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Livre Blanc : quelles perspectives pour l’Europe de l’armement ?

| 28/03/2025

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de Cordoue, B. « Livre Blanc : quelles perspectives pour l’Europe de l’armement ? » Blogpost, Institut Jacques Delors, mars 2025


Pressée par les États, la Commission Européenne a repris l’initiative et fait de nouvelles propositions pour inciter ces derniers à accroître encore leur effort de défense, sous l’égide du slogan: « Dépenser plus, dépenser mieux, et dépenser ensemble ». Ces propositions ont été formalisées le 19 mars, d’une part dans un Livre Blanc sur la défense européenne qui précise le cadre stratégique dans lequel les Européens doivent désormais investir pour leur défense, d’autre part dans un plan REARM Europe qui ouvre de nouvelles facilités pour aider les États à financer ces investissements.

Sans entrer dans tous les détails de ces documents, voici les éléments qu’il paraît important d’en retenir dans la mesure où ils constituent d’incontestables avancées sur le chemin d’une Europe de la défense.

I Enfin un Livre Blanc Européen sur la défense…

Certains se réjouiront de voir enfin publié ce document qui était réclamé et attendu depuis longtemps. D’autres critiqueront son contenu en le jugeant très en-deçà de ce que contiennent les revues stratégiques nationales. Sans prendre parti, on relèvera à sa lecture les points importants suivants :

  • Le titre a été modifié: alors qu’on devait parler du « futur de la défense européenne », il est maintenant question d’ « être prêt en 2030 », donc avec une échéance fixe correspondant à une logique de programmation.
  • Il s’agit d’un document relativement court (22 pages) qui ne reprend pas les longs développements qui caractérisait la Boussole stratégique de 2021. Exercices obligés, les parties consacrées au contexte géostratégique et aux partenariats avec les pays tiers sont courtes (moins de 2 pages chacune). La référence à « l’OTAN, clé de voute de la sécurité européenne » n’est pas absente, mais elle occupe une place moins visible et en reste à un niveau politique.
  • Une liste de déficits capacitaires prioritaires est proposée, moins étendue que les catalogues habituels. On y trouve (sans surprise…) : la défense anti-aérienne, l’artillerie, les munitions, les missiles, les drones et la lutte anti-drone, la guerre électronique. Sont également mentionnés: la mobilité militaire, la protection des infrastructures critiques et les « strategic enablers » (renseignement, espace, transport et ravitaillement aériens,…).
  • Il y a naturellement un paragraphe sur l’urgence d’une augmentation des budgets de défense et un autre sur la nécessaire simplification des procédures d’accès aux financements européens (« Defence omnibus »).
  • Mais l’essentiel des développements concerne les aspects industriels. Le Livre Blanc s’emploie à démontrer, une fois de plus, la valeur ajoutée qu’apporterait une plus grande harmonisation des acquisitions de défense au sein de l’UE : effet d’échelle et source d’économies liés au décloisonnement des marchés, compétitivité et intégration industrielle, infrastructures à double usage partagées, interopérabilité,…
  • Dans la démarche collaborative proposée, le soutien à l’Ukraine reste un axe central, avec une inclusion sans restriction des capacités industrielles de ce pays. Qualifiée de « premier laboratoire mondial de l’innovation de défense », l’Ukraine est considéré comme un partenaire de plein droit dont les capacités technologiques et de production doivent profiter à l’ensemble du tissu industriel européen.

Au total, le lIvre Blanc que vient de proposer la Commission est surtout ambitieux, et en partie novateur, s’agissant de la politique d’armement. Il introduit de manière argumentée les nouveaux instruments de financement – le plan REARM et son programme SAFE – que l’UE pourrait maintenant mettre en place pour concrétiser les orientations qu’il recommande.

L’articulation entre le Livre Blanc et REARM met en évidence les deux étages de la démarche proposée : il s’agit dans un premier temps d’accroître les capacités de production de l’industrie européenne pour venir en aide à l’armée Ukrainienne sur des segments correspondant aux besoins de celle-ci, mais aussi de renforcer la compétitivité technologique et l’autonomie des entreprises du secteur pour qu’elles développent les outils de la défense européenne à plus long terme.

II Les vrais enjeux: le plan REARM et son programme SAFE.

Figé dans une programmation pluriannuelle de 7 ans, le budget de l’UE ne permet pas de dégager des ressources nouvelles substantielles en cours de route. Le montant spectaculaire de 800 milliards d’Euros annoncé dans le cadre de REARM repose par conséquent d’abord sur de l’endettement :

  • 650 milliards de dette nouvelle qui serait autorisée pour les dépenses militaires en dérogation des critères du Pacte de stabilité de l’UE. Pour les Etats déjà fortement endettés comme la France, il est peu probable qu’il soit fait significativement usage de cette flexibilité nouvelle. Pour l’Allemagne en revanche, ce déblocage ouvre des perspectives puisque le verrou national des 1% de dette vient d’être abandonné.
  • Au titre de SAFE, 150 milliards d’emprunt seront en revanche portés par l’UE qui redistribuera ces crédits, sous forme de dettes moins onéreuses, aux États qui en feront la demande et qui rempliront des conditions « Européennes ». Ces 150 milliards (3 fois le budget annuel de défense de la France…) sont certainement la portion la plus intéressante du dispositif puisqu’ils reposent sur un emprunt mutualisé au niveau de l’UE, comme cela avait été fait pour le plan de relance post-Covid, et qu’ils seront décaissés sous réserve d’une discipline partagée entre Etats membres. Mais ça reste de la dette…

Les conditions mises pour accéder à ce fond exceptionnel de 150 milliards sont importantes : d’une part, ils ne pourront être utilisés que pour des achats groupés entre plusieurs États membres; d’autre part, ils seront réservés aux achats de matériels développés et produits en Europe par des entreprises européennes. Souhaitable, l’utilisation de cette enveloppe aura par conséquent un impact direct sur les politiques d’acquisition des États, incités par ce biais à regrouper leurs achats de matériels, et viendra irriguer la base industrielle de défense européenne en décloisonnant les marchés nationaux.

Enfin, le dispositif proposé pour encourager les achats groupés est ouvert à l’Ukraine et à l’industrie ukrainienne. En pratique, cela veut dire que les États membres pourront bénéficier du financement bonifié en incluant des demandes exprimées par Kiev et une contribution industrielle ukrainienne à la production des matériels en question. Sur cet instrument particulier, l’Ukraine est pratiquement traité comme un État membre. Compte tenu de la montée en puissance de l’appareil industriel ukrainien, cette imbrication peut avoir un effet déterminant pour l’ensemble du secteur qui bénéficiera aussi d’une dynamique nourrie par le retour d’expérience de l’armée ukrainienne.

Sous réserve de leur mise en oeuvre, ces initiatives de l’Union Européenne sur le terrain longtemps tabou de la défense seront de réelles avancées qui peuvent modifier de manière significative l’écosystème traditionnellement national dans lequel se développent les entreprises d’armement. Agissant au travers de programmes qui sont souvent de long terme, celles-ci ne seront pas en mesure de se substituer immédiatement sur tous les segments aux fournisseurs américains qui dominent en partie le marché européen. Mais elles vont devoir s’adapter à ce nouveau cadre qui peut leur ouvrir, au travers de budgets croissants et de commandes groupées, des marchés plus importants qui leurs seront davantage réservés. Cette évolution, qui sera sans doute confirmée par des financements directs dans le prochain budget pluriannuel de l’UE (après 2027), pourrait aussi conduire à une consolidation d’un secteur aujourd’hui excessivement fragmenté du fait des barrières nationales.

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