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L’industrie de défense européenne à la croisée des chemins

Chronique en partenariat avec L’Opinion

| 21/05/2025

L’Union Européenne vient d’adopter le programme SAFE (« Security Action For Europe ») d’un volume de 150 milliards d’Euros, qui va permettre aux 27 de bénéficier de la signature de l’Union pour s’endetter à des conditions favorables afin de financer leurs acquisitions de défense. Adopté à peine 2 mois après que la Commission l’ait proposé, SAFE répond à 3 objectifs partagés des États membres: aider l’Ukraine face à l’agression russe, desserrer la contrainte financière qui pèse sur leurs budgets militaires, mutualiser davantage leur efforts de défense. Liés entre eux, ces trois objectifs bousculent le mode de fonctionnement traditionnel des entreprises d’armement et les obligent à sortir de leur zone de confort.
La guerre en Ukraine a fait émerger un nouveau modèle industriel qui concerne autant la production que le développement de nouvelles capacités. S’agissant des matériels consommés sur le front, il est demandé aux entreprises de produire plus et plus vite, les obligeant à investir davantage sur le court terme que sur la préparation de l’avenir. En parallèle, on observe l’apparition, en Ukraine d’abord, d’acteurs nouveaux, souvent de petite taille, qui jouent un rôle central pour répondre en temps réel aux demandes des opérationnels sur le terrain. Les drones, terrestres, aériens ou navals, qui occupent une place centrale sur le front, sont les premiers bénéficiaires de cet écosystème innovant. Mais l’adjonction de systèmes numériques adaptés permet aussi d’accroître à moindre coût les performances d’équipements existants sans en reprendre entièrement le développement. Tirée par le retour d’expérience des combats, nourrie par l’innovation numérique et imposée par l’urgence, cette approche incrémentale démontre son efficacité opérationnelle et financière. C’est une première leçon à tirer pour nos industriels.
En dépit de l’accroissement des dépenses de défense des pays européens, la contrainte budgétaire ne permet pas d’atteindre tous les objectifs capacitaires souhaitables. A Paris, la réalisation de la Loi de Programmation Militaire (2024-2030) reste à ce stade incertaine malgré la trajectoire ascendante du budget des armées. Cette difficulté est particulièrement marquée pour des pays fortement endettés comme la France, contraints d’arbitrer avec d’autres missions de l’Etat pour tenir leurs objectifs de défense. Pour répondre à cet enjeu, deux options se présentent: dépenser mieux en prenant exemple sur le modèle ukrainien et en mutualisant davantage l’effort au niveau européen, et revoir certaines cibles capacitaires au regard des nouvelles réalités de la menace. Le nouveau mantra « Produire plus, plus vite et moins cher » impose une révision des besoins et de la culture d’acquisition des armées, mais aussi une transformation du mode de fonctionnement d’entreprises habituées à la récurrence de grands programmes conduits sur des décennies. Ça ne se fera pas du jour au lendemain, mais on voit bien comment la combinaison de l’impératif budgétaire et de la réorientation des besoins capacitaires conduit à plus de rusticité et d’agilité. C’est la 2ème leçon que les entreprises doivent prendre en compte dans leur stratégie.
Déclenchée par la guerre en Ukraine et stimulée par la nouvelle attitude des Etats-Unis, l’intervention de l’Union Européenne dans le domaine des industries de défense constitue enfin un bouleversement aux conséquences significatives pour les acteurs du secteur. Les différents programmes mis en place par l’Union pour renforcer la compétitivité de son industrie militaire donnent aujourd’hui accès à des ressources nouvelles pour financer la recherche et la production. A ce stade encore limités, ces crédits ne se substituent pas aux budgets nationaux. En revanche, ils ont un impact non-négligeable sur le tissu industriel: leur décaissement se fait sous conditionnalité européenne, obligeant les entreprises à nouer des partenariats transnationaux, parfois même avec leurs concurrents, pour en bénéficier. Projet après projet, des consortiums se constituent pour répondre aux appels d’offres de la Commission, préparant la voie aux consolidations indispensables du secteur. L’instrument SAFE viendra abonder, par endettement, les budgets nationaux à condition que les États s’engagent à procéder à des acquisitions communes de matériels produits au sein de l’Union, élargissant ainsi le marché des entreprises retenues. L’industrie de défense ne peut plus ignorer cette 3ème dimension dans l’anticipation de ses plans d’activités.
Sans parler de révolution dans un secteur de pointe où le temps long est la règle et où les impératifs légitimes de souveraineté n’autorisent pas des changements rapides avec les risques qu’ils comportent, l’environnement dans lequel les industriels européens de la défense travaillent est en profonde mutation. Sur un marché en croissance, ils ne peuvent se contenter de toucher les dividendes de la guerre et doivent pour leur survie se préparer à de nouveaux impératifs: plus d’agilité, plus de compétitivité, plus d’Europe.

 

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