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Faire du Fonds social pour le climat un levier de la lutte contre la pauvreté énergétique

UN FINANCEMENT ALTERNATIF NÉCESSAIRE POUR DES OBJECTIFS PLUS AMBITIEUX

Citer cet article :
Defard C. & Bergoënd A. 2022. «Faire du Fonds social pour le climat un levier de la lutte contre la pauvreté énergétique», Blogpost, Paris: Institut Jacques Delors, FEANTSA, 23 Septembre.


« Le temps d’avant-guerre où nous avions accès à des combustibles fossiles abondants et bon marché est fini […] les prochains hivers, et pas seulement celui-ci, seront difficiles » a déclaré le vice-président de la Commission européenne Frans Timmermans le 14 septembre 2022, lors de la conférence de presse sur une intervention d’urgence pour faire face à la hausse des prix de l’énergie. En l’espace d’à peine un an, le paysage énergétique a considérablement changé. Les prix mondiaux du pétrole ont augmenté de 200 %, ceux du charbon de 400 % et les prix du gaz européen jusqu’à 1000 %.

La hausse des prix de l’énergie alimente la crise du coût de la vie qui touche davantage les foyers aux revenus les plus modestes. Avant l’été, une étude de l’institut de recherche Mercator estimait que près de 50 millions d’Européens risquaient de faire face en 2022 à une augmentation des coûts pouvant atteindre 50 % par rapport aux dépenses totales pré-crise. La sécheresse estivale a fait grimper les prix vers de nouveaux sommets.

Jusqu’à présent, les États membres ont majoritairement réagi en instaurant des mécanismes d’urgence de contrôle des prix afin de protéger les consommateurs de l’envolée soudaine des prix (baisse de la fiscalité, bonus climat, chèque énergie ou chèque chauffage). Les mesures de compensation des prix pour les personnes à revenus faibles ou moyens resteront essentielles tant que les citoyens ne pourront accéder facilement à des alternatives propres abordables. Mais les prix de l’énergie devraient rester élevés pendant un certain temps. Les gouvernements doivent aussi accélérer les investissements bas-carbone dans le logement et la mobilité pour se préparer aux prochains hivers en s’attaquant à la racine de la crise, à savoir notre dépendance aux combustibles fossiles.

Aujourd’hui, nous payons le prix de notre retard dans le domaine de la transition énergétique. En l’espace d’à peine un an, le cumul des dépenses d’urgence de l’Allemagne, de l’Italie, de l’Espagne et de la France s’élève à près de 250 milliards d’euros, soit l’équivalent du montant des investissements publics et privés nécessaires pour le déploiement à grande échelle d’une rénovation énergétique performante dans toute l’UE. Si des mesures protectrices à court terme sont nécessaires pour faire face à l’urgence de la crise du coût de la vie, elles devraient être combinées à des investissements à long terme dans des rénovations performantes.

Alors que 50 millions de personnes étaient déjà touchées par la précarité énergétique en Europe en 2020 et qu’il reste un certain flou sur la manière dont l’envolée actuelle des prix de l’énergie touchera cet hiver les citoyens aux revenus moyens ou les plus faibles, il est urgent d’agir. Il existe un véritable décalage entre l’architecture actuelle de l’UE en matière de politique climatique, les investissements verts et le soutien au revenu des personnes les plus vulnérables. Du point de vue de l’action climatique et de la justice sociale, il paraît censé de soutenir d’abord ceux qui sont les plus touchés par la crise des prix de l’énergie mais qui n’ont pas les ressources nécessaires pour sortir de leur dépendance aux combustibles fossiles. Cependant, jusqu’à présent, les fonds publics destinés aux rénovations énergétiques performantes ont été trop limités, ont rarement bénéficié aux personnes les plus modestes, ou n’ont pas réussi à toucher vraiment celles en ayant besoin.

Le Fonds social pour le climat proposé par la Commission européenne en juillet 2021 constitue une opportunité historique de répondre au besoin de financement de la transition des bâtiments et de la mobilité pour les Européens à revenus faibles ou moyens. Le Fonds social pour le climat est un outil de financement qui soutiendrait la transition énergétique des foyers les plus vulnérables par un soutien direct au revenu mais aussi des investissements verts. Il permettrait ainsi de contribuer à réduire les inégalités au sein des États membres et entre eux. En effet, les bénéficiaires nets les plus manifestes du Fonds social pour le climat seraient les États membres d’Europe centrale et orientale, où les Européens aux plus faibles revenus sont surreprésentés et où la précarité énergétique est la plus marquée. Le Fonds social pour le climat a été initialement conçu pour contrebalancer les conséquences sociales qui découleraient d’un nouveau marché carbone européen pour les émissions des bâtiments et des transports routiers, et il serait financé par ce nouveau système. Cependant, ce nouveau marché carbone européen pour les émissions des bâtiments et des transports routiers constitue une mesure injuste et socialement régressive qui représente une menace sociale et politique considérable. La crise énergétique actuelle montre qu’avec ou sans cette nouvelle mesure, davantage de solidarité européenne est déjà nécessaire, à la fois en termes de compensation des revenus, de logement vert et d’investissements dans la mobilité pour les plus vulnérables.

Cependant, le montant du budget du Fonds social pour le climat actuellement en discussion ne permet pas de relever le défi d’une transition juste. Ainsi, la seule rénovation du secteur du logement social nécessiterait 13 milliards d’euros d’investissements supplémentaires par an jusqu’en 2050, sans compter le secteur de la location privée ou les propriétaires à faibles revenus. De son côté, la Commission propose d’accorder environ 10 milliards d’euros par an au Fonds social pour le climat entre 2025 et 2032, pour financer à la fois le soutien au revenu et les investissements verts, dans les secteurs du logement et de la mobilité. Même si l’on considère que le Fonds social pour le climat ne sera pas le seul canal de financement des mesures en faveur d’une transition juste, le montant proposé est bien en-deçà de celui actuellement nécessaire.

Des sources alternatives de financement peuvent et doivent être étudiées pour augmenter le budget du Fonds social pour le climat. Comme l’a souligné l’Institut Jacques Delors, l’UE pourrait tirer profit des revenus supplémentaires générés par la forte augmentation des prix du carbone sur le marché européen du carbone existant (qui sont passés d’environ 30 € la tonne de CO2 en janvier 2021 à 70 € à l’heure de la rédaction de cet article). Dans son dernier rapport sur les sources de financement alternatives, la FEANTSA analyse les leçons pouvant être tirées des États membres de l’UE (Irlande, France et République tchèque) qui utilisent les revenus du marché européen du carbone pour financer les rénovations des logements des foyers à faibles revenus. Le Fonds social pour le climat pourrait renforcer ces programmes existants et contribuer à mettre en œuvre des programmes similaires dans d’autres pays de l’UE. D’autres sources de revenus pourraient provenir d’un système fiscal plus juste. Pour financer une transition juste, l’application d’un prix du carbone à tous les Européens ne constitue qu’une seule option parmi de nombreuses autres.

Les États membres de l’UE doivent saisir l’opportunité des négociations en cours sur le Fonds social pour le climat pour envoyer un message fort en faveur d’une transition juste pour tous les citoyens européens. Il est nécessaire de découpler le Fonds social pour le climat d’un nouveau marché du carbone européen, qui détériorerait les conditions de vie des plus vulnérables, afin que le Fonds puisse être une incitation ambitieuse en faveur d’une transition juste, et non uniquement un mécanisme de compensation des conséquences sociales négatives. Augmenter le budget du Fonds social pour le climat et sa portée pourrait contribuer à limiter la crise climatique, sociale et en matière de sécurité énergétique, tout en renforçant la solidarité européenne.


Les auteurs souhaitent remercier Clotilde Clark-Foulquier (FEANTSA), Sébastien Maillard (IJD), Thomas Pellerin-Carlin (IJD), Ruth Schofield Owen (FEANTSA), Karin Thalberg (IJD) pour leur soutien à l’analyse des données et graphiques et pour leurs précieux commentaires sur ce texte.


La FEANTSA est la Fédération Européenne des Associations Nationales Travaillant avec les Sans-Abri. Nous sommes la seule ONG européenne qui se concentre exclusivement sur la lutte contre le sans-abrisme. Notre objectif ultime est de mettre un terme au sans-abrisme en Europe. Notre expérience de la rénovation des bâtiments est celle des fournisseurs de services sociaux, qui sont eux-mêmes confrontés à la nécessité de rénover les abris et les logements, et celles des foyers à faibles revenus qui doivent relever le défi de conditions de logement inadaptées et/ou la pression de l’augmentation des loyers et de la gentrification.

L’Institut Jacques Delors est le think tank européen fondé par Jacques Delors en 1996 à la fin de sa présidence de la Commission européenne. Notre objectif est de produire des analyses et des propositions destinées aux décideurs européens et aux citoyens, ainsi que de contribuer aux débats relatifs à l’Union européenne. Pour mieux définir le contenu et les actions en faveur d’une transition énergétique au service de tous les Européens, le Jacques Delors Energy Centre fournit aux décideurs des éclairages sur les enjeux de la transition énergétique et formule des recommandations de politiques à mettre en œuvre par les autorités publiques.

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