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Politique commerciale numérique : les choix stratégiques de l’UE au lendemain des élections américaines

Par Nicolas Köhler-Suzuki, Conseiller Politique commerciale de la société de conseil International Trade Intelligence

Messages clés


  • L’élaboration des politiques numériques de l’Union européenne se fait dans un contexte géopolitique dominé par le triangle stratégique que forment l’UE, les États-Unis et la Chine.
  • L’agenda numérique est désormais un élément important des négociations commerciales. L’Union européenne doit agir vite pour éviter de se faire distancer dans la course règlementaire mondiale. Une coopération transatlantique sur la règlementation du commerce numérique permettrait d’accélérer la promotion de normes internationales.
  • La politique commerciale européenne pour le numérique doit favoriser la reconnaissance de normes européennes pour améliorer l’accès au marché de l’industrie européenne, mais l’accès au marché européen du numérique peut aussi servir de levier pour d’autres objectifs politiques ; ce qui peut impliquer des compromis difficiles.
  • La taxe sur les services numériques et la circulation des données vont sans aucun doute susciter des frictions dans la relation transatlantique mais il pourrait y avoir davantage de convergence sur la lutte anti-trust, la protection des données personnelles et l’intelligence artificielle. Le socle de valeurs démocratiques libérales que partagent l’Union européenne et les États-Unis sera déterminant.
  • En élargissant les enjeux liés au commerce numérique, on pourrait arriver à un grand accord des démocraties libérales, mais cela doit se jouer au plus haut niveau politique.
  • Le séquençage de la définition du cadre réglementaire européen dans le secteur numérique doit être minutieux ; car il s’agit de défendre les préférences collectives européennes tout en préservant un espace de coopération avec les États-Unis et d’autres partenaires sans bloquer prématurément toute négociation par une politique du fait accompli.

 

Introduction

Premier exportateur mondial de services, l’UE a néanmoins pris du retard dans le développement des technologies numériques clés. En 2019, parmi les 30 principales entreprises de technologies, 18 avaient leur siège social aux États-Unis, 7 en Chine et seulement 1 dans l’UE[1]. La valorisation boursière des entreprises de technologie américaines est en outre déjà supérieure à celle de l’ensemble du marché boursier européen[2]. Alors que les services sont de plus en plus dématérialisés, l’industrie européenne pourrait être fortement pénalisée. L’UE a commencé à rattraper son retard, mais sa politique numérique doit tenir compte des turbulences géopolitiques du triangle stratégique qu’elle forme avec les États-Unis et la Chine. Donald Trump a fortement secoué la coopération transatlantique dans le domaine commercial  comme dans la lutte contre le changement climatique et la politique étrangère. L’usage illimité que fait la Chine des subventions industrielles et son bilan problématique en matière de droits de l’homme ont suffisamment contrarié les décideurs européens pour qu’ils la désignent comme un « concurrent systémique » de l’Union européenne[3]. Dans le secteur du numérique, la Chine, l’Union européenne et les États-Unis évoluent chacun vers des modèles de gouvernance divergents. Au point que l’on peut craindre une fragmentation de la communauté internet (splinternet) qui risque encore d’accroître les failles géopolitiques[4].

Il n’est pas surprenant dès lors que Bruxelles et la majorité des capitales européennes aient été soulagées que l’ère Trump prenne fin. Depuis le résultat de l’élection présidentielle, l’UE cherche à évaluer comment rétablir la relation transatlantique et faire évoluer le triangle stratégique à son avantage. Le résultat est le « nouvel agenda UE-États-Unis pour un changement mondial », qui appelle à une alliance mondiale des pays qui partagent les mêmes valeurs pour relever le « défi stratégique » de l’essor de la Chine, en coopérant notamment dans le domaine des technologies numériques[5]. Pour déterminer s’il est  réaliste, il faut regarder de plus près le contexte de la nouvelle stratégie commerciale numérique de l’UE et étudier les potentiels domaines de frictions et de convergence.

I. De la politique numérique à la politique commerciale pour le numérique

La Commission von der Leyen s’est donné des objectifs politiques ambitieux pour son mandat de 5 ans[6] : notamment, faire de l’UE un leader des technologies numériques, protéger les valeurs des citoyens européens et renforcer le rôle de l’UE dans le monde. Pour y parvenir, il faudra une mobilisation transversale de toutes les politiques, mais dans ce processus le rôle de la Direction générale du commerce (DG Trade) de la Commission européenne sera déterminant, car les principales politiques qui ont trait au numérique ont une dimension extérieure qui relève de sa compétence. Jusqu’à présent, la gouvernance de l’Internet s’est développée essentiellement à partir de l’initiative d’acteurs privés, mais depuis quelques années, elle suscite des négociations entre Etats, en particulier dans le cadre des négociations commerciales. De sorte que la stratégie numérique est devenue un élément important des négociations commerciales bilatérales, plurilatérales et multilatérales.

Depuis juin 2020, la DG Trade a engagé une révision majeure de la politique commerciale et d’investissement de l’UE – la première révision depuis cinq ans. Elle met l’accent sur le rôle que peut jouer la politique commerciale pour soutenir la transition numérique et s’articule autour du concept d’« autonomie stratégique ouverte », qui vise à « renforcer la capacité de l’Union à poursuivre ses propres intérêts de manière indépendante et déterminée, tout en continuant à travailler avec des partenaires dans le monde entier afin de trouver des solutions mondiales aux défis mondiaux »[7]. Par ailleurs, le Plan stratégique 2020-2024 de la DG Trade affirme explicitement que la politique commerciale de l’UE sera « l’incarnation de la diversité des valeurs européennes »[8]. Ces deux cadres conceptuels admettent que les politiques règlementaires et commerciales de l’UE peuvent avoir un effet de levier significatif pour atteindre des objectifs stratégiques qui dépasse le seul accès au marché pour les exportateurs européens[9].

Compte tenu de l’importance croissante que prennent les enjeux numériques dans la politique commerciale, l’UE est confrontée à plusieurs choix stratégiques. Il peut y avoir des compromis à faire entre différents objectifs et ces choix détermineront si l’UE a réellement gagné en ouverture, en capacité stratégique et en autonomie. L’Union européenne est d’abord et avant tout le premier exportateur mondial de services. Il y a donc un intérêt économique majeur à maintenir et accroître l’accès au marché pour les exportateurs européens de services. Les services passant de plus en plus par les réseaux numériques, la politique commerciale numérique de l’UE doit permettre de promouvoir les normes européennes en matière de confidentialité des données, de cybersécurité et d’intelligence artificielle, et par ailleurs, d’éviter que les pays tiers imposent des exigences de localisation des données, de maintenir l’ouverture des flux de données transfrontaliers et de restreindre l’obligation de divulgation des codes source. L’accès au marché numérique européen sert également de levier pour atteindre d’autres objectifs, comme la mise en place d’une politique industrielle pour assurer un leadership dans les technologies stratégiques, une politique commerciale et une fiscalité sur le numérique qui garantissent des règles du jeu équitables pour les entreprises européennes, la promotion de la démocratie et des droits de l’homme partout dans le monde, ainsi que la protection de la vie privée et des consommateurs des citoyens européens.

L’Union européenne a fait figure de pionnier du numérique lorsqu’en 2016 elle a adopté le règlement général sur la protection des données (RGPD). Depuis, la Californie – berceau des plus grandes entreprises mondiales de technologies – et de nombreux pays à travers le monde se sont inspirés des normes européennes pour mettre en place leur propre réglementation sur la protection des données, ce qui fait de facto du RGPD une norme mondiale. Mais la Commission va devoir agir vite pour éviter de prendre du retard dans la course à la règlementation qui assurera la domination du numérique. En particulier dans la région Asie-Pacifique, plusieurs initiatives progressent très rapidement. On peut notamment citer l’Initiative mondiale sur la sécurité des données (Global Data Security Initiative) menée par la Chine et le Système de règles de confidentialité transfrontalières (Cross-Border Privacy Rules System lancé par l’APEC (Coopération économique Asie-Pacifique). Une nouvelle génération d’accords, tels que le CPTPP (Accord de partenariat transpacifique global et progressiste ou Comprehensive and Progressive Agreement for Trans-Pacific Partnership), le Australia-Singapore Digital Economy Agreement (DEA) [Accord sur l’économie numérique Australie-Singapour] et le Digital Economy Partnership Agreement (DEPA) [Accord de partenariat sur l’économie numérique] entre Singapour, le Chili et la Nouvelle-Zélande, comportent également des clauses précises sur les flux de données, la localisation des données et la protection des codes sources. Récemment, au sein de l’OMC, l’initiative plurilatérale relative à une Déclaration conjointe sur le commerce numérique vise à aboutir à des règles mondiales pour l’économie numérique avant la 12ème conférence ministérielle de l’OMC de juin 2021 au Kazakhstan[10].

II. Autant d’enjeux que d’intérêts à défendre de part et d’autre de l’Atlantique

La façade atlantique est la région du monde qui enregistre le volume le  plus important de flux de données transfrontaliers[11]. Il s’agit par ailleurs d’une région dans laquelle l’interdépendance est très forte : plus de la moitié des flux de données transfrontaliers en Europe se fait avec les États-Unis et plus de la moitié des flux transfrontaliers américains se fait avec l’Europe. Un accord transatlantique sur la règlementation du commerce numérique aurait donc un impact important à la fois en Europe et aux États-Unis, et pourrait servir de référence pour des normes mondiales. Cependant, Joe Biden entend d’abord améliorer la compétitivité du pays avant de signer tout nouvel accord commercial[12]. Néanmoins, comme l’a récemment souligné l’ancien Représentant américain au commerce (USTR) Michael Froman, le commerce numérique sera une des priorités de la stratégie commerciale de Joe Biden[13]. Si c’est le cas, c’est une opportunité à saisir pour relancer la relation transatlantique.

L’UE a envoyé de multiples signaux indiquant qu’elle souhaitait travailler avec les États-Unis sur la question du commerce numérique. La présidente de la Commission Ursula von der Leyen a proposé d’élaborer conjointement un « ensemble de règles pour l’économie et la société numériques couvrant tous les domaines, Big Tech, utilisation des donnée et confidentialité, infrastructures, sécurité, … »[14]. Le commissaire en charge du commerce, Valdis Dombrovskis, appelle à résoudre les différends commerciaux actuels et à établir un Conseil du commerce et des technologies entre l’UE et les États-Unis, inspiré de l’organe de coopération règlementaire qui était envisagé par le projet avorté de Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement (TTIP)[15]. Il y a également eu des gestes symboliques comme la résolution du différend sur le homard et des signes encourageants de réconciliation dans l’affaire Boeing-Airbus. Mais Ursula von der Leyen a cependant mis en garde les représentants des Etats membres sur « les changements de priorités et de perceptions qui peuvent s’avérer plus tenaces que les changements de responsables politiques et d’Administration » et que ces changements ne « disparaîtront pas du simple fait d’une élection »[16]. La taxe sur les services numériques et les flux de données ne manqueront pas d’être des points de frictions des relations transatlantiques dans les mois qui viennent[17]. Mais par ailleurs, sur la politique anti-trust, la protection des données personnelles ou encore l’intelligence artificielle il pourrait y avoir plus de convergence. Ce qui peut s’avérer déterminant face à des menaces systémiques extérieures, ce sont les valeurs démocratiques libérales que partagent l’Union européenne et les États-Unis.

III. Opportunités et embûches

Les enjeux liés à une taxe sur le numérique et aux recommandations de l’OCDE sur l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices (BEPS) pourraient être particulièrement difficiles à résoudre. Lors de sa campagne électorale, Joe Biden a promis d’augmenter le taux d’impôt sur les sociétés de 21 à 28 %. Il a expressément appelé à taxer davantage les grandes entreprises technologiques sur les bénéfices mondiaux qu’elles tirent de leurs biens incorporels [Global intangible low-taxed income – GILTI] et s’est engagé à rendre les délocalisations plus difficiles. Mais Joe Biden n’a pas proposé de réforme structurelle de la fiscalité internationale, contrairement à d’autres candidats démocrates lors de la campagne des primaires[18]. La fiscalité n’est sans doute pas le point fort de Joe Biden alors que pendant quatre décennies il a été sénateur du Delaware, un des principaux paradis fiscaux du monde. La Silicon Valley a également contribué de manière substantielle à sa campagne électorale et à celle de la vice-présidente élue Kamala Harris, et ils ne souhaiteront sans doute pas être ingrats, ou du moins pas trop[19]. Dans tous les cas, la politique fiscale américaine est une prérogative du législateur et la taxe sur le numérique a fait l’objet d’une forte opposition bipartisane à la Chambre des Représentants et au Sénat, qui n’est sans doute pas sans lien avec le financement très généreux de la campagne présidentielle par les entreprises technologiques[20]. En outre, l’Administration Biden devra trouver le moyen de financer les budgets ambitieux qu’elle prévoit pour les prochaines années. Elle ne voudra donc sans doute pas renoncer aux considérables recettes fiscales des entreprises de technologies qui pourraient être réinvesties dans l’économie nationale.

Il reste cependant une marge de progrès. Les fiscalistes de l’OCDE n’attendent pas d’évolution majeure de la position américaine, mais ils espèrent que l’Administration Biden sera favorable à une solution multilatérale[21]. Alors que l’Administration Trump menaçait de procéder à des « représailles tarifaires », contre l’initiative européenne de taxe numérique, il est probable que la riposte de Joe Biden sera moins brutale que celle de Donald Trump alors qu’il s’efforce simultanément de renouer des relations diplomatiques avec ses principaux alliés[22]. Plus un nombre important d’alliés des États-Unis décident d’adopter une taxe sur le numérique en 2021 ou 2022, plus la pression se renforcera sur les États-Unis pour qu’ils soutiennent l’initiative du BEPS de l’OCDE.

Il pourrait également y avoir un point de désaccord sur les flux de données entre l’UE et les Etats-Unis. En juillet 2020, la Cour de justice de l’Union européenne a rendu son arrêt dans l’affaire Schrems-II, indiquant que le bouclier de protection des données (Privacy Shield), qui réglemente les flux de données transatlantiques, est incompatible avec les normes européennes portant sur la protection des données personnelles. Cet arrêt fait suite à l’invalidation en 2015 par la CJUE du cadre précédent, Safe Harbour (affaire Schrems-I). Dans les deux cas, la Cour a estimé que la surveillance systématique de ces données exercée par l’Etat américain ne garantissait pas une protection suffisante des données personnelles des citoyens européens. Tout nouvel accord sur les transferts de données entre l’Union européenne et les États-Unis exigerait plus de confiance mutuelle, par exemple avec un accord crédible de non-espionnage réciproque. Cependant un tel accord risquerait de se heurter à une forte résistance des services de renseignement américains et européens, et supposerait donc un engagement politique au plus haut niveau.

La récente proposition européenne de réglementation de la gouvernance des données européenne pourrait encore compliquer la coopération transatlantique[23]. Alors qu’elle vise à localiser les données industrielles dans l’Union européenne pour promouvoir des « champions européens », elle va sans doute susciter une forte opposition de la part des États-Unis, pour lesquels la liberté de circulation de données est un des principaux enjeux des derniers accords commerciaux, tels que l’Accord Canada-États-Unis-Mexique (USMCA). Alors que l’on commence à peine à définir un cadre réglementaire européen pour le transfert des données, la localisation des données industrielles sera sans doute un enjeu important des négociations transatlantiques sur le commerce numérique.

Mais par ailleurs, il semble bien y avoir une convergence des discours politiques européen et américain sur les enjeux de monopole des grandes entreprises de technologie[24]. Le soutien bipartisan au Congrès et les récentes nominations dans l’équipe de transition de Joe Biden indiquent que les États-Unis adopteront une ligne dure à l’égard des positions dominantes des grandes entreprises de technologies[25]. L’UE doit néanmoins se montrer prudente si elle ne veut pas donner l’impression que ses politiques anti-trust qui visent les grandes entreprises de technologie, majoritairement américaines, sont liées à des enjeux de politique industrielle. Ce sera un exercice d’équilibre délicat, à la fois sur le contenu et pour communiquer sur les divers projets législatifs européens à l’étude sur la gouvernance, les services et les marchés des données : « Data Governance Act », « Digital Services Act » and « Digital Markets Act ».

Même si le RGPD a fait l’objet d’une lutte acharnée et s’est heurté à la critique américaine, on observe désormais une convergence de vues sur la confidentialité des données relatives aux consommateurs. La loi californienne de 2018 sur la protection des données personnelles des consommateurs (Consumer Privacy Act) a beaucoup de points communs avec le RGPD et a accéléré l’adoption d’une législation fédérale sur la protection des données personnelles, qui sera probablement adoptée aux États-Unis dans les prochaines années[26]. En outre, l’Union européenne et les États-Unis discutent tous deux d’une règlementation sur l’intelligence artificielle[27]. Puisque les deux rives de l’Atlantique ont une conception assez similaire des droits individuels, un accord sur une règlementation éthique de l’intelligence artificielle devrait être possible, notamment face à l’avantage évident des systèmes autoritaires pour développer cette technologie[28].

Le sommet mondial pour la démocratie prévu pendant la première année de la présidence de Joe Biden pourrait devenir le point de mire de bon nombre de ces débats[29]. Plusieurs initiatives récentes montrent qu’il est temps de renforcer l’Alliance atlantique et diverses alliances américaines dans la région Asie-Pacifique en liant les enjeux de politique numérique à un agenda plus vaste de sécurité nationale. Le Centre canadien pour l’innovation dans la gouvernance internationale (Canadian Centre for International Governance Innovation – CIGI) a suggéré la création d’une zone plurilatérale unique pour les données (Single Data Area), reposant sur des normes communes développées par un conseil international[30]. Le Technology Alliance Projet (Projet d’alliance technologique) proposé par des think-tanks allemands, japonais et américains plaide aussi pour une coopération technologique plus étroite de pays attachés à sauvegarder les institutions démocratiques et libérales contre les puissances autoritaires[31]. Le US Council on Foreign Relations (CFR) (Conseil américain des relations étrangères) a proposé pour sa part de faire du commerce numérique une arme en établissant une « zone de commerce numérique pour promouvoir la libre circulation des données et la cybersécurité », qui conditionne l’accès aux marchés numériques aux respect des valeurs démocratiques[32]. Ces propositions visent toutes à développer une coopération dans le domaine du numérique qui permettent aux démocraties libérales de s’accorder sur la liberté des transferts de données, les taxes sur le numérique, les mesures anti-trust et le respect des données personnelles[33].

* * *

Malgré le soulagement suscité à court terme par l’élection de Joe Biden, l’Europe a des doutes sur l’évolution de la relation transatlantique. Même si l’on parvient à améliorer la coopération dans les mois qui viennent, les quatre dernières années ont provoqué de profondes fissures dans le système politique américain. Il est difficile de déterminer si Joe Biden parviendra à mettre en œuvre son programme et à effacer les profondes divisions qui secouent pays, notamment si les Démocrates ne reprennent pas le contrôle du Sénat en janvier prochain. Les 74 millions d’électeurs du président sortant conserveront un poids politique important au cours des quatre prochaines années, et il est probable que Donald Trump n’a pas été l’unique cause de polarisation, mais plutôt le symptôme d’un malaise plus profond.

Il a forcé l’Union européenne à réfléchir au rôle qu’elle entend tenir dans le monde – ravivant de vieux débats sur la souveraineté européenne. Mais si l’UE souhaite coopérer avec les États-Unis pour affronter le « rival systémique » qu’est devenue la Chine, elle sera bientôt confrontée à des choix difficiles. La Commission européenne a très justement identifié la politique commerciales comme un domaine clé de la coopération transatlantique. Mais les divers objectifs (accès au marché, politique industrielle, mesures anti-trust, protection des consommateurs et démocratie) peuvent s’avérer difficiles à concilier. Le commerce numérique va amener l’UE à faire des compromis difficiles entre valeurs et intérêts. Il lui faudra également déterminer si elle peut encore considérer les États-Unis comme un partenaire fiable. En attendant, l’UE doit veiller à bien séquencer l’adoption d’une réglementation européenne sur le numérique pour pouvoir défendre ses préférences collectives, tout en veillant à ne pas bloquer prématurément toute coopération avec les États-Unis et d’autres partenaires par une politique du fait accompli. Sinon, il est fort probable que l’UE ne sera ni ouverte, ni stratégique, ni autonome.

 


[1] Mary Meeker’s 2019 Internet Trends Report, Slide 12

[2] Europe needs to build the digital future not just bash Big Tech, Financial Times, 19 November 2020

[3] Relations UE-Chine – Une vision stratégique, JOIN(2019) 5 final, Commission européenne, 12 mars 2019.

[4] Governing the Internet: the Makings of an EU Model, Andrew Puddephatt, European Council on Foreign Relations, 30 July 2020

[5] Un nouveau programme UE-États-Unis pour un changement planétaire, JOIN(2020) 22 final, Commission européenne, 2 décembre 2020

[6] Orientations politique pour la prochaine Commission européenne, 2019-2024, Commission européenne, 9 octobre 2019

[7] Une politique commerciale revisitée pour une Europe plus forte, Note de consultation, Commission européenne, 16 juin 2020

[8] Directorate-General for Trade Strategic Plan 2020-2024, European Commission, Ares(2020)4789801, p.7. [Traduction non officielle]

[9] Cf. The Brussels Effect, How the European Union Rules the World, Anu Bradford, Oxford University Press, 2020; National Power and the Structure of Foreign Trade, Albert Hirschman, University of California Press, 2018 (1945)

[10] Il convient de noter que les négociations en cours au sein de l’OMC laissent penser que l’accord plurilatéral sur le commerce électronique aura une ambition limitée.

[11] Joint Industry Letter on Schrems II Case Ruling

[12] Biden: ‘We’re Going to Fight Like Hell by Investing in America First’, New York Times, 2 December 2020

[13] Discours de Michael Froman devant le Peterson Institute for International Economics, 18 novembre 2020

[14] EU braces itself for battle despite new faces in White House, Financial Times, 25 November 2020. [Traduction non officielle]

[15] Introductory Remarks by Executive Vice-President Valdis Dombrovskis at the Foreign Affairs Council Trade Press Conference, [Remarques introductives du vice-président exécutif Valdis Dombrovskis lors de la conférence de presse du Conseil des affaires étrangères (Commerce)] European Commission, SPEECH/20/2062, 9 November 2020 ; il convient par ailleurs de noter que le futur Secrétaire d’État nommé par Joe Biden, Antony Blinken, a également appelé à cesser la guerre « artificielle » avec l’UE car « nous avons les mêmes objectifs fondamentaux », Europe Sends Biden a Reminder of Why Transatlantic Ties Matter, Bloomberg, 28 November 2020

[16] EU braces itself for battle despite new faces in White House, Financial Times, 25 November 2020

[17] Cf. Users, Data, Networks. Taxing the Digital Economy, Pola Schneemelcher, Jacques Delors Centre Berlin, 9 February 2020

[18] Biden Likely Wouldn’t Upend Current US Digital Tax Approach, Alex M. Parker, Law360, 11 August 2020

[19] Here are the 15 Silicon Valley millionaires spending the most to beat Donald Trump, Vox.com, 27 October 2020; How Kamala Harris Forged Close Ties With Big Tech, The New York Times, 30 October 2020

[20] Tech industry cash flows to Democrats despite 2020 scrutiny, The Hill, 19 December 2019

[21] Digital tax bytes Weekly update, Eversheds Sutherland (US) LLP, 16 November 2020

[22] Bien sûr, Joe Biden ne modifiera pas nécessairement les droits de douane déjà appliqués lors des quatre dernières années et il veillera à les utiliser comme levier dans les négociations.

[23] Proposition de règlement sur la gouvernance européenne des données (Acte sur la gouvernance des données), COM(2020) 767 final, Commission européenne, 25 novembre 2020

[24] Voir, par exemple, la récente enquête sur la concurrence sur les marchés numériques du sous-comité anti-trust de la Chambre des représentants, Chambre des représentants des États-Unis.

[25] Biden is Expected to Keep Scrutiny of Tech Front and Center, New York Times, 10 November 2020

[26] What could a Biden administration mean for privacy, cybersecurity? Jedidiah Bracy, The International Association of Privacy Professionals, 9 November 2020

[27] Cf. A European approach to regulating AI: The Commission’s AI strategy, Maarja Kask, Jacques Delors Centre Berlin, 9 November 2020

[28] The importance and opportunities of transatlantic cooperation on AI, Joshua P. Meltzer, Cameron Kerry and Alex Engler, Brookings Institution, June 2020

[29] Why America Must Lead Again, Joseph R. Biden, Foreign Affairs, March/April 2020

[30] A Plurilateral ‘Single Data Area’ Is the Solution to Canada’s Data Trilemma, Patrick LeBlond and Susan Ariel Aaronson, CIGI Paper No. 226, 25 September 2019

[31] Projet conjoint du Centre for New American Security [Centre pour une nouvelle sécurité américaine)], du Mercator Institute for China Studies (MERICS) [Institut Mercator d’études chinoises] et de l’Asia Pacific Initiative (API) [Initiative Asie-Pacifique).

[32] Weaponizing Digital Trade, Creating a Digital Trade Zone to Promote Online Freedom and Cybersecurity, Robert K. Knake, Council on Foreign Relations Special Report No.88, September 2020

[33] Il faut toutefois noter que Rupert Schlegelmilch, directeur en charge des relations transatlantiques à la DG Trade, a mis en garde contre les accords globaux ambitieux ayant échoué par le passé. Webinaire sur le commerce transatlantique sous l’ère Joe Biden, Les Verts – Alliance libre européenne, 1er décembre 2020.

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