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Non, il n’y a pas de « bons » populistes

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Gnesotto, N. « Non, il n’y a pas de « bons » populistes », Blogpost, Institut Jacques Delors, mai 2024


Moins d’un mois avant les élections au Parlement européen, la plupart des sondages donnent à penser que les partis populistes progresseront. C’était déjà le cas lors des élections de 2019, ce qui leur a permis d’obtenir environ 130 (sur 705) députés au Parlement européen. En France, depuis 2014, c’est d’ailleurs le parti de Marine Le Pen qui obtient le score le plus important aux élections européennes (23,34% en 2019). La dégradation du climat international, les perspectives de migrations continues vers l’Europe, la guerre en Ukraine, l’inflation non maitrisée, et plus globalement la montée de toutes les inquiétudes, sont autant de terreaux sur lesquels ces partis populistes espèrent encore prospérer en juin prochain.

Faut-il en avoir peur ? Certainement, mais le danger n’est pas forcément là où on le croit. Ce n’est pas en effet leur nombre qui fait frémir à ce stade, mais une sorte de normalisation silencieuse et rampante que l’on croyait encore impossible en 2019. Regardons d’abord le nombre : même s’ils progressent substantiellement aux prochaines élections, les partis populistes ne pourront pas défaire l’actuelle majorité qui conduit le Parlement européen. Le groupe PPE – Socialistes – Renew (autrement dit les partis traditionnels de la droite de la gauche et du centre) comptabilisent ensemble plus de 400 députés, ce qui leur permet d’être le véritable pivot démocratique du parlement. Certes, leurs divergences sont parfois profondes sur telle ou telle politique, mais les trois groupes sont suffisamment pro-européens pour ne jamais bloquer la marche de l’Union.

Il est possible que l’un des groupes populistes de droite progresse de plus de 50% des voix, quitte à devenir plus important que le groupe socialiste ou le groupe Renew. Ce serait politiquement dramatique, mais sans effet majeur sur le fonctionnement du Parlement, où les trois groupes majoritaires ensemble le resteraient. Il est impossible en revanche que ces différents groupes populistes s’entendent pour former un seul bloc puissant et cohérent. Le danger d’une union des partis extrémistes au PE est improbable, tant leurs divergences sont profondes et substantielles. Deux groupes coexistent en effet au PE : le groupe ECR (conservateurs et réformistes européens) qui compte notamment en son sein les partisans de Madame Meloni, et le groupe ID (Identité et démocratie), où se retrouve le RN de Marine le Pen. Les premiers sont résolument pro-Ukraine, pro-Otan et pro-marché. Les seconds sont pro-Poutine, anti-Otan, protectionnistes et anti-libéraux. Leur entente est donc impossible, même pour prendre le pouvoir. Plus aucun toutefois ne revendique ouvertement la sortie de leur pays de l’Union européenne.

Mais paradoxalement, c’est de ce fait que réside le vrai danger. Le groupe ECR, avec Giorgia Meloni en leader atlantiste, libérale et anti-Poutine, a su se rendre fréquentable, acceptable même aux yeux de beaucoup de parlementaires bruxellois et au-delà. Face aux députés ouvertement anti-européens, anti mondialisation et pro-russes qui forment le coeur du groupe ID, elle a su même forger une sorte de « mélonimania » qui amène par exemple certains membres du PPE à envisager des alliances sectorielles avec ECR si besoin est (cette « melonimania » affecte d’ailleurs autant la Commission et les hauts fonctionnaires européens que le Parlement lui-même). Autrement dit, à Bruxelles désormais, un certain populisme est devenu acceptable s’il est pro-Ukrainien et adepte du libéralisme économique. Que ces leaders populistes mènent chez eux des politiques ouvertement hostiles aux libertés et principes fondamentaux pourtant défendus par l’UE (égalité de genre, de sexe, de religion, accueil des migrants etc,), qu’ils cultivent une ambiguïté inquiétante sur le droit à l’avortement ou le contrôle des intellectuels, peu importe. Que madame Méloni prône le post-fascisme – ce qui revient quand même à s’en revendiquer, que son allié les Démocrates de Suède aient des origines dans des groupes néo-nazis et adhèrent à la théorie du grand remplacement par les musulmans, que le parti espagnol Vox condamne la « religion climatique », et ne se défende pas d’une certaine nostalgie franquiste, peu importe : « cachez ce populisme que je ne saurais voir » pensent certains à Bruxelles, et travaillons ensemble pour la bonne cause européenne…

Or ce qui peut apparaître comme une sorte de sagesse pro-européenne ressemble plutôt à mes yeux à une folie politique. Il n’y a pas de bons et de mauvais populistes. Tous sont des menaces potentielles pour la démocratie représentative, les droits de l’homme et les libertés fondamentales. De même, il n’y a pas de démocratie « illibérale » ou « électorale » ou « variable selon les civilisations et les cultures » comme le proclame Xi Jin Pin : il n’y a qu’un seul régime démocratique d’état de droit et tout le reste n’est que manipulations. Autrement dit, ni le libéralisme économique, ni l’anti-poutinisme ne doivent devenir les valeurs suprêmes de l’UE. C’est pourtant là un des effets invisibles de la guerre en Ukraine que d’affaiblir nos critères et notre définition de la démocratie. Comme si, sous couvert d’être en faveur de Kiev, tout était permis. Comme si on pouvait défendre la démocratie à Kiev et accepter qu’elle pourrisse subrepticement à Paris, Madrid ou Milan.

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