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Passeport vaccinal européen ? Un débat salutaire

Par Isabelle Marchais, chercheuse associée santé à l’IJD

Alors que le monde entier continue de se battre contre l’épidémie de Covid-19, le Premier ministre grec, Kyriakos Mitsotakis, a suggéré d’instaurer en Europe un passeport vaccinal, sous forme d’un certificat standardisé, permettant à un citoyen d’attester qu’il est immunisé. Saluée par plusieurs pays, la proposition fait aussi l’objet de nombreuses critiques.

Les chefs d’Etat et de Gouvernement sont convenus le 21 janvier, à l’issue d’une visio-conférence, qu’un accord était possible sur un certificat commun de vaccination à usage sanitaire[1]. Des lignes directrices ont depuis été adoptées par les Etats membres.

Mais la question des droits qui y seraient attachés, notamment pour faciliter et sécuriser les voyages à l’étranger, apparaît prématurée pour nombre de raisons, médicales et sociétales, éthiques et juridiques. Il est malgré tout important d’en débattre dès maintenant pour mieux en mesurer les enjeux et difficultés, et définir à quelles conditions l’Europe pourrait un jour se doter d’un véritable « pass vaccinal ».

Un débat relancé par la pandémie de Covid-19

Ces dernières années, les Européens avaient commencé à examiner la possibilité de créer « un carnet/passeport de vaccination commun » pour les citoyens de l’Union -prenant en compte les éventuelles différences entre les calendriers nationaux de vaccination- qui soit compatible avec les systèmes électroniques d’information sur la vaccination et qui soit reconnu pour une utilisation transfrontalière[2].

Les discussions ont repris et se sont accélérées avec la pandémie de coronavirus : la question d’un certificat de vaccination a refait surface dès les premières discussions sur le traçage des contacts et les stratégies de vaccination. Puis, dans sa communication du 2 décembre 2020 sur les réponses à apporter à l’épidémie de Covid-19[3], la Commission rappelle ainsi que des registres de vaccination, sur support papier ou sous forme de systèmes d’information sur la vaccination, existent dans la plupart des pays de l’UE ; ils seront selon elle « essentiels » pour assurer le traitement des informations relatives à la vaccination contre le Covid-19, tant à l’échelle des personnes qu’à l’échelle de la population. Dans le cadre d’un voyage, les individus pourraient pas exemple apporter la preuve qu’ils ont été vaccinés et n’auraient pas besoin de se soumettre à un test ou à une quarantaine[4].

Accord des Vingt-Sept sur une « preuve de vaccination »

Un pas important a depuis été franchi. Suite à l’impulsion donnée par les Conseils européens de décembre 2020[5] et janvier 2021, les experts nationaux en matière de santé, réunis dans le réseau « eHealth Network », ont adopté le 27 janvier des lignes directrices concernant « une preuve de vaccination à des fins médicales »[6]. Compatible avec les solutions nationales existantes et mutuellement reconnu au sein de l’UE, ce certificat électronique permettra à son détenteur d’apporter la preuve, dans n’importe quel Etat membre, qu’il a bien été vacciné, et ce dans un strict respect de la protection de ses données personnelles.

Les lignes directrices visent à soutenir l’interopérabilité des certificats de vaccination. Ces derniers devront prévoir un identifiant unique (qui fonctionnera un peu comme l’IBAN pour les données bancaires) ainsi qu’un nombre minimum de renseignements. Le document devra indiquer, notamment : le nom de la personne ; la maladie concernée ; le type de vaccin injecté ; l’autorité responsable de la mise sur le marché ; la date, le lieu et le pays de vaccination.

Normalisé et consultable électroniquement dans n’importe quel pays, le certificat sera également disponible en format papier. Ces lignes directrices n’ont pas de caractère contraignant ; mais les Etats membres qui voudront mettre en place des certificats de vaccination seront fortement incités à s’y conformer s’ils veulent garantir qu’ils soient interopérables dans toute l’UE. Selon la Commission, onze États membres émettent déjà de tels certificats, et au moins sept s’apprêtent à en lancer.

Un objectif d’abord médical

Aux termes de cet accord, et conformément à ce qu’avait précisé la Commission quelques jours plus tôt[7], ce certificat européen de vaccination aura une finalité médicale:

  • assurer un meilleur suivi des cas individuels : la personne a-t-elle été vaccinée et à quelle date, a-t-elle reçu une ou deux doses, présente-t-elle des effets secondaires, et si oui de quelle nature ;
  • disposer, dans le cadre d’une politique de santé, d’un instrument de surveillance général et voir dans quelle mesure les campagnes de vaccination nationales sont bien mises en Å“uvre ;
  • assurer au sein de l’UE une reconnaissance mutuelle, qui donnera à tout citoyen européen disposant d’un tel certificat l’assurance que tous les Etats membres le considéreront comme ayant été vacciné ;
  • suivre les données médicales pour éviter qu’une même personne ne soit vaccinée plusieurs fois

Si elles concernent principalement la vaccination contre le Covid-19, les lignes directrices qui viennent d’être adoptées pourraient à l’avenir servir de base à d’autres vaccinations ou prophylaxies. Les Européens souhaitent également coopérer avec l’OMS (Organisation mondiale de la santé) à la mise en place d’un certificat électronique de vaccination, dans le respect des législations nationales.

Du certificat au passeport vaccinal

L’autre question, beaucoup plus délicate et controversée, concerne les droits qui pourraient être attachés à ce certificat de vaccination, pour faciliter des déplacements au sein de l’UE ou permettre de lever certaines restrictions. Certains pays y sont très favorables, à l’instar de la Grèce et de l’Espagne, qui y voient une manière de relancer leur industrie touristique, touchée de plein fouet par la pandémie. D’autres, comme la France ou les Pays-Bas, jugent le débat prématuré[8]. Prudente, la Commission souhaite quant à elle disposer d’une ligne claire de la part des Etats membres avant de se pencher sur la question. « Cette utilisation doit être mûrement réfléchie », a averti sa présidente Ursula von der Leyen[9].

Les adversaires d’un tel passeport vaccinal craignent notamment qu’un tel passeport ne constitue une rupture du principe d’égalité entre citoyens et donc une discrimination contraire au traité sur l’Union européenne : il y aurait d’un côté ceux qui seraient vaccinés et pourraient à ce titre se déplacer librement à l’étranger ou avoir accès à telle ou telle activité, et de l’autre ceux qui ne le seraient pas, par choix ou pour diverses raisons.

Les interrogations sont d’abord d’ordre médical. Personne ne sait à ce jour si le vaccin inhibe la transmission du virus ou si malgré l’injection la personne reste contagieuse. Une même incertitude entoure la durée pendant laquelle le vaccin est efficace et sa capacité à faire face aux différentes mutations du virus (variants). Le Comité d’urgence sur le Covid-19 de l’OMS a ainsi recommandé le 15 janvier que « les pays n’exigent pas de preuve de vaccination des voyageurs à l’arrivée » « étant donné que l’on ne connaît pas encore le rôle des vaccins dans la réduction de la transmission et que la disponibilité actuelle des vaccins est trop limitée »[10]. Pas de comparaison avec le certificat international de vaccination, ce petit carnet jaune qui atteste que la personne est bien vaccinée contre la fièvre jaune et qui exigé par certains pays, notamment africains, lors de l’entrée sur leur territoire.

Au niveau international, le débat se tient également entre l’industrie touristique, l’Organisation mondiale du tourisme (OMT) et l’OMS. Le Comité de crise pour le tourisme mondial a récemment souligné l’importance de faire progresser la coopération en matière de certificats de vaccination[11], tandis que le Comité mondial d’éthique du tourisme travaille à une éventuelle Recommandation qui conditionnerait un passeport vaccinal à une série de conditions.

La création d’un passeport vaccinal soulève également des questions d’ordre juridique, éthique et sociétal. Le pourcentage de personnes vaccinées est encore très faible, y compris parmi celles qui souhaiteraient le faire mais ne font pas partie des publics prioritaires. La Commission européenne a fixé des objectifs ambitieux en termes de vaccination : au moins 80% des plus de 80 ans et 80% des professionnels de santé d’ici le mois de mars, 70% des adultes d’ici la fin de l’été. Mais les retards enregistrés dans la fabrication et la livraison de vaccins compliquent la situation.

Comment, dès lors, faire respecter dans le cadre d’un « passeport » les droits de ceux, très majoritaires à ce jour, qui n’ont encore pu se faire vacciner[12] ? Quelles solutions alternatives proposer à ceux qui ont des raisons légitimes de ne pas le faire ? Comment répondre à ceux qui voient dans ce passeport un moyen détourné de rendre la vaccination obligatoire ? Un passeport qu’il faudrait montrer plusieurs fois par semaine ou par mois, y compris à des opérateurs privés qui n’entendent pas forcément jouer ce rôle de contrôle.

Relancer l’économie et la liberté de circulation

Le sujet nécessitera une « vigilance démocratique constante », note le philosophe belge Michel Dupuis[13]. Lequel considère qu’avec un tel passeport, les citoyens gagneront en espace partagé et interactions sociales ce qu’ils perdront en confidentialité et liberté individuelle. Il faudra prévoir « une base juridique claire et solide », insiste l’avocat belge Gilles Genicot, qui y voit une atteinte à la liberté individuelle, au respect de la vie privée et de l’intégrité physique, ainsi qu’au secret médical.

Il faudra sans doute attendre, au minimum, que le vaccin soit accessible à tous ou tout au moins qu’une part significative de la population soit vaccinée pour envisager la mise en place d’un « pass » vaccinal, octroyant à ses détenteurs un certain nombre de droits. Et définir avec soin la nature des lieux et activités qui seraient réservés à des personnes vaccinées : voyager, aller dîner au restaurant, aller au cinéma, visiter un musée et autres activités aujourd’hui partiellement ou totalement à l’arrêt. De nombreux points devront être déterminés : le contenu, la durée, les garanties juridiques d’un tel sésame.

Une solution hybride, évoquée par le président du Conseil européen Charles Michel, consisterait par exemple à relancer le transport aérien cet été, quand une majorité de citoyens aura été vaccinée, tout en demandant aux autres de faire un test PCR pour prendre l’avion. Le commissaire européen à la Justice et à la Protection des consommateurs, Didier Reynders, estime de son côté qu’il faudra faciliter la vie des personnes vaccinées quand leur nombre sera suffisamment important, tout en permettant aux autres de continuer à se déplacer grâce à des tests et quarantaines. Avec pour tous un même mot d’ordre : éviter toute discrimination entre citoyens.

Conclusion

L’enjeu des prochains mois sera de savoir si l’on pourra aller plus loin qu’un simple certificat à but sanitaire et relancer des activités qui sont aujourd’hui suspendues -et qui le resteront aussi longtemps que la pandémie perdurera- en réservant leur accès aux seules personnes vaccinées, sous réserve qu’il soit effectivement prouvé qu’elles ne sont plus contagieuses.  

Il faudra pour cela qu’une part très significative des personnes désireuses de se faire vacciner aient pu le faire. En l’absence de toute obligation, celles qui s’y refuseront pourraient devoir en accepter les conséquences et ne pas empêcher les autres de retourner à une vie (plus) normale. A moins qu’il ne faille, pour défendre le principe d’équité, rendre la vaccination contre le Covid-19 obligatoire ? Explosive, la question mérite au moins d’être posée. En la matière, la responsabilité est à la fois individuelle et collective.

 


[1] https://www.consilium.europa.eu/fr/press/press-releases/2021/01/21/oral-conclusions-by-president-charles-michel-following-the-video-conference-of-the-members-of-the-european-council-on-21-january-2021/

[2] https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:32018H1228(01)&from=ES

[3] https://ec.europa.eu/health/sites/health/files/preparedness_response/docs/covid-19_stayingsafe_communication_fr.pdf

[4] Les Etats membres ont trouvé à la veille du Conseil européen du 19 janvier un accord sur une reconnaissance mutuelle des résultats des tests, à la fois PCR et antigéniques rapides

[5] https://www.consilium.europa.eu/media/47328/1011-12-20-euco-conclusions-fr.pdf

[6] https://ec.europa.eu/health/sites/health/files/ehealth/docs/vaccination-proof_interoperability-guidelines_en.pdf

[7] https://ec.europa.eu/info/sites/info/files/communication-united-front-beat-covid-19_en.pdf

[8] https://www.francetvinfo.fr/sante/maladie/coronavirus/vaccin/passeport-vaccinal-ce-debat-aujourd-hui-n-a-pas-lieu-d-etre-ecarte-clement-beaune-secretaire-d-etat-charge-des-affaires-europeennes_4261327.html

[9] https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/fr/statement_21_189

[10] https://www.who.int/news/item/15-01-2021-statement-on-the-sixth-meeting-of-the-international-health-regulations-(2005)-emergency-committee-regarding-the-coronavirus-disease-(covid-19)-pandemic

[11] https://www.unwto.org/fr/news/le-comite-de-crise-pour-le-tourisme-mondial-se-reunit-a-nouveau-pour-discuter-de-la-securite-des-voyages-a-l-ere-des-vaccins

[12] https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/01/26/covid-19-le-passeport-vaccinal-europeen-une-idee-au-mieux-prematuree-au-pire-irreflechie_6067602_3232.html

[13] https://bx1.be/radio-chronique/le-face-a-face-faut-il-un-passeport-vaccinal/

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