Pourquoi Trump veut interdire à la Russie de vendre son pétrole

Le 13 septembre dernier, Donald Trump a annoncé sur son réseau social Truth Social avoir envoyé une lettre à tous les pays de l’OTAN pour leur demander 1) de cesser totalement d’acheter des combustibles fossiles à la Russie 2) d’imposer des sanctions à la Chine et aux autres pays tiers qui continueraient à le faire. Comment se fait-il que Donald Trump jusqu’ici si conciliant avec Poutine veuille désormais interdire totalement à la Russie d’exporter des combustibles fossiles ?
Il n’avait pas été question jusqu’ici d’empêcher la Russie d’exporter son pétrole
En septembre 2022, le G7 avait décidé de plafonner à 60 $ le baril le prix auquel la Russie pouvait vendre son pétrole et de sanctionner les acteurs qui achèteraient le pétrole provenant de la Russie de Poutine plus cher que ce prix plafond. Et ce plafond a été dans l’ensemble respecté jusqu’ici, y compris par la Chine et l’Inde. Tandis que les mesures prises contre la flotte des pétroliers fantômes russes transportant ces hydrocarbures ont constamment été renforcées depuis 2022. Combiné à la baisse du prix du pétrole sur le marché mondial, cela a abouti à une division par deux des recettes tirées par la Russie de la vente de ses combustibles fossiles depuis le printemps 2022 selon les estimations du Russian Fossil Tracker du CREA.
Les Européens discutent depuis longtemps d’abaisser ce plafond à 45 voire 40 $ le baril mais cela n’a jamais pu être acté, ni dans le cadre du G7 ni dans celui de l’Union Européenne. En revanche, il n’avait jamais été question jusqu’ici d’interdire complètement à la Russie de vendre son pétrole sur le marché mondial. Pour une raison simple : avec 12% de la production de pétrole et 17 % des exportations de gaz provenant de Russie en 2024, un tel blocage déséquilibrerait le marché mondial et causerait une explosion des prix qui pèserait sur tous les pays non producteurs. L’Europe bien sûr qui importe désormais la quasi-totalité du gaz et du pétrole qu’elle consomme mais aussi de nombreux pays du « Sud Global » qui se montrent souvent déjà très sensibles à la propagande poutinienne antioccidentale et risqueraient du coup de basculer vraiment dans le camp de Pékin et Moscou.
Pourquoi Donald Trump, d’habitude si conciliant vis-à-vis de Poutine, veut-il maintenant obtenir avec une telle insistance un blocage complet des exportations de pétrole russe ? Au point de se fâcher à ce sujet avec l’Inde de Narendra Modi et de pousser celle-ci dans les bras de Pékin comme on l’a constaté le 1er septembre dernier au Sommet de l’Organisation de Coopération de Shanghai à Tianjin, un exploit en matière de géopolitique…
Le prix du baril est trop bas pour l’industrie pétrolière américaine
La raison principale est comme souvent chez Donald Trump à chercher du côté de la politique intérieure américaine et de ses soutiens du monde des affaires : le niveau actuel du prix du pétrole sur le marché mondial est trop bas. Avec le ralentissement de l’économie mondiale qui s’est accéléré, du fait notamment des incertitudes créées par les droits de douane américains, le prix du pétrole a été en effet nettement orienté à la baisse sur le marché mondial au cours des derniers mois. Le prix du baril de Brent de la mer du Nord, qui sert de référence, frise désormais les 60 $, le prix imposé au pétrole russe.
Un tel prix ne permet plus en particulier de rentabiliser l’exploitation du gaz et du pétrole de schiste américain, particulièrement coûteux à extraire, et le nombre des nouveaux puits mis en exploitation aux États-Unis s’effondre selon les données collectées par l’organisme spécialisé Baker Hughes.
Où en est l’Europe avec les énergies fossiles russes ?
Qu’impliqueraient les exigences de Trump pour l’Europe ? Depuis le déclenchement de la guerre, l’Union Européenne et ses Etats membres ont dépensé 141 milliards d’euros pour aider l’Ukraine selon l’institut économique de Kiel mais dans le même temps ils ont acheté pour 214 milliards d’euros d’énergie fossile à la Russie selon le CREA. Les importations de combustibles fossiles russes en Europe ont certes radicalement diminué depuis 2022, pour autant elles restent non négligeables.
L’Union européenne n’importe plus de charbon russe depuis 2022 : il fait l’objet d’un embargo européen. Elle importe encore très peu de pétrole, 2 % du total, principalement en Slovaquie et en Hongrie, mais les importations de gaz russe ne font pas l’objet de sanctions européennes, contrairement à ce que l’on croit souvent. Et elles restent importantes : elles représentent 14 % du total du gaz importé dans l’UE au premier trimestre 2025 selon les données de la Commission Européenne. 11% du gaz importé par pipelines et 17% du Gaz Naturel Liquéfié.
Le Gaz Naturel Liquéfié russe est importé principalement via la Belgique, la France et l’Espagne qui ont représenté 85 % du total en 2024 selon l’IEEFA.
Il n’en est pas question pour l’instant ni dans l’ultimatum de Donald Trump ni dans le débat public, mais l’Union Européenne importe également toujours le quart des combustibles nucléaires utilisés dans ses centrales de Russie selon les données rassemblées par Bruegel… Contrairement à une idée reçue, le nucléaire ne garantit pas mieux l’indépendance énergétique de l’Europe que le gaz ou le pétrole : 100% de l’uranium utilisé dans les centrales européennes provient de l’extérieur de Union Européenne, et notamment de la Russie.
Quel effet peut avoir pour l’Europe l’ultimatum de Donald Trump ? S’il permet de tordre le bras de Viktor Orban et de Robert Fico pour obliger la Hongrie et la Slovaquie à rompre enfin avec Moscou en matière d’approvisionnements en énergie fossile et s’il amène les autres Européens à sortir de leur hypocrisie en cessant d’acheter du GNL russe, pourquoi pas. Avec cette exigence, Donald Trump cherche en particulier à consolider l’engagement pris par Ursula von der Leyen à Turnberry d’acheter davantage d’hydrocarbures aux Etats Unis.
Obliger l’Europe à s’aligner sur les Etats-Unis face à la Chine
Mais ce sont surtout ses demandes en matière de sanctions secondaires à appliquer à la Chine et à d’autres qui posent problème.
Un blocage total des exportations d’énergies fossiles russes déstabiliserait tout d’abord le marché mondial et déclencherait une hausse substantielle des prix du pétrole et du gaz. Celle-ci serait certes favorable aux producteurs américains de gaz et de pétrole de schiste en difficulté mais très négative pour l’Europe et les pays non producteurs du reste du monde dans un contexte économique déjà très dégradé. On se souvient des effets négatifs massifs qu’avait eu pour l’économie européenne et mondiale le choc sur les prix de l’énergie engendré par la guerre contre l’Ukraine en 2022-2023.
Au-delà des seuls prix de l’énergie, les droits de douane de 50 % que Donald Trump demande à l’Europe d’appliquer contre la Chine auraient de plus par eux-mêmes un impact négatif massif sur l’économie européenne dans la mesure où ils entraineraient une hausse sensible de l’inflation au sein de l’Union.
Enfin sur le plan géopolitique, Donald Trump entend, avec cette demande, forcer les Européens à s’aligner totalement derrière lui dans le conflit sino-américain. Un piège très dangereux pour l’Europe et son avenir.
Et en attendant cet ultimatum lui donne aussi et surtout un prétexte supplémentaire pour continuer à ne rien faire contre la Russie tant que les Européens n’acceptent pas de le suivre sur ce terrain glissant.