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Les promesses du protectionnisme

Chronique publiée en partenariat avec L’Opinion

L’appel au protectionnisme domine en France au nom de la protection du climat, du secteur agricole ou de la souveraineté nationale. Il est renforcé par les nouveaux droits de douanes massifs qui ferment le marché américain aux exportations de technologies chinoises (panneaux solaires, batteries ion-lithium, véhicules électriques…). L’accès à la demande européenne est d’autant plus décisif pour la Chine qu’elle mise sur ces exportations pour soutenir sa croissance. Un écrasement des prix en Europe, qui serait bon pour accélérer la décarbonation, anéantirait les efforts d’investissement destinés à limiter la dépendance aux technologies chinoises.

Mais l’impact économique du protectionnisme mérite d’être clarifié alors que les vingt-sept Etats membres divergent sur cette stratégie.

Les Etats-Unis ont pour leur part une priorité qui est d’abord politique : préserver leur rang de première puissance mondiale en ralentissant la capacité d’innovation de la Chine. Washington n’a pas hésité à s’affranchir de la règle de la non-discrimination, clé de voûte de l’ordre multilatéral. Mais cela a un coût. Pour la Tax Foundation, le maintien des droits de douanes de Trump sur les importations d’acier et d’aluminium a augmenté le coût de production pour les fabricants, réduit l’emploi dans ces industries, augmenté les prix pour les consommateurs et nuit aux exportations. A plus long terme, l’érosion de la capacité d’innovation et de la compétitivité provoquerait une baisse du PIB de 0,21%, des salaires de 0,14% et de l’emploi de 166 000 équivalents temps plein. Les représailles des pays tiers réduiront encore le PIB de 0,04 % et supprimeront 29 000 emplois. Le Peterson Institute for International Economics estime le coût pour les consommateurs de chaque emploi « sauvé » dans la sidérurgie a 650 000 dollars. Le coût des droits de douanes supplémentaires de Biden et a fortiori ceux évoqués par Trump s’il est réélu (60% sur toutes les importations chinoises et 10% sur toutes les autres importations) sera bien plus élevé pour le consommateur américain.

En Europe, la préférence européenne serait justifiée pour développer une industrie européenne de défense – un secteur qui obéit à des règles d’offre et demande spécifiques. Mais la généraliser affecterait d’autant plus la compétitivité que les coûts de production en Europe sont déjà plus élevés qu’aux Etats-Unis (l’électricité reste deux fois plus chère et la main d’œuvre coûte cinq euros de plus en moyenne par heure). Dans une campagne électorale au cours de laquelle les Français se disent d’abord préoccupés par le coût de la vie, on ne peut pas occulter l’impact inflationniste des mesures protectionnistes.

Une priorité de l’agenda de la prochaine Commission sera de renforcer la stratégie de sécurité économique de l’Union qui vise à « protéger sans protectionnisme ». Cette ligne de crête exigera de continuer à utiliser activement les clauses de sauvegarde et les nouveaux instruments de défense commerciale (contrôle des subventions étrangères, réciprocité sur les marchés publics, instrument anti-coercition) pour assurer une concurrence plus équitable. Les Européens peuvent aussi soutenir la demande par des normes exigeantes de production décarbonée plutôt que des obstacles tarifaires. Par ailleurs, on n’évoque pas assez le nouvel enjeu sécuritaire de négociations commerciales pour assurer l’accès aux matières premières stratégiques et soutenir l’effort de diversification des entreprises.

Mais il faut surtout rendre le Marché unique plus attractif pour les entreprises : privilégier l’investissement dans l’éducation et les infrastructures pour fournir une main-d’œuvre qualifiée et réduire les coûts d’exploitation, et enfin investir massivement dans l’innovation. Une stratégie de leadership de niche, qui rendrait les entreprises européennes indispensables au bon fonctionnement des chaînes de valeur technologiques mondiales et réduirait leur exposition à la coercition économique, leur permettrait de privilégier un rééquilibrage de l’interdépendance moins coûteux pour la compétitivité de l’économie que la stratégie américaine qui reste celle du découplage de la Chine.