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08/09/25

Pourquoi Poutine ne veut pas la paix en Ukraine

Vladimir Poutine ne veut pas de la paix en Ukraine, même aux conditions très favorables pour la Russie que Donald Trump est prêt à imposer aux Ukrainiens et aux Européens. Depuis plusieurs semaines déjà, cet état de fait est devenu clair pour à peu près tous les observateurs, sauf semble-t-il pour Donald Trump lui-même qui continue jusque-là de se comporter comme si Vladimir Poutine était de bonne foi.

Comment expliquer que le président russe refuse de saisir la main tendue par un Président américain pourtant prêt, avant même toute négociation, à reconnaitre la souveraineté russe sur les territoires conquis et à empêcher l’Ukraine de rejoindre l’OTAN tout en se lavant largement les mains de son sort futur ? Il y a à ce comportement a priori surprenant plusieurs explications qui convergent.

1 Vladimir Poutine veut surtout la biélorussisation de l’Ukraine

Tout d’abord, Vladimir Poutine n’est pas vraiment intéressé par le Donbass et Louhansk. Ce sont désormais des régions dévastées dont les infrastructures sont en ruine comme le montre la pénurie d’eau potable qui y sévit actuellement. Leur économie était dominée par l’exploitation du charbon et par des industries lourdes largement obsolètes qui ne seront pas d’un grand apport pour le futur de la Russie.

La continuité territoriale avec la Crimée et le contrôle total de la mer d’Azov sont en revanche des acquis de poids pour l’impérialisme russe. Ces gains restent malgré tout secondaires vis-à-vis du but de guerre central de Vladimir Poutine : réussir à contrôler l’Ukraine dans son ensemble pour en faire une autre Biélorussie et la réintégrer dans la sphère d’influence russe sans avoir forcément besoin de l’occuper militairement en totalité. Une Ukraine démocratique, membre de l’Union Européenne, se développant économiquement rapidement à l’instar de la Pologne, resterait à ses yeux, même amputée d’une partie significative de son territoire, une menace trop dangereuse pour son régime autocratique et kleptocratique.

2 Il surestime les capacités russes et sa position de force

Dans un régime autocratique comme celui de Poutine, informer honnêtement les dirigeants se révèle souvent dangereux. Malgré les graves revers subis depuis plus de trois ans par ses armées, les centaines de milliers de soldats morts et estropiés et les milliers de chars détruits, flatté par les courtisans qui l’entourent et désinformé par les rapports mensongers de ses généraux, qui sous-estiment systématiquement les pertes et enjolivent tout aussi systématiquement les succès, Vladimir Poutine croit probablement toujours que l’armée russe est à la veille de l’emporter militairement sur le terrain et que les forces Ukrainiennes vont s’effondrer prochainement s’il maintient la pression. La même chose vaut pour l’état de l’économie russe dont les responsables cherchent certainement à lui cacher autant que possible l’état de décrépitude et l’effet significatif des sanctions occidentales. Vladimir Poutine a donc structurellement tendance à se croire en meilleure position qu’il ne l’est effectivement.

3 La paix mettrait son régime en danger

Depuis 2022, le président russe a réorienté toute l’économie de la Russie vers la guerre et tout son discours politique vers la conquête impériale. Dans un tel contexte, la paix en Ukraine serait un facteur de déstabilisation majeur pour son pouvoir du fait de ses conséquences pour l’économie et la population. Les soldes des combattants en Ukraine sont sans commune mesure avec les salaires pratiqués en Russie. Elles permettent ainsi de modérer les conséquences économiques de la guerre sur les populations les plus précaires, en particulier dans des régions pauvres du pays. Le retour de la paix mettrait par ailleurs en évidence l’ampleur du délabrement de l’économie civile russe et les effets massifs du manque d’investissements accumulé depuis 2022 dans l’entretien des infrastructures de base du pays. Elle susciterait également de graves tensions sociales et politiques avec le retour à la vie civile de centaines de milliers de vétérans démobilisés. Une grande partie d’entre eux sont alcooliques ou drogués et souvent porteurs non traités de maladies transmissibles comme le SIDA, l’hépatite C ou la tuberculose. Ils ont vécu l’horreur au front et l’absence totale de tout sens moral et de tout état de droit au sein de l’armée russe. Les récits concernant le traitement des soldats russes par leurs officiers sont effrayants. La réintégration de ces vétérans au sein de la société russe, avec son cortège de violences, serait inévitablement une épreuve bien plus difficile à surmonter encore que ne l’avait été le retour des soldats du Vietnam pour la société américaine. Ils  n’aideront guère la société russe à surmonter son manque de plus en plus criant de main d’œuvre qualifiée. Sur tous ces plans, Vladimir Poutine a donc intérêt à la poursuite de la guerre quels qu’en soient les résultats militaires.

4 La Chine ne veut pas de pax americana en Ukraine

Enfin, last but not least, malgré tous les cadeaux que Donald Trump est prêt à lui faire, Vladimir Poutine ne peut pas se permettre de lui donner l’opportunité d’apparaître comme celui qui a stoppé la guerre en Ukraine et qui pourrait pour cela mériter le Prix Nobel de la Paix.

Avec cette guerre, la Russie est devenue en effet très dépendante de la Chine pour la plupart de ses approvisionnements essentiels comme pour la vente de son gaz et de son pétrole. Affaiblie par la guerre, elle est en voie de vassalisation avancée vis-à-vis de Pékin malgré son statut de puissance nucléaire et les rêves de grandeur impériale de son président. Or dans le contexte de la rivalité sino-américaine, Xi Jinping ne peut tolérer ni un rapprochement réel et durable entre la Russie et les États-Unis ni un renforcement de Trump sur la scène internationale. Il souhaite également probablement maintenir durablement un abcès de fixation pour les Occidentaux en Europe qui les empêche de concentrer leurs forces pour contenir la Chine en Asie. Même si Poutine voulait faire la paix en Ukraine sous l’égide de Trump, ce qui pour les raisons évoquées précédemment n’est probablement pas le cas, il ne le pourrait donc sans doute pas parce que Xi Jinping l’en empêcherait.

Bref, pour toutes ces raisons, il n’y a guère qu’une défaite militaire sur le terrain et le renforcement des sanctions économiques contre la Russie qui puisse finir par amener Vladimir Poutine à accepter de cesser les combats en Ukraine.