Rapport

L’intégration régionale et commerciale en Amérique du Sud

L’Amérique du Sud renvoie dans l’imaginaire européen à un continent où révolutions, voltes-faces et tournants abruptes sont des épisodes récurrents. L’image du bon révolutionnaire comme celle de l’apprenti-sorcier en matière de politique économique ne sont que quelques unes des représentations associées traditionnellement à cette région qui, après deux décennies de transition politique et économique peine à trouver son stabilité et une vision commune d’avenir.L’instabilité politique et les déboires économiques à répétition ont depuis longtemps réduit la marge de crédibilité de la région, ce qui n’a pas manqué de grever son intérêt économique stratégique ainsi que sa crédibilité sur l’arène internationale. Reléguée à une place secondaire des intérêts des trois pôles dynamiques de la globalisation économique (les Etats-Unis, l’UE et la zone Asie Orientale)l’Amérique du Sud peine à accrocher ses wagons au train d’une croissance économique vertueuse, compatible avec les règles de la globalisation économique et financière. A titre d’exemple, le MERCOSUR, l’ensemble régional le plus important de la région représentent moins de 2% du PNB mondial .Cette étude est également disponible en espagnol.

Cette étude est également disponible en espagnol


L’Amérique du Sud renvoie dans l’imaginaire européen à un continent où révolutions, voltes-faces et tournants abruptes sont des épisodes récurrents. L’image du bon révolutionnaire comme celle de l’apprenti-sorcier en matière de politique économique ne sont que quelques unes des représentations associées traditionnellement à cette région qui, après deux décennies de transition politique et économique peine à trouver son stabilité et une vision commune d’avenir. L’instabilité politique et les déboires économiques à répétition ont depuis longtemps réduit la marge de crédibilité de la région, ce qui n’a pas manqué de grever son intérêt économique stratégique ainsi que sa crédibilité sur l’arène internationale. Reléguée à une place secondaire des intérêts des trois pôles dynamiques de la globalisation économique (les Etats-Unis, l’UE et la zone Asie Orientale)l’Amérique du Sud peine à accrocher ses wagons au train d’une croissance économique vertueuse, compatible avec les règles de la globalisation économique et financière.

A titre d’exemple, le MERCOSUR, l’ensemble régional le plus important de la région représentent moins de 2% du PNB mondial .

La difficile intégration du continent à la globalisation économique mondiale n’est que le reflet sur l’arène internationale de la difficulté à intégrer populations, territoires et états. L’Amérique du Sud reste ainsi un des continents les plus inégalitaires de la planète, où les écarts sociaux sont encore à ce jour une source d’instabilité politique et représentent un handicap considérable pour n’importe quel projet de développement à moyen terme. Les territoires sont éloignés, ce qui conspire contre une intégration physique du continent, et pose des problèmes sérieux d’infrastructure à l’intérieur même de certains pays de la région (le cas du Brésil notamment). Il en résulte que l’intégration de pays de la région est pénalisée à la base par ces contraintes structurelles. Dernier item dans cette liste de facteurs adverses, les états sud-américains qui aspirent à une intégration depuis plus d’un siècle, mais qui dans la pratique restent traversés par des fortes rivalités, alimentées parfois il est vrai par des intérêts extérieurs à la région.

La partie Sud des Amériques fait ainsi p le figure à côté de l’Asie Orientale qui a su, elle, tirer profit d’une conjoncture unique et qui est devenue aujourd’hui le pôle économique le plus dynamique de la planète. Force est de constater que la voie qui a été empruntée en Amérique du Sud a été toute autre. Les promesses de l’industrialisation par substitution des importations, à la différence du cas asiatique, n’ont pas été ici tenues, en grande partie du fait des caractéristiques de l’Etat sud-américain. La rareté des objectifs stratégiques, l’instabilité des relations entre intérêts économiques et pouvoir politique, l’endettement public irresponsable et le caractère prédateur de nombreux régimes militaires de la région ont contribué à un tel résultat.

La décennie des années 1980 et 1990 a vu la mise en place des réformes structurelles destinées à assainir les finances des pays de la région. Au moyen de privatisations, libéralisation des marchés publics et une recomposition des acteurs économiques à l’échelle de la région c’est toute l’action de l’état en matière de politiques économiques qui a été redessinée. A des relations de type corporatiste -comme cela était particulièrement le cas au Brésil- le nouveau modèle a imposé d’autres où l’autonomie de l’action publique apparaissait comme préférable. Une décennie après le début de ces réformes, le bilan est contrasté. L’application au pied de la lettre des principes du FMI et de recommandations d’organisations multilatérales n’ont pas ténu compte dans leur diagnostic imposé des conditions spécifiques de la région, tel qu’un faible cadre régulateur des privatisations, l’inadaptation d’une politique monétaire stricte avec les objectifs de développement si nécessaires à une région en proie à d’énormes inégalités.

Le résultat de ces décennies de reformes est présente nombreuses nuances. Il est vrai d’une part que leur application peu scrupuleuse a débouché sur des crises sociales -et par la suite politiques- d’envergure : trois gouvernements ont été évincés par la rue (, Argentine en 2001, Bolivie en 2003 et l’Equateur en 2005), la relève politique a projeté sur le devant de la scène des partis contestataires du système et le crédit porté par l’opinion publique aux programmes de stabilisation économique a sensiblement diminué. L’apparition de caudillos au discours ambigu, tels que Chavez ou Morales, au Venezuela et en Bolivie respectivement, n’a en rien amélioré cette situation, faisant craindre un repli de la région sur elle-même et le décrochage en relation à la planète.

Rien n’est tranché pour autant. D’une part, la politique économique respecte aujourd’hui tout autant qu’ hier les principes d’équilibre macro-économique, comme témoigne l’action du Brésil de Luiz Ignacio da Silva, dans le sillon chilien. Même dans le cas extrême de la nationalisation des hydrocarbures boliviens, annoncée par Evo Morales, celle-ci a été effectué dans les règles de l’art, devant très vite composer avec les intérêts de la puissante -et voisine- Petrobras. Le très virulent chef d’état vénézuélien, en dépit de son discours révolutionnaire conduit sur place une politique pas très éloignée des principes de marché et continue à vendre la principale ressource de ce pays aux Etats-Unis.

Comme souvent en Amérique Latine, le discours a une longueur d’avance sur l’action politique. Est-ce également le cas pour le projet de l’intégration économique et commerciale pour autant ? Sur bien de fronts, l’Amérique du Sud apparaît aujourd’hui plus unie que jamais : quelle meilleure preuve de ceci que l’alignement de tous les pays de la région au sein du G24 en vue de réformer le FMI en septembre 2006 ? Les réformes structurelles des années 1990 ne sont plus contestées et il est possible d’affirmer qu’une plus grande convergence existe entre les pays de la région en matière de politiques commerciales. Les principes du régionalisme ouvert sont unanimement partagés et nombreux sont les pays de la région qui font partie désormais d’un dense réseau d’accords de libre-échange avec la planète, où les Etats-Unis et l’Europe et plus récemment l’Asie du Sud-est restent les orientations prioritaires. L’existence d’un référent historique commun, puis d’expériences d’association régionale sembleraient devoir faciliter l’intégration des pays de la région autour d’un projet viable, capable de venir à bout des tares historiques des états de la région.

La mise en place de l’intégration n’a été guère aisée à ce jour. Son parcours reste semé d’embuches, et la primauté des intérêts nationaux sur ceux de la région constituent un de ses handicaps majeurs. L’intégration commerciale n’a pas pour l’instant permis d’atteindre les objectifs qui avaient été fixés en un premier temps et force est de constater que le projet le plus abouti de la zone -le MERCOSUR- a peiné à l’heure de s’accorder sur un tarif extérieur commun. Les querelles bien trop fréquentes entre les deux grands partenaires (l’Argentine et le Brésil) et le regain de critiques à provenance des membres minoritaires comme l’Uruguay font craindre que ce soit l’architecture de la prise de décision politique qui soit à revoir, t che immense mais pas irréalisable. La convergence politique de présidents situés à gauche de l’échiquier politique a certainement contribué à faciliter un rapprochement de vues, sinon de projets liés à l’intégration. L’ouverture des économies et des marchés est jugée comme étant irréversible et même souhaitable au développement de la région. La paralysie des négociations du cycle de Doha et l’échec à l’heure d’obtenir un démantèlement des barrières agricoles européennes et américaines conduisent pourtant à aborder la question avec davantage de pragmatisme.

L’intégration régionale avait été favorisée dans les années 1990 par les puissances locales et comme un moyen de pouvoir parer à la pression des Etats-Unis et l’UE lors des négociations commerciales internationales. Aujourd’hui pourtant, le référentiel de cette intégration a connu une évolution, et celle-ci devient avant tout un instrument au service du développement d’une région ayant fait le choix de l’ouverture des marchés.

Un tel parcours invite à la réflexion et mérite que l’on s’y attarde. L’objet de cette étude de Notre Europe est de tirer au clair les enjeux liés à l’intégration en Amérique du Sud et Latine par extension, tout en ayant comme point de référence le parcours européen, afin de mieux comprendre la forme et finalité de celle-ci. A cette fin, le rapport a été divisé en quatre parties.

  • La première partie s’interroge sur l’intégration commerciale et ses résultats économiques dans une optique latino-américaine large. Faisant appel à des données précises elle explore le poids des relations du continent avec le monde et la qualité économique de l’intégration. La construction régionale en Amérique Latine a ainsi progressivement abandonné une phase initiale où ont eu lieu des avancées sensibles en matière de réduction tarifaire, augmentation des échanges intra-régionaux et construction d’institutions communes. Pourtant et très vite cette convergence initiale a laissé place à une situation où les stratégies des pays membres des blocs régionaux divergent et où une surcharge bureaucratique, des normes parfois confuses, et la mise en oeuvre parcimonieuse des résolutions du bloc ont réduit les bienfaits de l’intégration. Cette section s’interroge in fine sur les moyens institutionnels qui pourraient être mobilisés pour venir à bout des impasses en matière de prise de décision des blocs régionaux et doter à la région d’une feuille de route claire.
  • La deuxième partie porte sur la mise en place d’un nouveau référentiel pour l’intégration sud-américaine et l’exposition progressive de la région à la régulation du commerce mondial. Cette transformation cognitive des politiques commerciales et de la construction régionale a pu intervenir gr ce à des coalitions d’acteurs politiques et privés qui ont mis en oeuvre des réformes structurelles sur le plan national et qui devait également favoriser l’insertion de l’Amérique du Sud à la globalisation financière, économique et commerciale. La construction régionale a ainsi progressivement abandonné une approche qui subordonnait l’interdépendance régionale et la création d’un marché sud-américain à l’industrialisation, pour b tir sur les principes d’un régionalisme ouvert. L’insertion de l’Amérique du Sud au commerce mondial fait état d’une multiplication d’accords entre pays de la région mais aussi entre la région et le reste du monde, et associe désormais un volet de régulation important sur le plan du commerce extérieur. Cette transformation pose le défi pour les états d’intégrer parfois des dispositions très élaborées de protection des investissements et propriété intellectuelle, sans compter toujours avec l’expertise et la capacité de négocier de façon équilibrée avec des partenaires commerciaux plus importants. A travers une revue des accords bilatéraux de la région, désormais moteur de la libéralisation commerciale, cette partie s’interroge donc sur le poids des négociations internationales sur ces règles commerciales et l’émergence d’un modèle spécifique de régulation commerciale régionale dans le moyen terme.
  • Dans la troisième partie enfin, est évoquée de façon détaillée l’émergence et la consolidation d’institutions communes dans la région dans une optique comparée avec le cas de l’UE. Les différents accords régionaux existants (CAN et MERCOSUR) et en vue de création (CSN) ont mis en place des institutions inspirées d’autres exemples d’intégration au niveau de la planète. Si les institutions andines ont b ti un système d’institutions communes assez poussé avec plus de trois décennies tel n’a pas été le cas du MERCOSUR qui, en dépit des ambitions affichées, peine encore à donner vie à une ossature institutionnelle qui reste soumise aux aléas de l’inter-gouvernementalisme. Les institutions régionales sud-américaines souffrent néanmoins, en règle générale, d’un excès d’ambition, comme témoigne la longue liste d’innovations institutionnelles décidées au cours du sommet de Cordoba en 2006. Le suivi de ces décisions reste néanmoins fortement tributaire du bon vouloir des pays membres qui en absence de mécanismes de contrainte avérés, subordonnent souvent les intérêts de l’intégration régionale à ceux de leurs propres états-membres.
  • La dernière partie s’interroge sur les scénarios futurs de l’intégration régionale, en mettant l’accent sur le MERCOSUR et son élargissement à des nouveaux pays dans un avenir proche. La carte électorale de l’Amérique du Sud a changé sensiblement au cours des dernières années, et tout porte à croire qu’en dépit d’une relève politique effectuée par des partis de gauche contestataire au pouvoir, l’intégration régionale devrait poursuivre son cours. Le MERCOSUR représente depuis l’intégration du Venezuela et l’éventuelle adhésion de la Bolivie, l’ensemble commercial et politique le plus important de l’Amérique du Sud, ce qui lui confère une projection internationale et une capacité de négociation non-négligeable. En possession de matières premières stratégiques et d’une infrastructure désormais capable de les exploiter, l’intégration régionale cherche désormais à mettre en commun ces avantages comparatifs pour mieux peser sur l’arène mondiale et assurer son développement. De la capacité des blocs régionaux à venir à bout de leurs divergences à court terme et à se doter d’un calendrier d’intégration crédible dépendra le succès de cette entreprise.