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03/07/25

Marché unique : levier d’une économie compétitive, inclusive et durable

Discours prononcé à la Conférence Jacques Delors 2025 qui a eu lieu le 20 juin 2025 à la Banque de France

Je suis honoré et heureux d’être parmi vous aujourd’hui pour la Conférence Jacques Delors. Je le suis d’autant plus que cette année marque le centenaire de la naissance de Jacques Delors, lui qui restera une figure de référence pour toutes celles et ceux qui, comme nous tous ici, portent l’Europe dans le cœur.

Je voudrais vous féliciter tous également pour votre participation à cette académie. L’Europe a besoin de défenseurs, en particulier dans cette période, et parmi les jeunes générations !

Il y a maintenant un peu plus de trois décennies, sous l’égide du Président Delors, naissait le marché unique.

Il est ce qui permet à l’Europe d’exister au quotidien pour 450 millions d’Européens. Il est aussi une immense source de richesse.

Il est difficile de la quantifier précisément mais, rien que pour les biens et les services, les modélisations économiques les plus sérieuses parlent d’au moins 8% de PIB supplémentaire à l’échelle européenne.

C’est dire combien l’Europe aurait à perdre sans le marché unique. C’est dire aussi, en creux, combien elle aurait encore à gagner à l’approfondir toujours plus.

Et pour cause, aujourd’hui, faute de marché simple et intégré, les entreprises européennes ont tendance à s’internationaliser avant de s’européaniser.

Or dans le contexte géopolitique et commercial que nous connaissons, ce n’est plus possible. Il faut que ce soit l’inverse : les premiers partenaires économiques des Européens doivent être… les Européens eux-mêmes !

Le bouleversement géopolitique actuel et le mouvement général de repli des économies sur elles-mêmes, nous appellent à changer de doctrine. A faire les choses différemment.

Pour moi, cela tient en en deux lignes de forces :

  • d’une part, nous devons libérer les échanges entre nous, à 27,
  • de l’autre, il faut mieux protéger les frontières commerciales de l’Europe.

En un mot, libérer à l’intérieur, protéger à l’extérieur.

La première partie – celle qui consiste à accroître les échanges entre nous, c’est tout l’enjeu de la réforme du marché intérieur que nous avons présentée il y a quelques semaines.

Une étude du FMI montre que les barrières au commerce intra-européen représententl’équivalent de 50% de droits de douane sur les biens, et 100% sur les services. Droits de douane que nous nous imposons donc à nous-mêmes !

Comme l’a très justement démontré Enrico Letta dans son rapport, nous avons encore un certain nombre de non-sens. De choses anormales.

Il n’est pas normal, par exemple, que près de deux tiers des barrières existantes soient vieilles d’au moins vingt ans. Il n’est pas normal que les échanges de services entre nous ne dépassent pas ceux avec nos partenaires hors-UE. Il n’est pas normal qu’en 2025, beaucoup de nos entreprises partent à l’international sans passer par la case Europe.

L’Union européenne doit préserver sa valeur ajoutée, retenir ses talents et son inventivité, et les faire fructifier. C’est pour cela que dans la réforme du marché intérieur, nous identifions les « Terrible Ten », à savoir les dix obstacles les plus forts au marché intérieur.

Pour parvenir à identifier ces terrible 10, nous avons suivi la méthode Delors : aller vers le concret et écouter. D’ailleurs, la table ronde européenne réunissant des grands acteurs économiques actifs sur le marché européen qui avait conseillé Delors lors de la création du marché unique existe toujours, et je l’ai bien évidemment consultée.

Je vais vous donner quelques exemples de leurs retours et des barrières auxquelles nous nous attaquons.

Prenez la règlementation nationale des professions. Aujourd’hui, dans certains pays, il existe une profession réglementée du « cueilleur de champignon ». Dans d’autres, une profession réglementée de « l’identificateur de carnivores domestiques ». Si la codification de certaines professions peut être justifiée dans certains cas (s’assurer de la qualité d’un service, valoriser la spécificité d’une expertise locale), les exemples que je viens de vous citer ne font aucun sens et bloquent simplement l’accès à certaines professions, aussi bien pour des ressortissants nationaux que bien évidemment européens. Il faut par conséquent réduire le nombre de ces professions règlementées.

Par ailleurs, autre exemple d’obstacle à la mobilité, nous sommes  incapables de nous accorder au niveau européen sur une définition commune du kinésithérapeute !  Nous allons accélérer, simplifier et digitaliser la reconnaissance des qualifications.

Autre exemple, l’étiquetage. Aujourd’hui pour expliquer aux consommateurs comment ils doivent recycler tel ou tel emballage, dans certains pays on trouve des explications très détaillées sur l’étiquette. Dans d’autres, c’est un code alphanumérique. Dans encore un autre, c’est un logo, comme le logo « Tri-man » en France. Et la plupart du temps, c’est parce que les règles de recyclage sont différentes entre les pays.

Conclusion : sans règles communes, on ne peut pas créer un marché européen du secondaire, et du recyclé.

Nous allons donc travailler sur des règles communes au niveau européen pour le recyclage de certains produits, comme le textile par exemple. Et nous allons harmoniser l’étiquetage.  C’est plus simple, plus clair et plus efficace pour le consommateur. Et c’est moins cher pour l’entreprise.

Dernier exemple – c’est l’histoire que vous avez surement déjà entendue, de l’entreprise française qui cherche à s’implanter dans un autre marché européen, et qui renonce devant la complexité des démarches ! Elle doit d’abord évaluer et comprendre le droit national des sociétés de chaque État membre. Ensuite, elle doit adopter une forme juridique nationale différente, adapter la structure organisationnelle de chaque société, payer un avocat… Bref, avant même d’engranger le moindre revenu, elle a déjà perdu trop de temps et trop d’argent.

Pour cette entreprise et pour toutes les autres, nous avons lancé un vaste choc de simplification qui doit faciliter leur vie quotidienne. Nous travaillons aussi sur la digitalisation des process. Quant à la réforme du marché intérieur, elle prévoit ce qu’on a appelé un 28ème régime. Une sorte de « régime au-dessus des autres régimes », pour que les entreprises ne fassent les démarches qu’une seule fois, au lieu de 5, 10 ou 27 fois.

C’est primordial, en particulier pour permettre à nos petites entreprises de grandir. L’Europe doit être le terrain de leur scaling, avant qu’elles s’internationalisent.

Voilà quelques mesures que porte cette réforme du marché unique.

Ce sont les mesures proposées par la Commission. Il va de soi qu’une grande partie de l’effort porte aussi sur les États membres.

C’est aussi dans ce sens que nous leur demandons d’identifier au plus haut niveau un sherpa qui puisse incarner et porter politiquement la cause du marché intérieur.

Mesdames et Messieurs, il ne tient qu’à nous de faire en sorte que le marché unique n’ait pas d’unique que le nom.

La période dramatique que nous traversons au niveau mondial nous oblige à pousser les réformes qui n’ont pas eu lieu – ou pas assez – au cours des décennies passées. Il faut saisir cette urgence.

L’Europe n’a rien à envier aux Etat-Unis. Rien à envier à la Chine. Nous avons les meilleurs talents, la meilleure recherche, les meilleures infrastructures. Nous avons surtout le plus grand marché développé au monde – 450 millions de consommateurs !

Il est grand temps que nous prenions conscience de notre potentiel, et que nous fassions les réformes qui – enfin – transformeront ce potentiel en résultats. En un mot, ayons le courage de choisir l’Europe !

Je sais que vous tous ici, à l’académie Notre Europe, en êtes convaincus.

Tout comme en zone euro les politiques économiques sont une affaire d’intérêt commun et de responsabilité partagée entre les États membres et les institutions européennes, le marché unique est, lui aussi un enjeu d’intérêt commun et de responsabilité partagée. Il est temps qu’il soit traité en tant que tel.

Vous faîtes partie de la prochaine génération de citoyens européens qui devra porter les valeurs de l’Europe. Vous tenez en quelques sortes dans la main le flambeau transmis par le Président Delors. Je compte donc sur vous.

Alors encore bravo à tous, et à longue vie au marché unique !

Je vous remercie.