contre 28%).
Les partisans des sanctions édictées par l’UE, minoritaires au début de l’année, forment maintenant une majorité relative : 46% (plus 5 points) sont en faveur des sanctions économiques imposées à l’Etat russe, à des entreprises ou des particuliers russes, mais 41% les désapprouvent ; et, malgré une progression de 3 points, les avis favorables sont contrebalancés par des avis opposés pour ce qui est du financement et de la livraison d’équipements militaires (44%, contre 45%).
Cette opinion partagée a des causes diverses possibles : une russophilie rémanente dans une partie notable de la population, encouragée par des partis pro-russes qui restent puissants bien qu’ayant connu l’échec lors des dernières élections présidentielle et législative ; la crainte de réactions de la Russie à des mesures occidentales et européennes considérées par Moscou comme des provocations ; une dépendance économique et commerciale qui demeure malgré la réorientation graduelle des courants d’échanges – avec la proximité inquiétante de la Transnistrie sécessionniste (où l’Eurobaromètre ne peut mesurer l’opinion publique), où la Russie maintient des garnisons et des stocks d’armes (et vraisemblablement d’autres raisons encore que ces premières enquêtes ne permettent pas de déceler).
Profil des partisans de l’appartenance à l’UE : plus jeunes, plus éduqués, plus aisés, plus urbains ; et un fort clivage politique
Tous les résultats détaillés du dernier Eurobaromètre n’étant pas encore disponibles au moment de la rédaction du présent document, nous nous référerons ici à ceux de l’enquête de janvier-février. Les opinions favorables à l’adhésion à l’UE y sont nettement corrélées à la jeunesse : de 59% chez les interviewés de moins de 25 ans, elles tombent à 38% chez les plus de 40 ans.
Elles le sont au niveau d’études : de 50% chez ceux qui ont achevé leurs études à l’âge de 20 ans ou plus – et 61% chez ceux qui sont encore étudiants actuellement – à 37% chez ceux qui ne les ont pas poursuivies après 15 ans.
Parmi les catégories socio-professionnelles, les cadres se distinguent nettement, avec 60% d’avis favorables ; et lorsqu’on considère la « classe sociale subjective » (celle à laquelle les interviewés estiment eux-mêmes appartenir), on relève une proportion de partisans de l’adhésion allant de 56% dans la classe supérieure, et 70% dans la classe moyenne-supérieure, à 23% dans la classe ouvrière.
Une très forte différenciation apparaît en outre selon la préférence politique déclarée : faveur à l’adhésion européenne chez 68% de ceux qui se considèrent politiquement à droite, contre 35% au centre et 24% à gauche – résultat qu’il faut sans doute se garder d’interpréter avec des clés de lecture d’Européens occidentaux : « droite » correspond vraisemblablement étroitement aux formations opposées aux partis russophiles communistes ou post-communistes, « gauche » aux partisans de ceux-ci.
Les partisans de l’appartenance à l’UE se recrutent presque deux fois plus chez ceux qui jugent grave pour l’économie nationale l’impact de la guerre en Ukraine que chez les tenants de l’opinion inverse (50% des premiers, 27% des seconds) – et les réponses sont du même ordre pour les opinions concernant les conséquences financières personnelles des interviewés.
Enfin, les urbains se montrent plus favorables que les ruraux – dont les habitants de l’agglomération de la capitale Chisinau qui le sont à 55%. L’examen des résultats par région dans ce petit pays met en évidence d’un lieu à l’autre de grands écarts, que nous ne sommes guère en mesure d’interpréter – sauf pour le cas de la région autonome de Gagaouzie, où réside une population de lointaine ascendance turque (et dont la langue est dérivée du turc) russisée de longue date: région cajolée par la Russie qui avait tenté en vain d’en susciter la sécession, comme celle de la Transnistrie, et où une assez forte russophilie reste présente, comme à Comrat, la capitale régionale.
Les corrélations décrites ici se retrouvent d’ailleurs de la même manière dans les réponses à d’autres questions relatives à l’Union européenne : attachement à l’UE, image, confiance qu’elle inspire. On les observe aussi dans les attitudes à l’égard d’une Communauté politique européenne regroupant les dirigeants des pays de l’ensemble du continent.
Conclusion
En Moldavie se manifestent à l’égard de l’Union européenne des attentes mesurées, assorties de réserves notables d’une minorité substantielle de la population – dont des citoyens restés russophiles, encouragés dans cette position par des partis pro-russes qui restent puissants même s’ils ne sont plus au pouvoir actuellement. Ceux-ci contribuent notamment à susciter des réticences importantes aux mesures européennes de sanctions et de soutien militaire à l’Ukraine, dans un contexte où cependant les craintes de la menace russe sont majoritaires, et où on dit ressentir de graves conséquences économiques du conflit.
Bien qu’elle reste dans l’esprit de nombreux Moldaves une entité assez lointaine et peu familière, l’UE est objet d’attitudes majoritairement favorables. Les récentes manifestations de solidarité de la part des autres Européens semblent d’ailleurs avoir contribué à un renforcement du soutien sur ce plan, et en même temps à une moindre morosité quant à l’état du pays.
Point positif sans doute pour l’avenir, les attitudes sont de beaucoup plus favorables dans la partie la plus jeune de la population. Comme ailleurs en Europe, les urbains se montrent plus positifs que les ruraux, et l’eurofaveur est très corrélée au niveau d’éducation et au niveau social, d’où cependant un risque de perceptions d’élitisme auquel il convient sans doute de prendre garde.
Notes
[1] Eurobaromètre Standard 98 et 99 : enquêtes réalisées en janvier- février et en juin 2023 auprès d’échantillons représentatifs d’un millier d’interviewés dans l’ensemble du pays – à l’exclusion de la Transnistrie dissidente