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Politique migratoire européenne :
tout se joue dans les commencements
Ce 10 septembre, la Présidente élue de la Commission européenne faisait connaître la répartition des portefeuilles entre les 27 nouveaux Commissaires bientôt soumis au verdict des auditions du Parlement européen. De cet exercice de haute voltige, combinant 6 priorités, 8 vice-présidences dont trois exécutives, 4 sensibilités politiques sans rien dire des 27 appétits nationaux, la presse n’aura retenu sur le moment qu’une polémique. N’était-il pas fâcheux de confier au Grec Margaritis Schinas l’animation d’un groupe de Commissaires chargés de veiller à la « protection du mode de vie des Européens » en ce compris la mise en œuvre de la politique migratoire ? Difficile de ne pas voir dans ce télescopage un écho aux discours populistes les plus sournois accusant migrants et demandeurs d’asile de menacer la sécurité et les modes de vie des Européens.
Comme souvent, la polémique masque l’essentiel. De l’écume des jours elle fait son miel. Le plus préoccupant n’est pas la dénomination d’une priorité ambigüe et, si l’on déplore la maladresse, on peut comprendre qu’Ursula von der Leyen ait voulu dire qu’elle avait entendu les réticences de nombre d’Européens face à l’absence de maîtrise de la politique migratoire de l’UE. Ce qui doit susciter l’interrogation, c’est d’abord le contour flou du contenu annoncé des responsabilités de Margaritis Schinas[1] et ensuite l’indétermination de celles attribuées à Ylva Johansson[2], Commissaire désignée par la suède qui aura la charge directe de la mise en œuvre du « nouveau Pacte pour l’asile et les migrations » annoncé dès son discours d’intronisation au Parlement européen du 16 juillet par Ursula Von der Leyen.
Le pôle stratégique des politiques chargées de veiller au mode de vie des Européens semble plutôt diluer la recherche d’un nouveau deal migratoire qu’il ne la renforce. En l’accolant avec des enjeux certes respectables mais disparates comme celui de la mise en place d’un espace européen de l’éducation, ou celui encore plus incongru de la lutte contre les menaces hybrides. Le projet initial annoncé par la Présidente avait plus de force en incluant, dans la protection des modes de vie, le respect de l’état de droit dont la proximité avec les valeurs en jeu dans la politique migratoire est fondamentale[3]. De même et c’est fort regrettable, la stratégie migratoire se trouve-t-elle isolée du pôle de l’action extérieur de l’Union animé par le Haut Représentant désigné Josep Borell.
L’énumération de tâches confiées à Ylva Johansson confirme les annonces énergiques de la présidente désignée de la Commission. Celle-ci entend bien reprendre à son compte la démarche globale de la Commission précédente, en bien des points plus audacieuse que le consensus majoritaire des États membres : recherche d’une nouvelle base solidaire des pays de première entrée pour le règlement de Dublin, quête de solutions dignes aux différends qui ont affecté les opérations de sauvetage en mer, recherche de nouvelles voies durables pour l’immigration légale, y compris les couloirs humanitaires dans les cas d’urgence, coopération accrue avec les pays tiers. On ne voit pas en revanche quelle impulsion politique, quel discours neuf adressé aux Européens capables et de les rassurer pour le long terme et de faire échec aux paralysies imposées par les populistes, permettra de donner vie à ce qui reste un catalogue traîné comme un boulet de Conseil européen en Conseil européen.
Si les intentions sont bonnes, on ne voit pas le changement de méthode qui permettrait de passer de la gestion de l’urgence à la préparation d’un futur durable et crédible.
La Commission saura-t-elle renouer avec la tradition des rencontres stratégiques du Conseil européen qui de Tampere en 1999 à Stockholm en 2010 avait su donner une vraie impulsion à la construction d’un espace européen commun de l’asile ? Constatant l’impasse dans laquelle l’unanimité a fait échec depuis 3 ans à ses propositions de réforme de Dublin, aura-t-elle le courage d’initier une coopération renforcée correspondant à l’état réel des forces et des responsabilités entre les Etats membres ? Saura-t-elle tenir compte de la nouvelle donne mondiale créée par les accords de Marrakech pour bâtir une relation migratoire légale sur une base mutuelle avec les pays de départ, notamment africains ? Voudra-t- elle tenir compte des nouvelles réalités de la mobilité professionnelle pour ouvrir de nouvelles possibilités à l’immigration légale ?
L’Institut Jacques Delors avait proposé à la discussion ces nouvelles pistes qui ouvrent un espace entre le refus absolu de toute immigration et l’abandon de sa maîtrise[4]. Enrico Letta, son président vient de rappeler dans une tribune confiée à La República[5] combien la nouvelle donne italienne offrait à de telles perspectives une réelle opportunité. Nous croyons que tant Margaritis Schinas, l’un des Commissaires les plus expérimentés, qu’Ylva Johansson, ancienne ministre du travail suédois, disposent des atouts qui permettent de saisir l’histoire par les cheveux. Souhaitons que les auditions parlementaires et la volonté d’Ursula Von der Leyen de porter une Europe plus ambitieuse leur en donnent l’occasion.
Jérôme Vignon
Conseiller à l’IJD
[1] Lettre de mission adressée à Margaritis Schinas, vice-président désigné pour protéger le mode de vie des Européens 10 septembre 2019.
[2] Ibidem, site de la Commission européenne.
[3] « Une Union plus ambitieuse, mon programme pour l’Europe », Ursula Von der Leyen, 16 juillet 2019 p17 à 19.
[4] « Pour une politique européenne de l’asile, des migrations et de la mobilité «, rapport N° 116 novembre 2018.
[5] 12 septembre 2019, pour un pacte germano-italien de Lampedusa.