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L’Europe puissance, c’est maintenant ou jamais
Infolettre Février 2025
Citer cet article
Matelly, S. « L’Europe puissance, c’est maintenant ou jamais », Infolettre, Institut Jacques Delors, février 2025
Deux semaines déjà que le président des Etats-Unis a été investi, une éternité semble-t-il tant les premières décisions prises constituent un véritable big bang à tous les sens du terme : retrait de l’accord de Paris sur le climat et de plusieurs organisations internationales, guerre commerciale et droits de douane systématiques, suspensions du programme américain d’aides internationales, menaces impérialistes à peine voilées sur le Canada, le Groenland ou le canal de Panama… Bref, quelques jours où l’histoire s’est accélérée confirmant que plus rien ne sera plus jamais comme avant. Le monde d’avant n’avait pas sombré au moment de la pandémie de Covid mais il est en train de se rompre sous les coups du nouveau locataire de la Maison Blanche, bouleversant pour l’Europe, toutes les certitudes sur lesquelles elle avait bâti sa sécurité et sa prospérité.
Ce séisme politique arrive à un bien mauvais moment alors que la guerre en Ukraine se poursuit, que le décrochage de l’économie européenne s’accentue sous le coup des mesures de soutien (déjà) de l’administration Biden à l’économie américaine ou des surcapacités chinoises dans un certain nombre de secteurs clés et que les crises politiques se multiplient sur le vieux continent. L’Europe et les Européens réfléchissent aux bonnes réponses, à se préparer à résister ou à céder si nécessaire sur certains dossiers pour préserver l’essentiel. Ils réfléchissent à renforcer la défense européenne au cas où… Ils doivent aussi intégrer dans leur logiciel de pensée au moins 2 ambitions : celle de savoir saisir les opportunités que peut créer cette situation mais aussi, celle d’assumer les responsabilités qui sont les nôtres face à cette situation.
En effet, la polarisation et la rupture que constituent les décisions du nouveau locataire de la Maison Blanche auront inévitablement des conséquences graves sur l’économie américaine et mondiale mais aussi sur les relations internationales ou encore la mondialisation. Elles mettent en danger nombre de pays et de populations, menacent d’amplifier encore le changement climatique et risquent d’isoler ce grand pays qui était pourtant jusque-là au centre du jeu de ces 30 dernières années. La Chine l’a bien compris et attend patiemment de pouvoir tirer les dividendes de cette situation. Mais la Chine est la Chine et l’équilibre des puissances est toujours plus souhaitable que le conflit ou l’hégémonie. Il serait regrettable qu’avec tous les atouts dont elle dispose et les valeurs qu’elle défend, l’Europe ne prenne pas ici ses responsabilités et le relais d’une certaine Amérique, malheureusement aujourd’hui inaudible. Pour cela, il nous faudra rester unis et faire preuve d’une volonté politique. Sommes-nous prêts à incarner une véritable puissance européenne, capable de défendre ses intérêts, de protéger ses citoyens et d’affirmer ses valeurs sur la scène internationale ? Nos publications de janvier poursuivent nos réflexions visant à répondre à ces questions.
Dans notre publication Défense 25 : sortir des sentiers battus, Nicole Gnesotto explore les chemins possibles pour réinventer la politique de défense européenne. L’agression russe contre l’Ukraine a révélé des fragilités structurelles mais aussi une capacité de réaction collective inédite, qui perdure 3 ans après le début du conflit même si les doutes commencent à traverser les opinions publiques, comme le souligne Daniel Debomy dans Le conflit en Ukraine à un tournant. Sur ce dossier, l’Europe doit reprendre l’initiative explique Pierre Vimont et assumer son rôle non plus comme simple soutien, mais comme acteur central de sa propre sécurité. Cet article, Europe et Ukraine : Reprendre l’initiative, est le premier d’une série de publications qui seront rédigées par les membres du « Groupe de réflexion géopolitique » avec pour objectif de proposer des analyses courtes et des recommandations sur les grands enjeux géopolitiques.
Mais la puissance ne se limite pas à la défense. Elle repose sur une stratégie économique et industrielle cohérente, combinant les défis de la compétitivité, de la sécurité économique et de la décarbonation. L’étude Vers une nouvelle stratégie automobile européenne explore ce trilemme dans le cas du secteur automobile. Menée par Victor do Prado, Elvire Fabry, Arancha González Laya, Nicolas Köhler-Suzuki, Pascal Lamy et Sophia Praetorius, elle met en évidence le fait que la compétition mondiale dans les secteurs clés, de l’industrie à la transition écologique, exige une politique industrielle et commerciale ambitieuse en Europe, capable de résister aux chocs extérieurs tout en stimulant l’innovation.
La question du financement de cette ambition est au cœur de notre réflexion. En effet, la souveraineté stratégique passe par des capacités budgétaires renforcées et une meilleure intégration des instruments financiers européens. Mais elle doit être mise en parallèle des ambitions et du projet. C’est le constat proposé par Bertrand de Cordoue pour la défense européenne. Dans le blogpost, Pour une européanisation du nerf de la guerre, il constate que « dépenser plus » est devenu un mantra mais note qu’il doit aller de pair avec un « dépenser mieux » et un « dépenser ensemble » comme le répètent les responsables des institutions, rappelant le « coût de la non-Europe » en matière de défense.
L’infographie L’Union européenne, les États-Unis et la relation transatlantique fait un point sur l’importance du lien qui unit l’Union européenne et les Etats-Unis et les intérêts réciproques de cette relation transatlantique car ils constituent autant d’atouts à mettre en avant dans un rapport de force à équilibrer et face à des pressions aussi inattendues que Trump et l’achat du Groenland : bluff ?. Face à ces aléas, renforcer notre autonomie stratégique est une nécessité.
Enfin, alors que les crises politiques et sociales questionnent les Européens, n’oublions pas également que le socle de la puissance européenne repose sur son modèle social et sa cohésion interne. Dans Quarante ans après sa création, quelle relance pour le dialogue social européen ?, Jean Lapeyre interroge la capacité de l’Europe à maintenir un modèle social inclusif, condition essentielle de la légitimité de son projet politique.
Alors que la semaine dernière, la présidente de la Commission européenne et son vice-président exécutif chargé de la Prospérité et de la Stratégie industrielle ont présenté la « Boussole pour la compétitivité », une feuille de route stratégique pour les cinq prochaines années visant à renforcer la position économique de l’Union européenne face aux États-Unis et à la Chine et que les chefs d’État et de gouvernement de l’Union européenne se réunissent cette semaine pour un sommet informel consacré principalement à la défense européenne, il est indispensable de garder en tête que l’Europe puissance n’est pas un slogan, c’est un choix politique commun. Face aux défis du moment et de notre temps, c’est maintenant ou jamais.
Sylvie Matelly
Directrice de l’Institut Jacques Delors