Pourquoi ils ont voulu l’Europe

La première pierre de la construction européenne a été posée, ne l’oublions pas, le 9 mai 1950, à Paris, par Robert Schuman, alors ministre des Affaires étrangères, dans une déclaration préparée en collaboration étroite avec Jean Monnet, commissaire au Plan. Afin d’éliminer « l’opposition séculaire » entre la France et l’Allemagne, Schuman a proposé alors de placer la production franco-allemande de charbon et d’acier sous l’autorité d’une organisation commune, à laquelle il invitait les autres pays d’Europe occidentale à se joindre, et qu’il présentait comme « les premières assises concrètes d’une fédération européenne indispensable à la préservation de la paix. »
La France rompait ainsi sans fracas, mais très délibérément, avec une politique à laquelle elle était pourtant très attachée depuis le Traité de Versailles, celle des gages territoriaux, économiques et financiers que les vainqueurs imposaient à l’Allemagne pour limiter sa montée en puissance. Du même coup, la IVème République reprenait l’initiative sur le terrain européen où les débuts de la guerre froide avaient paralysé son action, américains et britanniques ne s’embarrassant plus de ses exigences dans leurs relations avec la toute jeune République fédérale.
La déclaration Schuman se présente donc comme un événement charnière au moins aussi important dans l’histoire de notre continent que ce renversement des alliances qui avait vu, au milieu du 18ème siècle, Louis XV renouer avec l’Autriche catholique et les Habsbourg, longtemps ennemis héréditaires des Bourbons, au détriment de son ancien allié la Prusse protestante. Elle allait servir de phare à la politique française pour contrôler les rapports de force en Europe occidentale jusqu’à la chute du Mur de Berlin et au delà, lorsque Mitterrand obtiendra de l’Allemagne de Kohl, pour prix de sa réunification, l’abandon du mark et la création de l’euro.
Paradoxalement, le coup de frein donné par l’Assemblée nationale en 1954 en rejetant la Communauté européenne de défense et son embryon d’Europe politique, ébranlera l’idée même d’union politique, mais ne modifiera pas l’orientation générale de cette nouvelle stratégie diplomatique de la France. Contrairement aux attentes de la plupart de ses partisans, le général de Gaulle l’endossera, aussitôt revenu au pouvoir. Il décidera d’appliquer le Traité de Rome qui relançait le projet communautaire après l’échec de la CED et il s’efforcera, non sans succès, de la faire servir à ses propres desseins. De Pompidou à Chirac, ses successeurs ne feront pas autre chose, chacun à sa manière, en tenant compte de l’évolution de l’Europe et du monde.