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L’euro vu par les citoyens qui ne l’ont pas encore

Par Daniel Debomy,
Conseiller, opinions publiques européennes, Institut Jacques Delors

INTRODUCTION

Parmi les vingt-sept pays de l’Union européenne, dix-neuf ont adopté l’euro. Sept autres doivent en principe le faire – c’est une obligation découlant de l’adhésion à l’UE d’un Etat membre, dès lors qu’il satisfait aux critères définis dans le traité de Maastricht. Seul cas d’exception, le Danemark qui, à l’instar du Royaume Uni à l’époque, a obtenu une exemption (opt-out) dans les dispositions de ce traité.

La Commission européenne pose régulièrement dans ses enquêtes Eurobaromètre Standard une question sur le soutien à « une union économique et monétaire européenne avec une seule monnaie, l’euro ». Elle a en outre récemment fait procéder à une enquête Eurobaromètre Flash[1], qui donne un éclairage plus complet sur les sept pays appelés à rejoindre la zone euro à l’avenir, et dont nous rendons compte ici des principaux résultats.

LE CONTEXTE EUROPEEN D’ENSEMBLE : UN SOUTIEN ACCRU A L’UEM ET L’EURO

La dernière enquête Eurobaromètre Standard, réalisée pendant l’hiver 2021[2], faisait état d’un niveau record de soutien à l’UEM et à l’euro dans l’Union européenne.

Dans la zone euro, 79% des personnes interrogées s’y disaient favorables, contre 15% défavorables. Ce score résultait d’une remontée assez régulière depuis un point bas atteint au printemps de 2013, à 62% (contre 31%) : sous l’effet de la crise financière et économique il avait baissé, avec des à-coups, depuis les 70% (contre 25%) enregistrés au printemps de 2007. Dans la période la plus récente, on note qu’il a gagné 3 points depuis l’automne de 2019. Il va de 70% à plus de 90% d’opinion favorable dans les différents pays de la zone euro.

Pour l’UE dans son ensemble, on note une évolution parallèle (à laquelle participent les pays hors zone euro) : baisse, depuis 63% d’opinions favorables (contre : 31%) en 2007 à 51% (contre : 42%) en 2013, puis remontée à 62% en 2019 dans l’UE alors à 28, pour atteindre 70% dans la dernière vague d’enquête du début de 2021 portant sur les 27 Etats membres actuels[3].

En ce qui concerne les sept pays destinés à adopter l’euro, on observait en ce même début d’année des situations contrastées : nette faveur en Hongrie (63% « pour », 31% « contre ») et en Roumanie (55% contre 31%) ; opinions partagées en Croatie (48% contre 45%) et en Bulgarie (40% contre 41%) ; opposition majoritaire en République tchèque (40% contre 60%) et en Pologne (34% contre 56%), et plus encore en Suède (25% contre 73%)[4].

L’EURO DANS LES ETATS MEMBRES NE L’AYANT PAS ENCORE ADOPTE
Degré de familiarité avec l’euro : des occasions d’usage déjà très nombreuses

La proportion des citoyens qui se disent (très bien ou assez bien) informés au sujet de l’euro est de l’ordre d’un sur deux (entre 46% et 54% selon le pays). Mais la part des personnes qui ont déjà eu l’occasion d’utiliser des billets ou des pièces en euros est très majoritaire dans les sept pays étudiés (comprise entre 80% et 90%).

De grandes différences apparaissent toutefois en ce qui concerne les lieux où ils l’ont fait – dans leur propre pays ou ailleurs.

Tableau 1. Lieux d’utilisation de l’euro
RO HR BG HU PL CZ SE
Dans leur propre pays  (%) 22 9 8 3 3 2 1
Dans leur pays et à l’étranger (%) 58 46 36 36 32 18 10
A l’étranger (%) 21 44 57 61 65 80 89


(% de ceux qui ont déjà utilisé des billets et pièces en euros)

Les perceptions des conséquences du passage à l’euro : un impact positif globalement reconnu

Dans les sept pays étudiés, les citoyens sont plus nombreux à penser à des conséquences positives pour les Etats de la zone euro qu’à l’inverse, mais à des majorités plus ou moins fortes : à 71% (contre 21%) en Roumanie, 68% (contre 19%) en Hongrie, 59% (contre 31%) en Pologne, 57% (contre 33%) en Suède, 57% (contre 34%) en Croatie, 52% (contre 34%) en Bulgarie, et 52% (contre 46%) en République tchèque.

Les opinions sur l’introduction de l’euro dans leur pays : de très grands contrastes

Les Roumains et les Hongrois s’y montrent très fortement favorables (à 75% et 69% respectivement) et des majorités nettes s’expriment également dans ce sens en Croatie (61%), en Pologne (56%) et en Bulgarie (54%). En revanche, le soutien à l’introduction de l’euro est nettement minoritaire en Suède (43%, contre 56%) et en République tchèque (33%, contre 67%)[5].

L’enquête dans les sept pays comportait en outre deux questions sur les conséquences, positives ou négatives, qu’aurait aux yeux des personnes interrogées l’introduction de l’euro : pour leur pays d’une part, pour elles-mêmes d’autre part.

Les scores relatifs aux conséquences au plan national sont quelque peu en retrait sur la faveur à l’introduction de l’euro évoquée ci-dessus dans les cinq pays globalement favorables. Ils restent positifs dans quatre d’entre eux, la Bulgarie faisant exception avec 45% d’impact positif envisagé contre 50%. À l’inverse, dans les deux autres pays étudiés, où les opinions sont défavorables à l’euro (Suède et République tchèque), les conséquences sont jugées un peu plus positivement que le principe d’introduction de la monnaie commune : ainsi les opinions positives égalent presque les opinions négatives à cet égard en Suède – mais les Tchèques restent sur ce plan aussi très opposés.

Quant aux conséquences pour soi-même, elles sont évaluées un peu plus favorablement que celles qui concernent le pays, avec des majorités absolues dans ce sens en Roumanie, en Hongrie, en Croatie et en Pologne, et de faibles majorités relatives en Bulgarie et en Suède – seuls les Tchèques restant très majoritairement réticents.

En résumé, on peut penser que ces écarts sont dus à des inquiétudes (relativement limitées) dans les cinq pays qui voient d’un bon œil l’introduction de l’euro. La situation inverse des Suédois paraît indiquer des oppositions de principe plus que des craintes concrètes ; les deux semblent coexister chez les Tchèques.

Le calendrier d’introduction envisagé : des souhaits très variables d’adoption rapide mais l’idée répandue qu’elle se fera à moyen terme

Les citoyens étaient interrogés sur leurs souhaits d’une introduction rapide de l’euro dans leur pays (au choix :  « dès que possible » ; « après un certain temps » ; « aussi tard que possible » ; ou « jamais »). Se montrent les plus favorables les Roumains qui sont 79% à choisir la première (46% « dès que possible ») ou la deuxième réponse ; suivis des Hongrois 77% (dont 33% « dès que possible »). Les Bulgares, les Croates et les Polonais sont un peu plus de 60% dans ce cas (dont un quart ou près d’un quart « dès que possible »). Au contraire, les Suédois sont 57% à choisir l’une ou l’autre des réponses « aussi tard que possible » ou « jamais » (dont 39% « jamais »), et les Tchèques 61% (dont 37% « jamais »).

En même temps, dans tous les pays, sauf un, la conviction domine que l’euro sera introduit avant dix ans : à 93% en Croatie (dont 78% dans les cinq ans), à 81% (dont 64%) en Bulgarie, à 79% (dont 42%) en Roumanie, à 69% en Hongrie, 65% en Pologne, et même 64% en République tchèque. Seuls les Suédois sont légèrement minoritaires à le penser (47%, dont seulement 8% « dans les cinq ans », contre 51% « jamais »).

Des pays perçus comme mal préparés mais une confiance dans la capacité personnelle à s’adapter

Les résultats précédents peuvent être rapprochés de ceux sur l’état de préparation du pays à l’introduction de l’euro. Les opinions qui estiment que leur pays est prêt pour cette introduction sont nettement minoritaires, que ce soit dans les pays favorables ou défavorables : un tiers des interviewés en Croatie, un peu plus d’un quart en Suède, en Roumanie, en Bulgarie et en Hongrie, un cinquième en République tchèque et en Pologne.

Mais de très larges majorités expriment leur accord avec l’idée que, personnellement, on parviendra à s’adapter au remplacement de la monnaie nationale par l’euro : 90% des Suédois et près de 90% des Roumains, des Hongrois, des Polonais, des Croates et des Hongrois, 83% des Bulgares, et 76% des Tchèques. Qui plus est, la proportion de ceux qui se disent « tout à fait » d’accord est nettement majoritaire en Suède (68%), en Roumanie (60%), en Hongrie (57%) et en Bulgarie (54%), et elle avoisine 50% en Pologne et en Croatie. Il n’y a qu’en République tchèque qu’elle est beaucoup plus faible (26%).

Des craintes variables d’atteinte à la souveraineté

Les Suédois, à 67% (contre 31%), considèrent qu’avec l’adoption de l’euro le pays perdrait la maîtrise de sa politique économique, et les Tchèques à 57% (contre 43%). Les Bulgares sont partagés, les Croates et les Roumains un peu plus nombreux à répondre par la négative, alors que les deux tiers des Hongrois et des Polonais réfutent cette crainte.

Quant à l’idée que l’adoption de l’euro signifierait pour le pays la perte d’une partie de son identité, qui était également soumise aux interviewés, ce sont là aussi les Tchèques (à 71%) et les Suédois (à 62%) qui sont les plus nombreux à y souscrire, suivis des Croates (à 54%). Comme pour la question précédente, les Bulgares se divisent entre ceux d’accord et ceux en désaccord avec cette idée. Les Roumains, les Polonais et les Hongrois rejettent dans de larges mesures (à 56%, 64% et 68% respectivement) l’idée que l’euro leur ferait perdre partie de leur identité.

CONCLUSION

Dans un contexte de faveur européenne croissante à l’euro, les citoyens de cinq des pays destinés à adopter la monnaie commune à l’avenir se révèlent globalement favorables – les plus positifs étant les Roumains et les Hongrois. Les oppositions demeurent fortes en République tchèque ainsi qu’en Suède.

Dans ces différents États membres, si l’on estime largement que le pays n’y est pas prêt, on pense cependant que cette adoption se fera à moyen terme – sauf sans doute en Suède, où les avis sont partagés.

Les craintes des conséquences pour soi-même apparaissent en fin de compte relatives (quoique davantage exprimées en République tchèque) chez des citoyens qui, pour la plupart, ne doutent guère de leur capacité à s’adapter le moment venu et qui, à de très fortes majorités, ont d’ailleurs déjà l’expérience d’utilisation de l’euro.

Elles sont plus notables en ce qui concerne les conséquences pour le pays, les Tchèques et les Suédois étant particulièrement sensibles à la perspective d’atteinte à la souveraineté nationale.

 


Note de bas de page

[1] Eurobaromètre Flash 492 réalisé sur le terrain en mai 2021.

[2] Eurobaromètre Standard 94, réalisé en février et mars 2021.

[3] Hausse la plus récente dont l’ampleur est due en partie au fait que les opinions, très négatives, au Royaume Uni, ne pèsent plus en 2021 sur la moyenne européenne.

[4] Au Danemark, on enregistrait 32% de faveur et 68% de défaveur.

[5] Les niveaux respectifs d’accord ne sont pas identiques à ceux qui étaient mesurés dans l’enquête de l’hiver 2021. Cela peut-être dû en partie aux méthodes différentes de recueil de l’information (par téléphone pour l’Eurobaromètre Flash), qui peuvent expliquer des écarts minimes, mais surtout sans doute aux formulations différentes des deux questions : celle de l’Eurobaromètre Standard faisait référence à l’Union économique et monétaire qui est sans doute un concept peu clair pour certains, celle de l’enquête ici analysée portait sur la notion plus simple de l’euro. Autre facteur qui a pu jouer, une évolution rapide de l’opinion, qui semble s’être produite notamment en Pologne, ainsi qu’en Roumanie ou en Croatie (il reste que l’ampleur de l’évolution apparente reste surprenante)

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